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ANTENNES AIN
619 Perraurr (C.) HOMMES ILLUSTRES QUI ONT PARU EN FRANCE |
pendant ce Siécle avec leurs Portraits au Naturel, ? vol. briltéant
impressions of the beautiful portraits (including the suppressed |
Arnauld and Pascal) engraved by Edelinck, Lubin, Van |
Sehuppen, Simonneau, Duflos, de. fine copy in old French red
morocco, gilt edges foto. ib. 1696-1700
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À C.
LES
HOMMES
ILELUSTRES
QUI. ONT PARUTEN FRANCE
pendant ce Siecle :
Avec leurs Portraits au naturel
Par M° PERRAULT, de l'Academie Françoife,
A PARIS;
Chez ANTOINE DEZALLIER, ru Saint Jacques , à la
Couronne d'or.
M DCr\xcCvyiIE
AVEC PRIVILEGE DV RO,
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Chartes Perraut .
de P'Academie .
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Édelinck, feulp: Cure Priuil À 160%
PREFACE
O.US les Siecles ont donné dé grands Hommes , mais
tous les fiecles n’en ont pas cfté égalementprodigues. JL
femble que la Nature prenne plaifir de remps en temps à
montrer {a puiflance dans la richefle des talens qu'elle
‘répand fur ceux qu'elle aime, & qu'enfuite elle s’arrefte
comme épuifée par la grandeur & par le nombre de fes profufions.
Quoyque ces momens de largefle ne foient pas reglez', on a:re-
marqué néanmoins que cette humeur bienfaifante luy prend ordi-
nairement.lorfque le Ciel a refolu de donner à la Terre. quelque
grand Prince qui: en doit faire l’ornement ; car comme fi'elle fe
croyoit obligée de parer l'entrée.de ce Heros dans le monde, elle
fait naître avant luy:,ou avec luy ,une foule d'Hommesd'un:merie |
extraordinaire pour le recevoir, & pour eftre ou les inftrumens de
fes grändes Adtions, où ‘les Ouvriers de fa imagnificence ; ou les
Trompettes de fagloire. Cetteconduite a paru manifeftement dansles
ficcles d'Alexandre 8 d’Augufte, quin'ont pas efté moins admirables
par le merite &pâr le nombre des grandsPerfonnages qu'ils'ontpro-
duits, que par les vertus extraordinaires de ces deux grands Mo-
narques.
Comme le fiecle où nous vivons, riche des biens de tous les fie-
cles precedens qu’il a recueillis par droir de fucceflion , & riche en-
core de fon propre fonds, a vü toutes les Sciences & rous. les Arts
s'élever en quelque forte à leur derniere perfection ; il n’eft pas éton-
nant qu'il ait efté fi fecond en grands Hommes , s’agiffant d’ailleurs
de le rendre digne du regne de LOUIS LE GRAND pour qui
le Ciel les a formez, & de mettre quelque proportion encre/les Sujers
& le Prince ; aufli quoy qu'on:ait entrepris d'étendre ce Recueil
d'Hommesilluftres jufques à cenc ‘on a eu plus de peiné à ne:pas
exceder ce nombre, qu'on n’en a eu à le remplir, :
1}
PBR ARLES
Jufques icy les Recueils d’éloges d'Hommes illuftres n’ont guere
efté que d’une feule efpece d'hommes » pris dans une longue fuite de
fiecles. Paul Jove n’a prefque fair l'éloge que des hommes de guerre;
Sainte-Marche que des hommes de Lertres; & le Vafari n’a écrit que
les Vies des Peintres & des Sculpreurs les plus celebres de quelque
païs qu'ils fuffent. Ona pris plaifir à raflembler icy des hommes extra-
ordinaires dans toutes fortes de profeflions , & à fe renfermer dans le
feul fiecle où nous fommes. Ona crû que certe diverfité de caracteres
auroit fon agrément ; d’ailleurs comme l'intention principale de ce
Recueil eft de faire honneur à noftre fiecle , on a crû ne devoir pas
oublier ceux qui ont excellé dans les beaux Arts , & dont les Ou-
vrages n'ont pas moins élevé la France au deflus des autres Etats,
que les prodiges de valeur de nos grands Capitaines , que la fagefle
confommée de nos grands Politiques, & que les admirables découver-
tes que nos gens de Lettres ont faites dans toutes les Sciences.
On ne peut pas dire que ce mélange d'hommes fi differens de pro-
feffion , fafle un aflfortiment defagreable , puis qu'ils ont efté choifis
comme les premiers de leur cfpece , & que tout ce qui eft premier
de cette forte fait toûjours plaifir à connoiftre. On pourroit mefme
avancer que ceux qui fe font ainf diftinguez par la feule force de
leur genie , fonc plus vifiblement l'ouvrage du Ciel que la plufpart
des autres hommes , comme Gharles Quint le témoigna aux Grands
d'Efpagne qui murmuroient, de luy avoir vû ramafler le pinceau du
Tivien. Je puis, leur dit-il, faire en un moment une vingtaine d’hom-
mes tous plus grands que vous , mais il n’y a que Dieu feul qui puif.
fe faire un homme tel que le Titien.
On n'a fuivi dans le choix de ces grands Hommes que la voix
publique qui les à nommez, fans que l'intereft ou la flarterie, l'ef-
perance ou la crainte y.ayent eu la moindre part.
On n'y a point mis d'hommes vivans, & il n’eft pas mal aifé d'en
deviner la raifon. On n’a point voulu aufli y mettre d’Etrangers,
n'ayant eu en vûé que l'honneur de la France, & on a crû à propos
de n'y recevoir que ceux qui fonc morts depuis le commencement de
ce fiecle.
Sion ne donne prefentement que la moitié de ce Recueil , c’eft qu'il
refte encore à graver plufieurs Portraits de ces Hommes Illuftres, &
qu'on a cru qu'il valloic mieux en ufer de la forte pour fatisfaire à
limpatience du Public, que detarder plus long-temps à luy en faire
part. Ceux qui auront quelque chagrin de ne pas trouver dans ce
premier volume les grands Perfonnages qu'ils reverent particuliere-
ment, doivent s'attendre à les trouver dans le Second. On les prie
cependant d’eftre perfuadez qu'il n’y a pas plus d'avantage à eftre
PARU) ELA CANON FX
mis dans l'un que dans l’autre, & que la facilité qu’on a cuë à recou-
vrer les Portraits de ceux qui font dans celuy-cy eft la principale
caufe de ce qu'ils marchent les premiers.
La fimplicité du ftile de ces éloges pourra n'agréer pas à ceux
qui ne veulent voir dans ces fortes d'Ouvrages que des loïianges
ingenieufement tournées & énoncées d’une maniere majeftueu-
fe. Cependant quand j'aurois efté capable de les faire fur ce mo-
dele, peut-eftre ne l’aurois-je pas fait, perfuadé que par cette voye
on ne va pas fi bien à la fin qu'on doit fe propofer dans ce genre
d’efcrire , qu’en fuivant celle que j'ay choïfie. Car s'il eft vray
qu'on doit avoir pour but de faire bien connoiftre le verirable cara-
€tere de celuy dont on parle , il n’eft pas moins vray que rien n’eft
plus propre pour y parvenir que le fimple recic de fes actions , où
l'homme fe peint mieux luy-mefme que nefçauroit faire le meilleur
Orateur avec les plus belles couleurs de PEloquence. J'ay crû mefme
qu’un ftile fort fouftenu pourroit à la longue fatiguer le Lecteur, &
qu'une fimple narration de fairs hiftoriques eftanc plus inftrudive,
feroit aufli plus agreable. Je n’ay pas ignoré que fi J'avois pù mettre
du fublime dans ces éloges, je n’en eufle reçu plus d'honneur , mais
je n’ay penfé qu’à en faire à ceux dont j'ay parlé. On fçait que la
plufpart des Oraifons funebres où brille la plus haute éloquence, font
plus l'affaire du Predicateur que du Défunt , & que fi la réputation
de celuy qui parle en reçoit fouvent un accroiffement confiderable,
‘ celle du Mort demeure prefque toujours au mefme eftar qu'elle eftoit
avant la Ceremonie. Je n’ay donc point regardé mon intereft , fi ce
n’eft peut-eftre qu'ayant arboré fi hautement en plufieurs rencontres,
que noitre ficele l’emportoit fur tous lesautres , ce que je rapporteray
des actions & des talens des Hommes illuftres qu’il a produits, pourra
fervir à convaincre ceux qui veulent douter encore de cette verité.
En exprimant le caraétere de ceux dont on parle, on n’a rien dit
des traits ni de l'air de leur vifage, parce qu’on auroit cru faire tort
aux Portraits qu’on a mis à la cefte de leurs cloges 5 Portraits qui
partent de la main de trop bons Peintres & de trop excellens Gra-
veurs, pour croire que le difcours y puft rien ajoufter , ni donner
une plus parfaite idée de ceux qu'ils reprefentent.
On auroit fouhaité avoir pù placer ces éloges & ces Portraits fui-
vant l’ordre des temps pour autorifer le rang que l’on leur donne,mais
il s'y cft crouvé des difficultez infurmontables. Comme il eft prefque
impofible de n’oublier pas dans ce premier Volume quelques Hom-
mes illuftres qui auroient dû y paroiftre fuivant l’ordre Chronolo-
gique , on n'a pas voulu s’ofter le pouvoir de les mettre dans le fe-
cond Volume , ce que l’on n’auroit pu faire fans violer la regle que l’on
4 üj
* M. Begon,
Intendant de
Juftice & de
Maine.
PANRI ENPTANOE
fe feroit impofée. D'ailleuts cet ordre auroit caufé un mélange biza-
re en confondant les eftats & les qualitez, & en plaçant quelquefois
un fimple Artifan entre un Cardinal & un grand Prince. On n’a
donc penfé qu'a démefler un peu les conditions. On amis au pe-
mier rang Ceux qui ont paru avec éclat dans l’eftat Ecclefiaftique ;
au fecond ceux qui fe font acquis Le plus de gloire dans la profelsion
des armes ; au croifiéme les Miniftres d'Eftat , & les grands Magif-
trats ; au quatriéme les Hommes de Lettres diftinguez, Philofophes,
Hiftoriens, Orateurs & Poëtes ; & au cinquiéme enfin ceux qui ont
le plus excellé dans les beaux Arts. Pour ce qui eft du rang que
chacun d'eux tient dans la clafle où il eft,on ne doit y faire aucune
attention, on les a mis à peu piés comme ils fe font prefentez , &
lon n'a point pretendu donner la primauté au premier plus qu'à ce-
luy qui fe trouve à la derniere place. C’eft un droit qu'on n’a eu garde
de s’attribuer , & qu’on abandonne entierement au Lecteur, qui tout
éclairé qu'il pourra eftre , aura fouvent de la peine à fe déterminer,
parce que ces Hommes illuftres fe furpañfent prefque tous les uns les
autres par le different merite de leurs talens.
On pourratrouver étrange que les éloges des Hommes de la plus
haute élevation n’ayent pas plus d’étenduë que ceux des Artifans, &
que les uns & les autres foient renfermez dans l'efpace de deux pages,
mais on doit confiderer qu'il a falu fe donner des bornes pour ne
pas s'engager dans un travail qui auroit cfté immenfe , fi on avoit
voulu faire toute l’hiftoire de leur vie, & d’ailleurs qu’en fait d’Il-
luftres , la qualité n'y fait plus rien dés qu'ils font morts. Ÿ
Cet Ouvrage cft dû principalement à l'amour qu'une perfonne *
d’un merite fingulier a pour la memoire de tous les grands Hommes.
Cet illuftre Curieux ne s’eft pas contenté d’avoir orné fa Biblio-
théque de leurs Portraits , il a voulu pour leur faire plus d'honneur
& pour la fatisfaion du Public les mettre dans les mains de tour le
monde, en les faifant graver par les plus excellens Graveurs que nous
ayons. Sa paflion ne s'en eft pas tenuë là; il a fouhaité que ces Por-
traits fuflenc accompagnez d'Eloges hiftoriques , qui en joignant l'i-
mage de leur efprit à celle de leur vifage , lés fiflent connotïitre tout
entiers. Ce deflcin m'a paru fi loüable que j'ay ambitionné d'y avoir
part, & comme il va à cftablir lathefe que j'ay toujours fouitenüe,
que nous avions le bonheur d’eftre nez dans le plus beau de rous les
fiecles , je me fuis offert avec phaïfir de compofer les Eloges qu’on
fouhaitoit. S'il n’avoit efté queftion que de celebrer la memoire des
grands Hommes dans les Armes ou dans les Jercres, j'aurois cru ne
devoir pas me charger d'un travail , dont beaucoup de gens fe fe-
roicnt mieux acquittez que moy ; mais comme il s’agit aufli de par-
PIREFA GE
let de ceux qui ont excellé dans tous les beaux Arts, peu connus de
la plufpart de ceux qu'on appelle communément Sçavans , j'ay cru
que par là je ferois excufable de m’eftre engagé dans une telle entre-
prife , connoiffant un peu micux ces maticres que beaucoup d'excel-
lens Orateurs qui font fouvent de grandes incongruitez quand ils
en parlent, & prefque toujours à proportion de leur éloquence , &
de leur grande habileté en autre chofe.
Si la premiere penfée de cer Ouvrage m'a donné du plaifir , j'avote
que pendant fon execution j'ay prefque toujours tremblé. J'ay veu
que ce quine pañleroit que pour une fimple negligence dans un au-
tre Livre , feroic une faute capitale dans celui-cy , où la moindre
erreur dans un fait , l’obmiflion d’une circonftance un peu confide-
rable, & mefme un nom propre mal écrit eft capable d'attirer des
reproches cres-bien fondez. Je n'ay donc garde de me promettre
cette approbation univerfelle que perfonne n'a jamais encore obte-
nuë, je mattens au contraire à eftre blâmé de cous coftez. Ceux qui
prennent intereft aux Hommes illuftres dont j’ay fait l'éloge, trouve-
ront qu'ils ne font point loüez fufifamment, ni felon l'idée qu’ils en
ont conçus ; C ceux qui ne trouveront pas dans ce Volume les grands
Perfonnages qu’ils aiment & qu'ils reverent, ne verront qu'avec in-
dignation une partie de ceux qui y font , quelque promefle qu'on
fafle de leur donner fatisfaétion dans le Volume qui doit fuivre. A
’égard du Public , comme les loüanges ne font pas ce qu'il aime le
plus, & qu'il s'en faut beaucoup que celles que je donne , foienc de
ce cour fin & delicat qui pourroit les Iuy faire agréer, je fuis difpofé
À recevoir comme une grace , le moindre bon accueil qu'il voudra
bien faire à ce qui eft de moy dans cet Ouvrage.
EXTRAIT DU PRIVILEGE DU ROT
Ar Grace. & Privilege du Roy, donné à Paris le douziéme jour de Février 1696.
A Signé, Par le Roy en fon Confeil, Ducoxo. Il eft permis à nôtre Amé CHARLES
ERRAULT de l’Academie Francoife de faire imprimer un Livreintitulé es Hommes Iu-
Jres qui ont paru en France pendant ce fiecle, avec leurs Portraits au naturel ; & ce pendant
le temps & efpace de quinze années, à commencer du jour qu'il fera achevé d'imprimer
our la premiere fois: Et deffenfes fonc faites à routes fortes de perfonnes de quelque qua-
ité & condition qu’elles foient d'imprimer , vendre & debiter ledit Livre fans le confente-
ment dudit Expofant, à peine de trois mille livres d'amende, de confifcation des Exemplai-
res contrefaits , & de tous dépens, dommages & interefts, comme il eft plus au long por-
té par ledit Privilege.
Etledit fieur PERRAULT a cedé fon droit du prefent Privilege à Antoine Dezallier
Libraire à Paris, pour en jouir füivant l’accord fait entr'eux.
Regiféré for le Livre de la Communauté des Libraires @ Imprimeurs de Paris, le 16. Février
656.
Signé, D. AUBOUIN, Syndic.
Achevé d'imprimer pour la premiere fois , le 28. Septembre 1696,
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ARMAND JEAN DU PLESSIS
CARDINAL DUC DE RICHELIEU.
eg RMAND JEAN Du PLessis fils de Fraxçors Du
Pressrs Seigneur de Richelieu, Chevalier des Ordres du Roy
& Grand Prevoit de l'Hoftel, & de Sufanne de la Porte, nâquit
au Chafteau de Richelieu le $° Septembre 1585. Il ft paroiftre tant
de vivacité d’efprit & de folidité de jugement dans fes eftudes ,
qu'on commença à préfager fa future grandeur. Il fembloit qu'il en euft luy-
mefme un preflentiment , car on luy entendit dire plufieurs fois à ceux de fon
âge qui vouloient l'emmener joüer avec eux , qu’il éftoir deftiné à des em; Lis
qui ne luy permettoient pas de perdre fon temps. Il fut fi {oigneux de l'em-
ployer utilement, qu'à vingt-deux ans il fur facré Evefque de Luçon, fon me-
rite, fon fçavoir & fa reputation fuppléant au défaut de l’âge. La ceremonic de
fon Sacre fe fit à Rome par le Cardinal de Givri au milieu des applaudiffe-
mens de tout le facré College & de toute la Ville.
De retour en France il appliqua à la Predicarion, où il excella de telle forte
que la Reine Voulut lavoir pour fon Grand Aumônier. Son habileté au manie-
ment des affaires qu'il fit paroître en plufieurs rencontres importantes luy fit
donner par sa Majesre une Charge de Secretaire d'Eflar, & comme fes talens
extraordinaires ne permerttoient pas qu'il demeuraft dans quelque pofte {ans une
particuliere diftinétion , le Roy luy donna la préfeance fur les trois autres, La
mort du Marquis d'Ancre ayant apporté un grand changement dans les affaires,
il retira à Avignon pour jouir durepos qu’il ne pouvoir trouver à la Cour dans
cette conjonéture. Là il s’occupa à compoler divers Livres de Controver{e fi con-
vainquans , qu'ils n'ont pas efté moins funeftes à l'Herefie, que fes confcils , tous
foûtenus qu'ils ont efté par les Armes viétorieufes de fon Maitre, Il fit en mefne
temps d’excellens Livres de pieté pour l'édification de l'Eglife, & qui ne laiffent
rien à defirer pour parvenir au plus haut point de la perfeétion Chrétienne. I] fur
fait Cardinal le cinquiéme Septembre 1622. , quelque temps aprés le Roy le de-
clara fon premier Miniftre , & enfuite grand Maiftre de la Navigation , en fup-
primant la Charge d'Amiral.
Se voyant à la tefte des affaires , il fe propofa deux chofes principalement,
d’abattre les Heretiques , & d’abaifler la grandeur de la Mailon d’Auftriche.
Pour y parvenir, il porta le Roy à entreprendre le Siege de la Rochelle, ce qui
eftoit attaquer l'Herefie dans {on fort, & par l'endroit où elle fe croyoit infur-
montable. Cette place eftoit defenduë par la Mer, par une forte Garnifon , &
par fes Habitans à qui le zele de leur religion donnoit des forces & du courage
ui fembloient invincibles. L’Angleterre luy fournifloit de continuels fecours
d'hommes & de vivres ; & il paroïfloit y avoir beaucoup de remérité dans le
fiege de cette Place ; cependant le Cardinal de Richelieu, que la grandeur & la
dificulté des entreprifes encourageoient, trouva le moyen de la remettre fous le
pouvoir de fon Prince legitime. On peut dire en quelque forte qu’il dompta la
Mer , en luy oppofant une digue qui la mit hors d’efta de fournir aucun fecours
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Ge /NAN7
> 7 'ARD IN AL ADE MR IEICIEPELDE Ut
aux Afliegez: Entreprile qui par f hardieffe pourroit paroiftre fabuleufe , files
évenemens du regne où nous vivons ne rendoient tout croyable. Cette Ville
s'eftant rendué, les Huguenots furent contraints d'accepter les conditions qu'il
plu au Roy de leur prelcrire ; & cette malheureufe Herefe, qui depuis foixante-
dix ans cauloit des maux infinis à la France, en auroit efté dés lors extirpée en-
tierement, fi le Ciel n'euft pas refervé ce miracle à la fageffe de Lours 1e GRAND.
Malgré ces grands fervices , l'Envie &l’Impofture s'éleverent fi cruellement
contre luy, que le Roy prit là refolution de luy ofter la conduite de fes affaires.
Mais le melme jour il alla trouver Sa Majefté, & forçant en quelque forte les
avenuës qui luy avoient efté toutes fermées par {es ennemis , il {çut fi-bien fe
juftifier par fon éloquence ; & fur tout par cette force de genie qui ne trouva
jamais rien qui luy refiftaft, qu'il rentra plus avant que jamais dans les bonnes
graces & dans la confiance de fon Maiftre. On a remarqué que tous ceux qui
avoient confpiré fa perte, fouffrirent dans la fitte les mefmes peines aufquelles ils
l'avoient condamné. Pour moderer la puiffance de la Maifon d’Auftriche, il {ur
engager le grand Guftaye Roy de Suede dans lesinterefts de la France, & par là il
mit l'Empire à deux doigrs de {a perte.ll firenfuite foulever la Catalogne & le Por-
tupal, ce qui occupa coutes les forces de l'Efpagne , & la forçat à ne fonger qu'à
{a propre confervation, luy ofta de Vi les vaftes penféesde la Monarchie uni-
verfelle. Il eft vray que la fortune ne favorifa pas tousfes grands deffeins, la mort
du Roy de Suede, & la perte de la bataille de Nortlingue ayant relevé le courage
& les forces des Ennemis jufqu’à venir aflieger Corbie, il eut beaucoup à fouf.
frir de {es Envieux qui rejettoient fur luy tous ces mauvais fuccés; mais {à vertu
ne parut jamais davantage que dans ces remps difficiles qui firent voir la fer-
meté de {on courage. Il traverfa Paris plufieurs fois {ul & fans Gardes au milieu
de la populace que fes ennemis animoient contre luy, & il parut alors plus grand
aux yeux de ceux qui fçavent jüger fainement des chofes , que quand il revine
aprés la prife de Suze & de Pignerol c
Son application continuelle aux affaires de l'Etat ne l'empefcha pas de fon:
get fans relafche à celles de lEglife. Il eur une extréme attention à luy donner
d'excellens Miniftres, On n’avoit point la reputation d'une pieré folide , & l’on
ne prefchoit point avec une éloquence vraiment Chreftienne , qu'on ne fuft auffi-
toft appellé à l'Epifcopar. Il fc rebaftir toute la Maifon de Sorbonne dont il eftoit
Doéteur & Provifeur, & y adjoufta une Eglife qui eft un chefd'œuvre d'Ar-
chiteure. Il y eft enterré fous un tombeau de marbre blanc tres-magnifique ,
fait de la main de l'illuftre Girardon. Il a efté l'Inftituteur de l'Academie Fran-
çoife, & le premier de fes Protecteurs, Rien n'a jamais efté mieux penfé par un
homme qui a fuit de fi grandes choles , que l'eftabliffement d’une Compagnie
dont l'occupation principale ef de confacrer à l'Immortalité les vertus & les belles
aétions des grands hommes, Il mourut à Paris le 4. Decembre 1642. âgé de ÿ7. ans
& 3. mois. Ilavoitun air affable & majeftueux routenfemble, des manieres honne-
ftes & enrageantes, l'efprit vif, le jugement folide, les idées grandes, ün courage
capable de tour entreprendre &à l'épreuve de toutes fortes de difgraces. S'il eft
vray que tout homme qui aun merite extraordinaire honore fon païs quand mef.
me iln’en auroit jamais la penfée, quel honneur ce grand homme n'a-t'il point
fait à la France , luy qui n'a point eu d'autre veuë que la gloire de fon Prince,
& celle de fa patrie ? ë
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PIERRE DE BERULLE
CARDINAL.
JerkRE DE BeruLLe nâquirle 4. Février:575. Son pere Claude
É - de Berulle d’une illuftre Famille en Champagne & Confeiller au
L Parlement fut un Juge d’une probité fingulieré, & {a mere Loüife
À Scguier iffuë d’une Maifon qui a donné un nombre confiderable de
| grands Magiftrats au Royaume & de grands Prelats à l'Eglife fur
d’une picté & d'une vertu fans exemple. Elle fe fit Carmelite dés les premieres
années de fon veuvage, & ayant vêcu jufques à l’âge de 78. ans danses aufteritez
de la Religion; elle mourut entre les bras de fon fils qui luy adminiftra tous fes
Sacremens. Il n'eft pas étonnant que de deux Familles auf vertueules, il foit né
un fils aufli parfait &caufi fainc que celuy dont nous parlons: A8. ans il compola
un Traité de l'abnegation interieure; d’une trés-grande élevation, & qui ne fe
reffentoit point de la foibleffe de fon âge: Ses premieres penfées furent d'eftre
Religieux; mais Dieu avoit fur luy d’autres deffeins. Une de {es plus grandes oc-
cupations eftoit de convertir Les Hereriques;à quoy ilavoir un talent fingulier. Un
jour qu'il difputoit contre un Prefident du Parlement de Pau, M°. Du Valcelebre
Docteur & Profcflèur en Theologie l'entendant parler, dir qu’il eftoit fon maiftre
en cette matiere, & quelques jours aprés il convertit le jeune Cointe de Laval en
prefence du fçavant Tilenus fon Precepteur & fon Miniftre: Perfonne n'a eu plus
d'éloignement pour les dignitez & pour les honneurs. Quelque habile qu'il fûten
Theologie ; jamais il rie voulut faire d'actions publiques ni prendre de degrez. II
refufa d'eftre Evefque par trois fois differentes; la premiere fois ce fur le Roy
luy-mefme qui l'en preffa fortement, & qui fur le refus qu'il en fit, die qu'il le
luy feroit commander parun plus grand que luy ,entendant parler du Pape; fur
quoy il eut la fainte hardieffe de repondre ; que fi Sa Majssre l'en prefloit
davantage, il fortiroit du Roÿaume. Il réfula enfuite l'Evefché de Laon que M.
Seguier fon oncle luy vouloit donnet, & depuis celuy de Nantes que luy offrit
M. de Cuflé premier Prefident du Parlement de Bretagne. Il ne voulut pas mefme
de l'Abbaÿe de faint Eftienne de Caën que M". d'O on parent le prioit d’accep-
ter. Il n’alloit jamais à la Cour qu'il n’y fût mandé, jufques-là que le Roy fe
plaignit plufieurs fois de ne le point voir. À
La place de Precepieur de Monfeigneut le Dauphin luÿ ayant efté offerte,
il ne voulut jamais l'accepter ; quoique le Pere Coton alors Confefleur du Roy
l'en prefMaft par toute forte de raifons & méefme du cofté de la confcience ,en
luy reprefentant qu'il y alloir de l'intereft de l'Eglife & de l'Eftat, & que le
bien qu'il pouvoit faire à un ordre dont il avoit la conduire (il entendoit par-
ler des Carmelites qu'il dirigeoit) n'eftoit ges confiderable eh comparaifon de
celuy qu'il feroit à tout un Royaume, en formant à la pieté celuy qui devoit
uh jour le gouverner. Dieu le refervoit pour reparer la pieté dans le mefme
Royaume par d'autres voyes , & particulierement paï l'eftabliflement de la
Congregation des Peres de l'Oratoire qe entreprit dans ce remps-là. Il eftoit
en peine quel chef il donneroit à une fi fainte Affemblée, & ne {e jugeant pas
digne d'unrel employ, il s'adrefla à faint François de Sales {on intime ami qui
s'en excufa fur ce qu'il eftoit defigné Evefque de Geneve, & parce qu'il jugeoir
LAIT OX
LAN
: CARDINAL DE BERULLE. | |
que perfonne n’en eftoir plus digne ni plus capable que M°. de Berulle. Il falut a.
Monlieër de Reis fon Evelque & depuis Cardinal, luy commandaft ab{oliment
d'éftablir cerre Congrezation & d'en eftre le Chef Elle ne fut d'abord compofée
ue de cinqPreftres & deM' detBerulle qui failoit le fixiéme. Is Le logerent au
os faint Jacques dans une maifon de loüage nommée le Petit Bourbon
fituée à l'endroit où eft preféntemenr le Val de:Grace, conime fi le lieu qui avoit
cfté habité par des hommes d’une pieré fiextraordinairene pouvoit plus eftre la
demeure que d’une fainte Communauté,
Du Fauxbourg S. Jacques ils pañerent à l'Hoftel du Bouchage , & à il ft
baftir, où pour mieux dire, il baftit luy-mefme une Chapelle , car il y travail
la de fes propres mains, & mefine porta la hotte comme un Manœuvre , Tant
il avoit de zele pour la maifon du Seigneur, & d’humilité tout enfemble. Mais
cette Chapelle devenant tous les jours plus petite par le nombre de Preftres
qui fe joignoient à luy, & par le concours du peuple que la devotion y atti-
roi, il refolut de baftir une Eglife d'une jufte étendu. ILy trouva tant de diff.
cultez , qu'il fallur que le Roy l'ordonnaft de {on autorité ab{oluë ; declarant
que cerre Eglife devoit eftre regardée comme la Chapelle du Palais du Louvre.
Il eftoit déja Direéteur & comme Fondateur des Carmelies qu'ilavoit efté cher-
cher en Efpagne, & qu'il ayoit amenées à Paris pour y.établir ce faint Ordre de
Religieufes,&le veritable cfprit de leurInftitution,ce qu'ilne fic pas fans y trouver
auffi de grandes dificultez qu'il fçut vaincre par {à piété & par perféverance.
Le mariage d'Henrietre Marie de France avecle R oy d'Angleterre ayant efté re-
{olu, le Roy obligea Monfieur de Berulle d'aller à Rome en demander la difpenfe
au Pape à caufe de la difference de Religion. Il fe conduifit de telle forte dans
cette ambaflade, & gagna tellement l'eftime de {à fainteré, qu'Elle dit un jour
ces paroles: Le Pere de Berulle n'eff Das un homme , cefi un Ange. Elle le chargea
de toutes lesaffaires qu'elle avoit en France, avec ordre à fes Nonces de fuivre
{es avis en toutes choles ; & pour luy donner encore de plus grandes marques de
fon eftime, Elle ordonna quenarrivanten France il y trouvaftun chapeau de Car
dinal. Mais parce que Monfieur de Berulle avoit fait vœu de nerecevoir aucune
Dignité, le Pape luy envoya une Dilpenfe de fon vœu , &un ordre d'accepter le
chapeau qu'il luy envoyoit. Il conduifit la Princefle Henriette Marie Fille de
France, en Angleterre, où il {e concilia l'amour & la vencration de cout le
monde. Il ne fut pas moins honoré dans fa patrie, & l’on aflure qu'une des cho.
fes qui determina le plus le Roy & fon Confeil au fiege de la Rochelle , fur
la revelation que le Cardinal de Berulle eut que cette entreprife {croit heu
reufe , & que l'heure approchoit où la veritable Religion devoit y regner. Il
mourut le 2. d'Oétobre 1619. dans fa cinquante-cinquiéme année ; mais d’une
maniere la plus belle & la plus fouhairable pour un faint Preftre , ce fut encele.
brant la Mefle , & fur le point de la confecration en Prononçant ces paroles ;
Hanc igitur oblationem. De {orte que n'ayant pû achever le Sacrifice comme
Preftre, il l'acheva comme victime ÿ CE quon a exprimé par ce diftique.,
Cœpta [ub extremis mequeo dum facra Sacerdos
Perficere , at faltem vichima perficiam.
Ce fut dans l'Eolife des Peres de l'Oratoire de la TuË S, Honoré qu'il expira,
& qu'il fut inhumé,
es
RE RE
HENRY DE SPONDE
EVESQUE DE PAMIERS.
AEnRY De SPOND x naquit à Mauléon en Bearh le 6. Janvict
JU 1568. & eut l'honneur d’avoir pour Parrain Henry de Bourbon,
qui fut depuis Henry le Grand.
Son pere eftoit Secretaire de Jeanne d’Albret Reine de Na:
LES varre, & faifoic profeflion de la Religion Pretenduë Reformée ;
ainfi que la plus part des Bearnoïs de ce temps-à. Dés que le jeune Sponde
eut achevé fes études & fa Philofophie; qu'il fiten Grec, il quitta la France pour
voyager. Il alla en Angleterre à la fuite de Guillaume Saliufte du Bartas fi ce:
lebre par fon Poëme de la Creation du monde, & alors Ambafladeur du Roy
de Navarre, où en peu detemps il apprit la langue du Pays, & eut de familieres
conferences avec le Roy Jacques. Il {alua aufli À Londres la Reine Elizaber,
Reine d’un merite extraordinaire & fort au deflus de fon {exe ; laquelle témoi:
gna faire beaucoup d'eftime de fon efprit.
Au retour de {es voyages il s’appliqua à l'eftude du Droit Civil & du Droit
Canon, dontil lut prefque tousles Livres. Il alla à Tours, où le Parlement de Paris
avoireftétransferé , & où fon fçavoir & fon éloquence dansle Barreau porterent
le Roy Henry quatre à le faire Maiftre des Requeftes. Au milieu des affaires qui
l'occupoient il trouva du temps pour lire les Livres de controvertes que faifoient
alors le Cardinal Bellarmin , & le Cardinal du Perron. Ces Livres l’éclaircirent
tellement fur les erreurs où le malheut des temps l'avoit engagé avec toute {à fa.
mille, que peu de temps aprés il abjura fon herefie. Il alla enfuite à Rome avec
le Cardinal de Soutdis, où aprés quelques années de fejour il prit l'ordre de
Preftrife. 11 lia une étroige amitié avec le Cardinal Baronius, & fr de fon con-
fentement l'Epitome des douze premiers Tomes de {es Annales. Eftant revenu
en France, le Cardinal Baronius luy écrivit qu'il eftoit tres content de fontra.
vail; quoique les Auteurs n'aiment pas ordinairement qu'on fafle des abregez
de leurs Ouvrages, parce qu'il eftarrivé tres-fouvent que ces abregez ont fait
perir les Livres dont ils renferment la fubftance. Cet Epitome fur achevé d'im-
primer en 1612. & dedié à l'Eglife Gallicane, qui l'approuva, & marqua l’eftime
qu'elle en faifoit par plufieuts gratifications confiderables dont elle honora fon
Auteur: Il s'en eft fait plufieurs Editions, & il a efté traduit en plufieurs lan-
gues. Il avoit une particuliere connoiflance des affaires de la Cour de Rome 3
ê&le Pape Paul V. qui l'aimoit beaucoup, le prepofa à la revifion des expedi-
tions du Tribunal de la Penitencerie. Il eftoit fort confideré du Roy de France,
de tous les Ambafladeurs & de tous ceux du Confiftoire; de forte que dans le
temps qu'il avoit renoncé entierement à revenir à Paris , & qu'ils'eftoit établi
à Rome , il fut nommé , fans qu'il y penfaft, par le Roy Louis XIIL. à l'Eve£.
ché de Pamiers au commencement de l’année 1 62 6: Comme il faifoir dificulré
de fe charger d'un fi grand fardeau , le Pape l'y obligea d'autorité. 11 avoit
alors 59. ans, & il fut facré à Rome par le Cardinal de Marquemont Archevefque
de Lyon, affifté d'Atcilius Amaltheus Evefque d’Athenes, & d'Antoine Provana
B
6 ÉPEIN RIAD ESS RIONIDE
Archevelque de Dyrrachium en prefence de vingt-quatre Cardinaux , dans
lEglife de $. Louis, le Dimanche 17. de Septembre.
Il vint à Paris , où le Roy le receut avec des marques d’eftime tres-fin-
gulicres. Ee de là il f rendit à Pamiers, où il fi di entrée le 23. May
1627. Il pacifia les differends qui eftoient parmi les Religieux de l'Ordre
de Saint François appellez de l'Obfervance de la Province d'Aquitaine ;
ayant efté delegué par le Pape pour cette affaire, Le Duc de Rohan chef
des Heretiques entra dans Pamiers par trahifon. L'Evefque fe fauva par untrou
faicau mur. L'année fuivantele Prince de Condé ayant reprisla Ville, & les He-
retiques en ayant efté chaflez, excepté ceux qui fe convertirent, le Pape Urbain
VII. luy en écrivit des lettres de conjoüiffance , qui marquoient une eftime
extraordinaire de fon merite. Il faifoit frequemment des vifites dans fon Dio-
cefe , où il reftablic la difcipline , & ramena à la foy plus de treize cens Hereri-
ques. Il eftablit des Conferences dans fon Palais Epifcopal , qu'il fit conftruire
avec bien de la dépenfe. Enfüite eftant fort âgé, &ayant fait fon neveu {on
Coadjuteur, il revint à Paris pour fe donner tout entier à l'édition de fes Anna
les. Ce que le Pape approuva avec de grands éloges. Le premier Tome de fes
Anhales comprend ce qui s'eff pañlé depuis la crearion du monde jufqu'à la venuë
de Jefus-Chrift, & peut eftre confideré comme un abregé de celles de Torniel,
Le fecond & le troifiéme tome qui contiennent depuis la naïffance de Jefus-
Chrift jufqu'au Pontificat d'Innocent LIL font un abregé de Baronius. Et les
trois volumes qui fuivent fonc rous de luy & vont jufqu'en l’année 1640. Ouvra:
ge qui n’a point de pareil pour fon érenduë, laquelle n'eft pas moindre que celle
de tous les fiecles. IL mourut à T'ouloufe le 18. May 1643. & fur enterré dans l'E:
glife de S. Eftienne. Il laiffa à Bibliotheque aux Minimes de Touloufe,
QT
Pierre de Marca
cArcheveque de Pari.
| Il
À
fi
PIERRE DE, MA RC À
ARCHEVESQUE DE PARIS.
J Irrre DE Marca Archevefque de Paris naquit dans la Ville de
Gant proche de celle de Pau capitale de Bearn, de parens nobles &
qui fontremonter leur genealogie jufqu'au onziéme fiecle ; où un
M Garcias de Marca, Capitaine de Cavalerie,rendit de grands fervices
à Gafton Prince de Bearn. Il commença à y avoir des gens de
Robe dans cette famille en l’année 1444. Et celuy dont nous parlons naquit
en l'année 1594. Comme les Huguenots eftoient alors les maiftres dans
le Bearn, & que les Curés n'y failoient prefque aucune fonétion , fon pe-
re pour avoir la confolation de voir baprifer fon fils dans le fein de l'Eglile
Catholique , le fit porter au Monaftere de S. Pé de Gencrès du Diocele de
Tarbe , où il reçut le Baprefime des mains d’un Religieux de cette maifon, qui
par un efprit prophetique dit ces paroles aprés l'avoir baptifé: Tues Petrus, €
Jäper banc Petram adifcabo Ecclefiam meam. La fuite a juftifié l'heureufe applica-
tion de ces paroles. Car dés qu'il eut fair {es eftudes tant d'Humanité & de Phi-
lofophie que de Droit Civil & Canon , fa principale occupation fut de difpu-
ter contre les Huguenots & de les convertir: ce qu'il continua lors mefine qu'il
fur marié, & que es affaires domeftiques fembloient devoir le détourner de cet
employ. Il époufa fort jeune encore Marguerite de Fargues, iffuë de la maifon
des anciens Vicomtes de Layedan en Bigorre, qu'il perdit aprés quelques an-
nées de mariage. En ce temps-là le Roy ayant entrepris de reftablir les Eccle-
fiaftiques dans la poffeffion de tous leurs biens, dont les Huguenots s'eftoient
emparez, & certe affaire ayant trouvé de grandes difhcultez , le jeune Mar-
ca aydé de fon pete y feconda fi heureufement les intentions de Sa Majefté,
qu'elle fe cermina par la reflitution entiere de vous les biens des Catholiques.
Le Roy érigea alors le Confeil fouverain de Bearn en Parlement, & luyen don-
na gratuitement une charge de Prefident au Moïtier , qu'il exerça avec toute
la capacité & toute l'integrité qu'on pouvoit attendre d'un homme de fon
merite. Le Royayant perdu en l'année 1639. un procés dans fon Confeil d'E-
fat , & croyant l'avoir perdu injuftement, il s'en plaignit au Chancelier Se-
guier en prefence du Cardinal de Richelieu, & luy ordonna de choïfir deux
hommes de fçavoir & de pieté pour les mettre dans fon Confeil. En ce
temps-là Monfieur de Marca eftoit à Paris pour les affaires du Parlement de
Pau, &s'éroit fait connoiftre à Monfieur le Chancelier, quile crût en quelque
forte envoyé du: Ciel pour remplir uñe des places de Confeiller d'Eftar qu'il
avoit à donner, Ce fut en ce remps-là qu'il publia l’'Hiftoire de Bearn & du
Païs adjacent , Livre tres curieux & plein d'excellentes recherches, qu'il
dedia à Monfieur le Chancelier , en reconnoiffance des obligations qu’il luy
avoit, Il parût peu de temps aprés un Livre intitulé Opratus Gallus de caven
do Schifiate , qui avertifloit les Evefques d’un fchifme preft à éclorre, en inf
nuant que le Cardinal de Richelieu vouloit porter le Roy à eftablir un Patriar-
che en France , & l’on ajouftoit que le Cardinal devoit eftre ce Patriarche,
8 PILE RIRE DE MAR CU
Ce fut contre ce Livre que Monfieur de Marca compofa celuy De concordia
Sacerdotii @) imperii. Il s'agifloit de concilier les deux puiffances qui partagent
le monde, jaloufes naturellement l'une de l'autre, & d'en marquer précifément
les juftes bornes. Le parti que prie Monfieur de Marca fut ,non pas d'interpoler
fon jugement fur une affaire de cette confequence, mais de rapporter hiftorique
menttout ce quiss'eftoit paffé dans les démeflez que ces deux Puiffances avoient
eu,tout ce qui avoir cfté refolu dans la füitre desremps fur leurs prérogatives, mais
avec tant d'ordre & tant de netteté, qu'il en refulte fur chaque chef de contef.
tion, des refolutions aufli claires que s'il s'eftoit declaré luy-mefne dans les
termes du monde les plus déafifs On trouva qu'il avoit rendu au Pape tous
les honneurs & routes les prérogatives qui lui font deuës: en forte qu'on n'auroit
‘pi en exiger davantage du plis paflionné , mais raifonnable , de tous les Ita-
liens; & qu'en mefme, temps il avoit confervé les libertez de l'Eglife Gallica-
ne, & tout ce qui eft dû à l'autorité & à la Majefté de nos Rois, autant que
le pouvoit faire le cœur le plus François & le plus affeétionné à à patrie. Les
graces dont il fut comblé dans la füite, & de la part dé Rome & de la part du
Roy, feront des témoignages erernels de la farisfaction unanime de cés deux
Puiflances. La premiere. marque fut l'Evefché de Couferans , auquel le Roy
le nomma, & dont Sa Sainteté le pourvût avec des marques d'eftime tres-fin-
gulieres ; malgré la refiftance qu'y apportoit l'Ambaïffideur de Philippes IV.
Roy d'Efpagne , qui apprehendoit que le caraétere d'Evefque n'augmentât
dans l'efprit des Caralans l'autorité qu'il s'eftoit acquife fur eux par {à dou-
ceur & par fon équité. Cette Province s'eftant fouftraite à l'obeïffance du Roy
d'Efpagne, il y fut envoyé en qualité de Vifiteur General, avec ordre de pren-
dre connoiffance des affaires de la Juftice, de la Police & des Finances. Ilfçût
fi bien.les manier durant fept années, par fon affabilité envers les parties, &
fa fevetité plus apparente que veritable envers le public , qu'il acheva de ren-
dre certe Province enticrement affcétionnée à la France. Il fur fait Archevef.
que de Touloufe, & reçut le Palism. Tout le Diocefe en témoigna une joye
extraordinaire , & qui ne peut eftre comparée qu'à la douleur qu'il reffentit
quand il fut appellé à l'Archevefché de Paris. Tant de vertus & tant de gran:
des qualitez n'empefcherent pas qu'on ne fit contre luy des libelles diffama.
toires, qui furent condamnez à Rome Fate brûlez publiquement à Paris; {ur-
quoy il dit agreablement qu’on voyoit en cela une fuite de la concorde du Sa-
cerdoce & de l'Empire. Le Roy le fit Miniftre d'Effat pour Le retenir à Paris &
dans fon Confeil. Enfuite il fur admis au Confeil de confcience avec Monfieur
Hardotin de Perefixe alors Evefque de Rhodez & le Pere Annar. Il fucenfin
nommé Archevefque de Paris, & eftant malade peu de temps aprés de la ma:
ladie dont il mourut, il eut la confolation de recevoir avant {à mort une Let.
tre du Pape Alexandre fepriéme, par laquelle il approuve ,avec de grandsélo-
ges, la nomination du Roy. Il mourut à Paris le 20. Juin 1662. âgé de 69, ans,
& fut en cetce qualité encerré dans le chœur de Noftre-Dame.
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JEAN PIERRE CAMUS
EVESQUE DE BELLEY.
Ean Pierre Camus, fut nommé à l'Evéché de Belley
par Henry IV. en l'année 1609. &fut facré le 30. Decembre
de la même année par Saint François de Sales, Ce fut un veri:
table Evêque de quelque côté qu'on le regarde, foit pour fa
fcience, particulierement dans les matieres Ecclefiaftiques, foi
our fon zele à inftruire & à convertir les ames, donnant tout
le temps que la conduite de fon Diocele luy pouvoit laiffer , ou à compofer
des livres pour l'édification des Fideles, ou à prefcher avec une ardeur & une
charité qui attiroit & touchoit tout le monde. Son zele s’alluma particuliere
ment contre la faineantife & la morale relâchée de quelques Moines de fon
temps; &ilne cela de déclamer contre eux, & de vive voix, & par des livres
prefque fans nombre. Le Cardinal de Richelieu preflé & dei par ces
Moines, d'obliger ce bon Evêque à ne plus prefcher ny écrire contre eux, tira
parole de luy, qu'à l'avenir il les laifferoit en repos , & luy dit ces paroles: Je
ne trouve aucun autre defaut en vous, que cet horrible acharnement contre Îles
Moines, & fans cela je vous canoniferois. Monfieur de Belley que fa grande
picté n'empéchoit pe d'être fort agreable dans fes réparties , luy répondit :
Plût à Dieu, Monfcigneur, que cela pôt arriver, nous aurions l’un & l’autre
ce que nous fouhaitons ; vous feriéz Pape, & je ferois Saint.
Il écrivoit avec une facilité incroyable, & le nombre des Livres qu'il a com-
polez eft étonnant. Son ftyle quoyque peu châtié, plaifoit dans ce tempsB,
& on aimoit la hardieffe de fes métaphores quoy qu'un peu entaflées les unes
fur les autres, à caufe de l'abondance agréable des images qu'elles forment,
& du grand nombre de chofes qu'on y apprend tout à la fois.
Dans ce temps les Romans vinrent fort à la mode , ce qui commença par
celuy de l'Aftrée, dont la beauté fit les délices & la folie de toute la France ;
& même des Païs étrangers les plus éloignez. L'Evêque de Belley ayant con-
fideré que cette lecture étoit fort contraire à l'efprit du Chriftianifme, & que
rempliflant l'efpric des fentimens de l'amour profane , elle étoit un obftacle
au progrés de l'amour de Dieu dans les amesi mais ayant confideré en mefme
temps qu'il eftoit comme impoffible de détourner les jeunes gens d'un amu-
fement fi agreable & fi conforme aux inclinations de leur âge, il chercha les
moyens de faire diverfion, en compofant des hiftoires où il y eùt de l'amour,
& qui par À fe fifent lire; mais qui élevaflent infeñfiblement le cœur à Dieu
par les fentimens de pieté qu’il y inferoit adroitement, & par les cataftrophes
chreftiennes de toutes leurs avantures: car toûjours l'un ou l'autre des Amans,
ou tous les deux ehfemble , ayant confideré le néant des chofes du monde ME
malice des hommes, Le peril que l'on court fans ceffe de fon falut, en mar
chant dans les voyes du fiecle, prenoient la refolution de fe donner entiere.
ment à Dieu, eh renonçant à toutes chofes, & en embraffant la vie Religieufe.
Ce fut un heureux artifice que fon ardente charité qui le rendoit tout à ous ,luy
9
JEAN PIERRE CAMUS
EVESQUE DE BELLE.
EAN Pierre Camus, fut nommé à l'Evéché de Belley
par Henry IV. en l'année 1609. & fut facré le 30. Decembre
de la même année par Saint François de Sales. Ce fut un veri
table Evèque de quelque côté qu'on le regarde, foit pour fa
fcience, particulierement dans les matieres Écclefiaftiques, foi
pour fon zele à inftruire & à convertir les ames, donnant tour
le temps que la conduite de fon Diocele luy pouvoit laiffer , ou à compoler
des livres pour l'édification des Fideles, ou à prefcher avec une ardeur & une
charité qui attiroit & rouchoit tout le monde. Son zele s’alluma particuliere.
ment coûtre la faineantife & la morale relâchée de quelques Moines de fon
temps; &ilne cefla de déclamer contre eux, & de vive voix, & de des livres
prefque fans nombre. Le Cardinal de Richelieu preflé & perfecuté par ces
Moines, d'obliger ce bon Evêque à ne plus prefcher ny écrire contre eux, tira
parole de luy, qu'à l'avenir il les laifferoit en repos , & luy dit ces paroles: Je
ne trouvé aucun autre deffaut en vous, que cet horrible acharnement contre les
Moines, & fans cela je vous canoniferois, Monfieur de Belley que fa grande
picté n’empéchoit ie d'être fort agreable dans fes reparties, luy répondit
Plûr à Dicu, Monfeigneur, que cela püt arriver, nous aurions l’un & l’autre
ce que nous fouhaitons, vous feriez Pape, & je ferois Saint.
Il écrivoit avec une facilité incroyable, & le nombre des Livres qu'il a com-
pofez eft étonnant. Son ftyle quoyque peu châtié , plaifoit dans ce temps,
& on aimoit la hardiefle de fes métaphores quoy qu'un peu entaflées les unes
fur les autres, à caufe de l'abondance agréable des images qu'elles forment,
& du grand nombre de chofes qu'on y apprend tout à la fois.
Dans ce temps les Romans vinrent fort à la mode ; ce qui commença par
celuy de l'Aftrée, dont la beauté fic les délices & la folie de toute la France ,
& même des Païs étrangers les plus éloignez, L'Evêque de Belley ayant con-
fideré que cetce le&ture étoit fort contraire à l'efpric du Chriftianifime, & que
rempliffant l'efbrit des fentimens de l'amour profane , elle étoic un obftacle
au progrés de l'amour de Dieu dans les ames: mais ayant confideré eh mefme
temps qu'il eftoit comme impoflible de détourner les jeunes gens d'un amu-
fement fi agreable & fi conforme aux inclinations de leur âge, il chercha les
moyens de faire diverfion, en compofant des hiftoires où il y eût de l'amour,
& qui par À fe fiflent lire, mais qui élevaffent infenfiblement le cœur à Dieu
par les fentimens de pieté qu'il y inferoit adroitement, & par les cataftrophes
chreftiennes de toutes leurs avantures: car toûjours l’un ou l’autre des Amans,
ou tous les deux chfemble , ayant confideré le néant des chofes du monde, la
malice des hommes, le peril que l'on court fans cefle de fon falur, en mar-
chant dans les voyes du fiecle, prenoient la refolution de fe donner entiere.
ment à Dieu, en renonçant à toutes choles, & en embraffant la vie Religieufe:
Ce fur un heureux artifice que fon ardente charité qui le rendoit tout À tous ,luy
LL) JEAN PIERRE CAMUS. ,
fr mveñter & mettre heureufement en œuvre; car {es livres parent dañs les
mains de toutle monde, & comme ils eftoient pleins non pro d'incidens
fort agreables ; mais de bonnes maximes tres utiles pour la conduite de la vie, ils
firent un fruittres confiderable | & furent comme une efpece de contrepoifon à
la lecture des Romans. :
I nous refte plufieurs lettres qu'il écrivit à Saint François de Sales, & plu-
Heurs que cémefme Saint luy écrivit, où l’on voit de part & d'autre des mar.
ques d’une picté digne des premiers fiecles de l'Eglife. En l’année 1620. il éta-
blit dans là Ville de Belley un Couvent de Capucins , & en l'année 1622. il y
en établit un de Filles de la Vifitation, inftituées par faint François de Sales,
IL£e démit de fon Evéché en l'année 1629. en faveur de Jean de Paffelaigue qui
luy fucceda & fe contenta de l'Abbaye d'Aunay en Normandie ; de l'Ordre de
Cifteaux, où il fe retira pour travailler plus fortement à fa propre fandifica-
tion. Mais l’Archevéque de Roïüen François de Harlay , ne pur le voir inutile
à l'Eglife, & connoiffant {es talens l’affocia à fes foins UE le fai-
fant {on grand Vicaire. 1] Sacquitta de tous fes devoirs ; avec une vigilance
vrayement paftorale, & qui ne fe demenitoit point de celle avec laquelle il avoit
conduit {es propres oüailles ; mais comme l'élevation.& les plus grandes di-
gnitez n’avoient jamais eu de charmes pour luy, & qu'ilavoit toûjours aimé la
pauvreté dans laquelle J. Ca vêcu & qu'il a honorée de tant d'élopes, il vint
établir fa demeure dans l'hôpital des pauvres Incurables du faux-bourg faint
Germain à Paris, pour y mourir avec eux. Ce bonheur, car c'eft ainfi qu'on
doit parler de la mort d'un auff faint Evefque, luy arriva le 26. Avril 1652. en
la foïxante & dixiéme année de fon âge, & il fouhaita d'eftre enterré dans le
même lieu. Ce furun des plus dignes Évêques quela France ait jamais eus, &
dont le zele à infpirerle veritable amour de Dieu, n’a gueres eu de femblable,
Un peu avant fa mort il fur nommé par le Roy à l'Evefché d'Arras,
VU
|
Û
!
|
ANTOINE GODEAU
EVESQUE DE VENCE.
Nroirnws Gopeav, iflu d'uné des meilleures familles de
Dreux, donna des marques de la beauté de fon efprit, dés les
premieres années de fa vie. Son genie le porta d'abord à cultiver
la Poëfie Françoife, où il fe fit admirer par les beautez origi.
nales & naturelles dont fes ouvrages eftoient remplis. On luy
doit en quelque façon la naiffance de l'Academie Françoife , dont il a été un des
plus dignes membres , non feulement parce qu'ileftoic un de ceux qui s'affemble-
rent les premiers chez Monfieur Conrart , pour y conferer de leurs études , &
pour y lire les pieces de leur compofition ; mais parce que la beauté de fes
poëfies, qui plürent extremement au Cardinal de Richelieu, contribua beau-
coup à faire prendre à ce grand Miniftre la refolution de faire l'établifiement
de cette Compagnie:
Il compola entre autres chofes une paraphrafe du Cantique Besedicite omnia
opera Dominé Domino, où toutes les creatures font invitées à loüer le Seigneur.
Cét ouvrage eft fi fingulier par la beauté majeftueufe des defcriptions ou plütôt
des definitions de tous les eftres de la Nature, qu’on ne le peut lire fans eftre faif
d’admiration, furtant deñobles & d’heureufes expreflions. L'attenrion que ce
poëme attira fur le merite de l'Auteur, fit remarquer en luy un grand nombre
d’autres bonnes qualitez ; dont chacune nele cedoit en rien à fa poëfic, pour le
degré d'excellence où il les pofedoit. Son éloquence qui acheva de {e montrer
dans la chaire & fa pieté folide qui éclatoit dans toutes fes aétions , porterent le
même Cardinal de Richelieu à le propofer au Roy pour l'Evêché de Grafle , en
quoy ce grand Miniftre füivit la pente naturelle qu'il avoit à recompenfer le
merite, & fur tout à donner à l'Eolife des Miniftres dignes de leur miniftere.
En l’année 1636. il fut nommé à cer Evefché, & fut facré à faint Magloire au mois
de Decembre de la même année par les Evefques de Chartres, de Dardanie &
de S. Papoul. Dés qu'il fut dans fon Evefché, il y prefcha avec une éloquence
toute Chreftienne ; qui le fit admirer & aimer de tout fon peuple; &ily vint
plufeurs Synodes où il rétablit la difcipline qui s'eftoit relàchée en plufieurs
endroits de fon Diocefe. Il réunit à l'Evefché de Grafle, en vertu du droit de pa-
tronage la Ville d'Antibes, qui depuis que le fiege Epifcopal de Vence avoit efté
a À Grafle, n'avoir efté d'aucun Diocefe, & par cemoyenil y fit revivre la
difcipline Ecclefiaftique dont il n’y reftoit plusaucun veitige. Le Pape Innocent
X. luy avoitaccordé des Bulles pour réunir en fa faveurles Evêchez de Vence &
de Graffe, ainfi que Clement VIII. l'avoit fairà Ja priere de fon predecefleur. Ce-
pendant ayant vû que le Clergé & le peuple de Vence n’y confentoient pas debon
cœur il aimamieux, quoique les deux Evefchez ne valuflent pas dix mille hvres
de revenu, qu'ils n'euffent pasenfemble trente Paroiffes, & que la ville de Vence
& celle de Graffe ne fuffent éloignées l'une de l’autre que de trois lieués au plus;
raifonstres fortes pour aütorifer la réunion: Il aima mieux dis-je, ceder l'intereft
u'ily avoit, & fe contenter de l’Evêché de Vence, que de n'eftre pas agrea-
ble à quelques-uns de fes Diocefains,, & fur tout d'avoir à pourfuivre un procez;
à ANTOINE GODEAU.
chole non moins oppofée à fon naturel & à fà pieté, qu'aux fonctions paifibles
du faint Epifcopat )
Touré fa viefe paffà , ou à vifiter fon Dicéele; où à prêcher, ou à lire, ou à
écrire; & quañd on voudra examiner tant de diveres occupations , on aura de la
peine à comprendre où ila pris dutemps pour fatisfaire à toutes.
Ses principaux ouvrages font une hiftoire Ecclefiaftique entrois volumes, dont
k ftyle, foit pour l'élegance, foir pour la netteté a peu d'égaux, & en rend la
leture aufli agreable qu'elle eftutile. Des paraphrafes des Epftres de faint Paul,
où avec peu de paroles qu'ilyajoûte, pour fervir de liaifons & de tranfitions,ilen
fait voir nettement toute l'æconomie qui dans le texte échappe fouvent aux
plus habiles & aux plus attentifs, &enfinfes Eglogues Chreftiennes, qui prefque
toutes fur le modele & dans l'efprit du Cantique des Cantiques, rempliffent le
cœur d'une fainte joye, & y allument les flammes du divin amour. Cepeñdant
malgré la grande reputation qu'ont eu ces Eglogues fes Paraphrafes de rous
les Pfcaumes de David , & plufieurs Poëmes Chrétiens qu'il a compofez, il
seft trouvé un homme affez temeraire pour foutenir que Monfieur Godeau
n'avoit aucun naturel pour la poëfie, & pour faire imprimer un libelle avec ce
üitre Godellus utrum Poëta > 1] n'eft pas croyable combieh le Public, & par-
ticulierement ceux qui‘avoient du gouft pour la Poëfie furerit fcandalifez de
ce libelle ; qui n'eut point d'autre effet que de caufer beaucoup d'indigna-
tion, & de faire voir qu'il n'y a rien de fi évident ny de fi bien eftabli dans
l'opinion des hommes dont quelqu'un ne puifle foûtenir lé contraire. 1] far
attaqué d'Apopléxie le jour de Palques 17, Avril 1672. &mourûr à Vence le 2r,
du mefme mois, agé de 67.ans.
13
JEAN FRANCOIS SENAULT
GENERAL DE LORATOIRE.
UanD ze PERE SE NAULT commença à prefcher;
on remarquoit trois défauts bien confiderables dans la pluf:
part des Predications de ce temps-là. Nulle methode dans le
difcours , un grand étalage de la Science profane, enforte que
Senéque y étoit cité plus fouvent que Saint Paul, Ciceron que
Saint Augullin, & les Poëtes Latins plus que tous les Prophetes ; & enfin de
la plaifanterie qu'on y croyoit neccflaire pour attirer la bien-veillance & l'at-
tention des Auditeurs.
Le Pere Senault purgea la Chaire de ces trois defordres , & fübftirua en
leur place la methode, là pure Doûrine de l'Evangile expliquée par les Peres,
& la gravité que demande l’augufte miniftere de la Predication. C'eft le témoi.
gnage que tout le monde luy en a rendu, & particulierement le Pere de Lingen:
des, quoique fon concurrent alors dans la gloire de l'éloquence de la Chaire.
Son pere Pierre Senault Secretaire du Roy, & Commis au Greffe Civil du Par:
lement de Paris, eut le malheur d’eftre du parti de la Ligue, & d’avoir été le'plus
fameux des feize Chefs qu'elle avoit à Paris, mais fon fils n’herita point de {es
fentimens, & fut, comme la Reine Anne d’Auftriche luy a dit plufieurs fois,
autant attaché à la bonne caufe & au bon parti, que fon pere s'en étoit éloigné.
Il commença fes études dans l'Univerfité de Doüay, & vint les achever dans
celle de Paris. Il s’y rendit fi habile, que le Cardinal de Berulle qui travailloit
alors à établir la Congregation de l'Oratoire, charmé de fa modeftie & fur rout
de fa pieté, le choifit pour eftre un des premiers fujets de fa Congregation. Il fut
employé d'abord à enfeigner les Humanitez , & enfuite la Rhetorique dans les
Colleges les plus celebres de cette Compagnie. Le talent qu'il avoit pour l'Elo-
quence ayant paru dans ces exercices, fes Superieurs l'engagerent à fe donnet
tout entier à la Predication, où il s'eft rendu un des premiers hommes de {on fie-
cle. Il travailla douze ouquinze ans, de fon propre aveu; à fe former le file, & à
polir fon langage fans néanmoins difcontinuer l'étude de la Theologie , de l’Ecri-
ture & des Saints Peres ; où il fe fit un fonds inépuifable de do@trine qui a fourni
à quarante Carefmes a a prêchez, la plüpart à Paris dans les plus grandes Chaï.
res, à la Cour & dansl’Eglife de l'Oratoire de S. Honoré où les Reines vehoient
ordinairement l'entendre, & où il y avoit un tres-grand concours d’Auditeurs,
1l avoit en Chaire l'air modefte, humble & majeftueux tout-enfemble, la voix
nette & fonore , le gefte noble & reglé, & une clarté dans le difcours, qui mal-
gré la force de fes expreffions & la fublimité de fes penfées le rendoit aufliintel_
ligible aux efprits les moins éclairez qu'aux genies les plus vifs, les plus vaftes
& les plus tranfcendans , & c’eit dans cette partie qu’il a excellé davantage,
quoy qu'admirable en toutes les autres. Sa vertu ne l'a pas rendu moins recom-
mandable que fon éloquence, Il n’y a point eu de defordré ni de vice, Fuie
part qu'il air efté placé , qu'il n'ait attaqué avec toute la force & toute la yche.
mence d’un veritable Predicateur de l'Evangile, Cette liberté chrétienne venoit
D
à% GENERAL DE L'ORATOIRE. F
‘de {6n parfait defintereffemenr. Le Cardinal Mazarin luy ayant dit qu'il étoit
fafché qu'on eût tardé fi lonotemps à rendre juftice à fon merite, & qu'il n'avoit
u’à luy declarer ce qu'il fouhaitoit ,& qu'il le demanderoit au Roy avec plai-
d ; il le remercia dea-bonté, & le pria de-ne point importuner le Roy pou
un homme qui étoit content, & qui dans fon étar s'eltimoit plus heureux que
fon Eminence. La Reine Mere luy ayant envoyé le Brevet d'un Evefché, avec
afleurance de luy donner le meilleur de la Province s'il venoit à vaquer,, il le
luy renvoya, ayant mieux aimé demeurer fimple Preftre, que de fe voir élevé
aux dignitez les plus éclatantes ; en quoy il avoit raifon non feulement pour
la feureré de fa confcience , mais pour continuer à rendre plus de fervice à
lEglife ; en préchant de tous coftez , qu'il n’auroit fair en {e renfermant dans
l'étenduë d’un feul Diocefe. ‘
… Dans ce deflein d’eftre utile à tout le monde , il s’'appliqua, lors qu'il
fat él Superieur de S. Magloire ; à former de jeunes Ecclefiaftiqués à là Predi.
cation; il leur donnoit des Regles & leur fournifloit des matieres dans des Con:
ferences publiques où .il les exerçoit aprés leur en avoir donné l'exemple,
C'eft de fon école que font fortis les Peres le Boux ; Mafcaron & Soanen ; de:
puis Evêques de Perigueux, ‘d'Agen & de Senés, & tant d’autres Predicateurs
celebres qui rempliffent encore aujourd’huy les plus grändes Chaires; les Peres
Hubert, de la-Roche ; de là Tour, & plufieurs autres. Ha vouluaufi f rendre
utile aux fiecles à venir par plufieurs excellens Ouvrages qu'ila laiflez; La Para.
Phrafë de Tob ; qui en confervant toute la majefté & la grandeur de fon Original,
en a éclairci roures les obfcuritez ; Le Traité de l'afage des Paffions qui a efté
traduit en toutes fortes de langues; un Livre de l’'Homine Criminel ; un autre de
l'Homme (hrétien ; un autre du Monarque ; & un grand nombre de Panegyri=
ques de Saints ; tous Ouvrages également pleins de pieté & d'eloquence. Il
n'étoit pas né feulement pour inftruire, mais pour conduire auffi, ce qui parut
lors qu'il fut élû Gencral de fon Ordre, dont il fu coûjours honoré comme le
Superieus ; & cheri comme le Pere. Il foûtenoit luy {eul tout le poids des af
faires , & répondoit de fa propre main à toutes les lettres qu'il recevoir ; qui
Mmontoient à plus de trois cens par femaine , perfuadé que c’eft donner une
grande confiance aux inferieurs , que de leur faire entendre qu'iln'y a que leur
Superieur qui ait connoiflance des choles qu'ils luy mandent. Il avoit tant d’hon.
nefteré pour vous les Peres de fa Congregation que jamais il n’en a chargé au-
cun de quelque employ que ce fuft qu'il ne l'euft fait preffentir auparavant s’il
l'auroit agreable. 11 mourur le troifiéme jour d’Aouft 1670. âgé de 71. ans , d’une
apoplexie, qui l'attaqua fubitement , & l'enleva en quatre jours. Il rendit par-
ticulierement graces à Dieu de ce qu'il mouroit fans avoir jamais poffedé au
cune Charge ni aucun bien de l’Eglie, ayant, difoitil, coûjours redouté les digni-
tez & les commoditez des grands Benefices, comme ce qu'il y a de plus he
gereux dans le monde. Il eft enterré au milieu de l'Eglife de l'Oratoire de s.
‘Honoré, où fon Oraifon funcbre fur prononcée par l'Evêque d'Aire, qui avoit
efté fon Difciple en Eloquence , connu fous le nom de l'Abbé de Fromentieres
avant qu'il für Evêque , en prefence de plufiewrs aurres Prelats , & d'une af.
fluence incroyable d’Audireurs.
if
LOL ES ET O M'A IS"S:TI IN
PRESTRE DE LORATOIRE.
Ovre la vie du Pere Thomaflin a efté fi uniforme, qu'il fem-
ble d’abord que fon éloge fe puifle faire en peu de mots ; car
ayant efté mis en penfion dés fon bas âge chez les Peres de l'O-
ratoire où il eft mort; il ne s’y eft occupé à autre chofe qu'à la
; Priere &à l'Etude : mais l'abondance incroyable des connoiffan-
ces qu'il s’eft acquifes par l’Eftude eff fi grande, que fi j'entreprenois d'en fai.
re le détail , comme il {eroit en quelque forte neceflaire pour donner une jufte
idée de cet excellent homme, j'excederois de beaucoup les bornes que je me
füis prefcrites dans ces éloges.
Dés qu'il Le fur rendu familieres les premieres fciences que l'on enfeigne ,
les Humanitez , l'Eloquence & la Philofophie, il s’appliqua à les enfeigner aux
autres, en quoy il ne réüffit pas feulement à faire d'excellens Ecoliers, mais à
fe perfectionner luy-même dans ces fciences: fon efprit vif & profond ne pou.
vant craitter une matiere qu'il n'y fit quelques nouvelles découvertes. Mais
comme fon inclination &fà picté le portoient uniquement à l'étude de la Theo:
logie , il s'y donna bien-tôr tout entier, particulierement à celle qu'on nomme
pofitive, & qui a pour fon principal objet l'Ecriture, les Peres & les Conci-
les. Lorfque le Pere Petau eut publié {on Livre des Dogmes , il fe fortifia dans le
deffein, non pas d'aller fur les brifées de ce fçavant homme qui en a fait l'hi-
ftoire avec toute l'exactitude & toute la connoiffance de l'antiquité que deman.
de une fi belle & fi vafte entreprife , mais d'entrer par fes reflexions dans la
connoiffance des myfteres renfermez dans ces mêmes dopmes. Le premier a eu
la gloire d'avoir traité cette matiere importante en excellent Hiftorien ; & le
fecond, d’avoir penetré heureufement dans ce que les Myfteres ont de plus ca-
ché & de plus fublime ; fur tout à l'égard de l'Incarnation où l'on ne peut voir
fans eftre ébloüi, les rapports, les convenances, les deffeins, les vüés, & les au-
tres merveilles qu'il y découvre. Vers l'année 1654. il enfeigna la Theologie au
Seminaire de S. Magloire, & y commença des Conferences fur les Peres, fur
l'Hiftoire & für les Conciles qu'il continua jufqu'en l'année 1668. A cette occu-
pation fucceda quelque loifir, mais un loifir coûjours laborieux & jamaisvuide,
car 1l fut engagé par de grands Prelats, qui avoientheaucoup d'eftime pour {on
merite, & par les Superieurs de l'Oratoire à donner au Public les Ouvrages
qu'ilavoit compofez. Ses Memoires fur la Grace, & les Differtarions fur les Con.
ciles avoient déja paru; ils furent fuivis des dogmes Theologiques dont nous
avons parlé, des mêmes Memoires fur la Grace, mais beaucoup augmentez, des
Livres de la Difipline, & de divers Traitez fur le Jeüne, fur les Fetes, fur l'Office
divin, fur l'Unité de l'Eglife, furla Verité & fur le Menfonge, fur l'Aumône &le
bon ufage des biens cemporcls. On remarque dans tous ces Ouvrages un aflem-
blage heureux & éronnant de l'érudition facrée & de l'érudition profane; & quand
le fujet Le permet, on voirl Auteur remonter avec une force & une penetration in
croyable dans tout ce que la Philofophie des Platoniciens a eu de plus fublime.
Peu fatisfait desremarques qu'il avoit faites autrefois fur les Auteurs profanes,
il les relut de nouveau , & donna enfuire la methode de lire & d'étudier chré-
tiennement les Philofophes, les Hiftoriens & les Poëtes. Il a démeflé admirable-
ment bien ce que la fuperitition & l'erreur ont répandu dans leurs Ouvrages,
Di
16 LOUIS THOMASSIN PRESTRE DE L'ORATOIRE.
d'avec es fentimens de Religion & lesveritez que la lumiere naturelle, la tradi
tion de vous les Peuples, la communication des Ecritures, & la converfation des
Hébreux leur avoit fournis. La fagefle, la moderation & la pieté folide qui re-
gnent dans tous ces Ouvrages, les ont fait admirer de toutes les nations de l'Eu-
rope : & les Nonces ont donné plufieurs fois des marques de l’eftime qu'on en fai
foit à Rome par les vifites dont ils ont honoré leur Auteur. Le Pape Innocent XI.
témoigna vouloir {e fervir de fon Livre de la Difcipline pour le gouvernement
de l'Eglife, & tâcha de l’atrirer à Rome : mais fur la propofition qui en fut faire
au Roy de la part du Cardinal Cibo, la réponfe fut qu'un tel Sujerne devoir pas
{ortir du Royaume. Cette réponfe donna au Pere Thomaflinune des plus grandes
joyes qu'il ait euës dans {à vie, &affeurément fi le Pape l’eût fait Cardinal, com-
me on affeure qu'il a témoigné plufieurs fois en avoir le defféin il eut beaucoup
fouffert, car la vie privée &retirée faifoit routes {es délices ; cependant pour mar-
quer fa gratitude au S. Pere, iltraduifit en latin lestrois Tomes de la Difcipline,
comme on le fouhaitoit dans tous les pays étrangers.
Enfüite de-cette Tradudtion, il reprit l'étude de la Langue Hebraïque, où il a
donné plufieurs années; perfuadé que cette Langue eft la mere de toutes les
autres. Il -compofa ; pour le faire voir, un Gloffaire univerfel, où il les fair
routes fortir de l'Hcbreu, comme de leur commune fource: On acheve d'im-
primer ceGloflaire au Louvre, & c’eft le dernier de fes Ouvrages. Peu de temps
aprés fes forces diminuerent fenfiblement, & il vit obligé de renoncer À toute
forte d’étudeun peu pénible. 11 fit à Dieu un facrifice de cet étar qui édifia en-
core plus le Seminaire de $. Magloire où il étoit, que tous fes travaux &toutes
{es veilles. Son épuifement alla toûjours en augmentant pendant prés de trois an:
nées, jufqu'à ce que, les forces & la parole luy ayant manqué , il cefla de vivre le
24. jour de Decembre 1695. Le Curé de faint Jacques du Haut-pas proche de faine
Magloire fit fon éloge au Profne le lendemain jour de Noël, où il declara ce qu'il
avoit efté obligé jufques-là de tenir caché, que le Pere Thomañfin luy avoit don-
nétous les ans pour les Pauvres, la moitié de la penfion de mille livres qu'il re-
cevoit du Clergé. Quoy qu'il faft naturellement propre, ilaimoit la pauvreté dans
{es habits, dans fes meubles, & dans tout ce qui regardoit fa perfonne, & il auroit
voulu n'eftre jamais témoin des diftinions que les dignitez de quelques-uns de
fes Parens leur donnoient dans le monde: car il eftoit d’une Famille remarquable,
foit dans l'épée, foit dans la robe; on compte jufqu'à vingt Prefidens ou Con-
fcillers de ce nom dans le Parlement d'Aix,
Sa vie fut toûjours extrêmement reglée. Qui le voyoit un jour, pouvoit fcavoir
de quelle forte il paffoit tous les autres. Aprés l'Oraïfon & la Mefñe il employoit
quatre heures à l'étude le matin, & trois heures l'apréfdinée. 1 failoit {es prieres
coûjoufs aux mêmes heures, & nulle vifite, fans un preflant befoin , ne dérangcoit
{es exercices.
L'innocence de fa vie ne iuy laifoit voir que le bien dans tout ce qu'il regar-
doit ; dans les Livres, dans les Auteurs, dansles Perfonnes, dans les Communau.
rez, & dans les Ordres. Sa converfation étoit douce, agreable, inftruifante. Pene.
tré de la Religion qu'il aimoit fouverainement , il la trouvoit, & la faifoit trouver
par tout. Les penfées les plus chrétiennes naïfloient naturellement dans fes entre.
tiens ainfi que fous la plume. Ce qu'il y a de plus profane dans les Auteurs pre-
noit un fens édifiant en paffant ou par {à bouche , ou par fes mains. Tout marquoit
qu'il portoit Jefus-Chrift dans le cœur, & qu'il ne cherchoit que la gloire de fon
Églife. Ce tour d'efpri fi élevé & fi chrétien , joint à une profondeur de fcience
prefque fans limites, faifoit le caraétere particulier de cer excellent homme.
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JACQUES SIRMOND
JESUITE.
AcQues SrRMOND nâquit à Riom en Auvergne ch l'an:
née 1558. de parens confiderables, qui ayant remarqué en luy
dés fon bas âge une vivacité d’efprit furprenante, prirent foin
de le faire inftruire par d'excellens Maiftres. Il profita fi bien
| de leurs enfeignemens, que n'ayant que quinze ans il eftoit luy-
même capable d'inftruire les autres : Car s’eftant fait Jefuite à
cet âge-là, il fu obligé par fes Superieurs dés qu'ils l'eurent reçüû , d’enfeigner
les langues Grecque & Latine ; ce qu'il fit pendant quelques années avec un
fuccez extraordinaire. Il eut l'honneur d’avoir pour difciples Charles de Va-
dois Duc d’Angoulefme, fils naturel de Charles IX. & Saint François de Sales
Evefque & Prince de Genéve. Il eut pour amis Pierre Pithou & Nicolas le
Fevre Precepteur de Loüis XIIL. qui ont rendu l’un & l'autre des témoignages
authentiques de l'eftime finguliere qu'ils faifoient de fon merite. Eftant allé à
Rome à l'âge de trente-deux ans, le General de fon Ordre Claude Aquaviva
le fit fon Secretaire , & l'aima tendrement à caufe de fon extréme diligence,
& fur cout pour le don qu'il avoit de prendre parfairement dans fes Lettres
le fens & l'intention de {on General.
Comme il avoit toûjours eftimé qu'il n’y avoit que deux chofes qu'un hom:
ne fage püt fouhaiter , & qui fuflent capables de le rendre heureux : la doctrine
& la vertu , il ne s’attacha qu'à acquerir ou à augmenter ces deux crefors in-
comparables ; & parce que la connoiflance de toutes les fciences eft d’une
érenduë qui furpañle celle de l'efprit humain , il crut devoir fe retrancher à
l'étude de l'Hiftoire Ecclefiaftique comme la plus convenable à fon état, & la
plus utile à l’Eglife. Quelque progrez qu'il y fit, il ne fut point tenté dans tout
le cours de fa jeunefle de faire imprimer aucun Ouvrage par refpe& pour le
Public, à qui il croyoit qu'il ne falloit rien donner qui ne fe fentît de la ma-
turité de l’âge de fon Auteur. Il commença par mettre au jour plufieurs Auteurs,
qui fort obfcurs & renfermez dans la poudre de quelques Bibliorheques , né.
toient d'aucune utilité. Il les éclaircir d'une infinité de Notes tres-fçavantes, &
par à il les rendit plus utiles qu'ils ne l'avoient jamais efté. Son plus grand
Ouvrage fut la Collection de tous les Conciles de l’Eglife Gallicane qu'il dedia
au Roy. Le Cardinal de Richelieu touché de la même admiration que toute la
Nation des Sçavans , n’oublia rien de ce qui pouvoit marquer l’eftime qu'il
faifoit d'un Ouvrage de cette confequence.
Il écoit d'une force finguliere dans les difputes ou de Controverfe ou de Lit-
rerature , & il n'eft prefque jamais forti que vainqueur de ces fortes de com.
bats. Entre plufeurs qu'il foûtint glorieufement, il y en eut deux tres-celebres,
& qui luy acquirent une tres-grande reputation, Le premier fut contre Jacques
Godefroy un des plus fçavans hommes du fiecle , qui armé de l'autorité de Ru.
fin combattoit fortement la jurifdiction du Pape fur les Provinces qu'on appel-
le fuburbicaires. Les argumens de cer Adverfaire paroifloient invincibles, non
feulement au commun des Sçavans , mais au Cardinal du Perron même recon-
E
JACQUES SIRMOND.
au pour le plus habile & le plus éclairé qu'il y eût alors dans les matieres Eccie-
fiaftiques. Cependant le Pere Sirmond démefla le nœud de la queftion fi.nec-
tement par trois Traitez qu'il dofna l'un aprés l'autre, qu'ilramena tout le mon.
de à fon avis, quieft aujourd’huy celuy de cousles.S çavans fur cette difficulté. La
feconde difpute qu'il eur, fut encore plus célebre , & d’une difcuffion plus difficile.
Dani la premiere il avoit de fon parti tous les Catholiques; dans la feconde il'avoir
affaire contre Petrus Aurelius Catholique ; & de plus défenfeur declaré du droir
des Evêques , ce qui luy attiroit les fuffrages de la plus grande partie du Cler:
gé & des Ecoles de Theologie. Ce Petrus Aurelius étoit l'Abbé de $. Cyran, qui
s'étoit caché fous ce nom, aprés eftre, convenu avec Janfenius Evelque d Y-
res, de partager entr'eux le nom de $. Auguftin ; l'un prenant Aurelius, &
be Auguftinus, ainf l'Abbé dé 8. Cyran mit le nom d’Aurélius à fon Livre,
& Janfenius mit au fien celuy d'Auguftinus. Le.Pere Sirmond étoic accufé de
n'avoir pas efté fidéle dans l'édition des Conciles de J'Eglife Gallicane , non
feulemeñt en quelques endroits , mais dans toute la mafle de l'Ouvrage : c'é-
toient les propres mots de fon adverfaire. Il fatisfit de telle forte. À toutes les
objections quiluy étoient faites , qu'il en reçut detres-grands applaudiffemens.
: Quelque docte qu’il fût, la force & la folidité de fon jugement furpafloient en.
core toutes les lumieres de fa fcience , perfonne n’a jamais eu plus de fagacité ni
plus derjufteffe pour bien démefler une difficulté, & bien prendre fon parti fur les
endroits difficiles de la litterature. De là vient qu'ilnes'eft prefque jamais trompé
dans fes Ouvrages, ou s’ila fair quelques fautes elles ont efté tres-legeres & pref-
que imperceptibles : privilege particulier des efprits de ce caractere. Il n’avoiten
veüe dans fes études que la recherche de la verité , & nulle attention fur la gloire
qui pouvoit luy en revenir. On:connut parfaitement fon defincereffement uni
verfel pour toutes les chofes dumonde, par la maniere dont il fe conduifoit à la
Cour où il étoic-obligé de faite de frequens fejours. en qualité de Confeffeur
du Roy. On le connut encore quand le Pape ayant fouhaité qu'il vint à Rome,
& le Roy n'ayant pas voulu lé luy permettre, pour conferver en France un hom-
me de fon merite, il apprit que le deffein que le Pape avoit fur luy écoit. de le
faire Cardinal ; car il protefta fincerement à fes Amis, Que fi.en arrivant à Ro-
me on luy en eût appris la nouvelle , il {roit revenu fur {es pas en France
dans le moment même: Il fur aimé de tous les hommes illuftres de fon temps ,
& particulierement du fameux Jerôme Bignon avéc! lequel il étoit lié d’une
amitié trés-étroite, Il poffeda tout ce qu'ilavoit fouhaité , un efprir age , de
la fcience & de la vertu, & de plus une longue vie avec un loifir accompagné
de dignité. Il mourut en l'année résr. âgé de quatré-vingt-treize ans.
PR D PUR CE CPR VAE
JESUITE.
ENys PErau naquit à Orleans en l’année 1583. & fe fit Jefuire
Ÿ au College de Clermont à Paris en l'année 160$. à l'âge de vingr-
deux ans. Depuis ce temps jufqu'au jour de fa mort qui arriva
À quarante-huit ans aprés, il n’a ceflé de faire honneur à fa Com-
2 pagnie par fa pieté , par fa doctrine & par fes Ouvrages. C'eftoit
non feulement un efprit univerfel qui s’eftoir rendu familieres prefque toutes les
langues tant mortes que vivantes de même que roures les fciences imaginables,
& qui avoit {çû y joindre la connoiffance des beaux Arts; mais ce qui eftoir plus
étonnant & beaucoup plus recommandable , c'eft qu'il poffedoit prefque toutes
ces chofes à un haut degré de perfection. Il fe trouve aflez d'efprits qui ont de
l'ouverture & de la facilité pour tout ce qu'ils entreprennent, mais ces fortes
d'efprits univerfels n’atteignent prefque jamais à la connoiffance parfaire d'au.
cune des fciences où ils s'appliquent, & n’y font tour au plus que les feconds,
Ce ne fut pas par la feule force de fon génie que le Pere Petau fe rendit fi ha:
bile, ce fut encore par le bon ordre qu'il établit dans fes études , Où il proceda
en la maniere des fages Architeétes qui commencent par jetter de folides fon-
demens ; fur lefquels tout ce qu'ils conftruifenc enfüite ne fe dément jamais, 11
fe donna d’abord à l'étude de la Grammaire , & en traduifant {ans cefle des
Auteurs Grecs en Latin, & des Auteurs Latins en Grec, il s'acquit une parfaire
& entiere connoiflance de ces deux langues, De là il pañfa à l'étude de l'Elo-
uence & de la Poëfie ; dont on ne peut pas douter qu'il n'ait connu toutes les
elles , toutes les graces & toutes les beautez, pour peu qu'on ait ü fes Ou-
vrages. Il compofa des Vers jufqu'aux derniers jours de fa vie, & à l'exemple
de S. Gregoire de Nazianze , il {e fervit de la Poëfie comme d’une recreation
dans les travaux penibles de fes études. Il s’en fervit aufli comme d'un interpre:
te pour expliquer les fentimens que fa pieté luy fuggeroit en toutes rencontres.
Il n'ya point de genre de Poëfie où il ne fe foi exercé , & où il n'ait réüfli, 11
a même compolé des T'ragedies, & non content de faire des Vers grecs & latins,
ilen a fait d'hebreux qui ont eu l'applaudiffement de tous ceux qui pouvoient en
juger. Monfieur Grotius tres-habile & tres difficile À contenter {ur ces matieres £
luy donne À-deflus toutes les loüanges que peut arracher la force du merite,
Aprés s’eftre enrichi de tous les ornemens du langage & du bien-dire,
il s'adonna à la Philofophie pour s’affermir dans la sodiré des fentimens &
des pensées ; aprés quoy àl pafla à l'Hiftoire, & en même temps à la Geo-
graphie & à la Chronologie qui en font comme les deux yeux, & qui ne doi-
vent jamais en être feparces. Ce fur là qu'il ft des découvertes qui ont étonné
lon fiecle, & qui étonneront toute la pofterité; car il ne fe contenta pas d'en
puifer la connoiffance dans les Ecrits de Strabon & de Prolomée , & même dans
toutes les Cartes des Modernes, infiniment plus correctes & plus inftruifances
que tout ce qu'ont écrit les Anciens : mais il fit une étude profonde de l'A.
tronomie , fans laquelle il jugea qu'il ne pouvoit rien établir de bien certain
dans la Chronologie. Peu de temps avant qu'il écrivit fur ces matieres, Jofeph
0 D'EINNOS PIE AQU:
Scaliger, qui écoit confideré non feulement comme le plus habile Chronologifte,
smais comme le feul qu'il y eût au monde , avoit donné au Public fon Livre de
a Correction des temps, Ouvrage où il redrefle la plpart des erreurs qui s'é-
voient gliflées dans cette fcience , & qui étoit regardé comme une regle à la-
quelle tout le monde devoit fe conformer. Cela n'empécha pas le Pere Perau
d'entreprendre le même travail, & de corriger par fon Livre de la Doëtrine
des temps beaucoup de fautes qui {e trouvent dans celuy de la Correction des
cemps de-Scaliger , ce qu'il fit en gardant toutes les loix de l'honnefteté que
ls gens de Lettres fe doivent les uns aux autres ; en forte que fans obfcurcir la
gloire de fon Predeceffeur , il's’en eft acquis une tres-grande dans la même
fcience. Aprés avoir ainfi amaflé tous les trefors des connoiffances humaines ,
ilne s’en fervit pas pour la feule fatisfaction de fon efprit, ou pour une vaine of-
tentation, maisil lesconfacra entierement à la gloire de Dieu & à l'utilité de fon.
Eglife par une refolution conforme à l'intention dela Societé, & auxexemples de
S. Clement d'Alexandrie, de $. Bafile & de S. Gregoire ; qui aprés s'eftre enri-
chis des dépoüilles des Gentils , fe fervoient centr’eux de leurs propres armes.
La Thcologie fut comme le port où il termina tous fes voyages de lit:
terature ; & pour laquelle il employa tout ce qu'il avoit acquis par fes étu-
des. Il-poffeda égalément les deux parties de la Theologie, celle qui explique
l'Ecriture fainre ;-& celle qui s'occupe à défendre ‘la verité de la Do&rine. Il
n'a fair imprimer aucun Commentaire fur les Livres faints , content de l'expli-
cation des Saints-Peres ; & ne voulant pointou redire ce qu'ils ont écrit ou dif
puter avec eux fur ces matieres.. Mais pour ce qui regarde la Controvere, il
n'éft pas croyable combien il y a réüifl. Le grand nombre d'Ouvrages qu'il a
faits & qui font entre les mains de tous les Theologiens, eñ font un témoigna-
ge tres-autentique. On ne fçait ce qu'on doit admirer davantage dans ce grand
nombre de Livres qu'il a compolez, ou l'abondance des citations , ou l’éloquen-
cé du difcours’, ou l'Art & la methode avec laquelle toutes chofes y font rangées,
ou enfin fon zele pour la verité. On ne comprend-pas comment un feul homme
a pi: compoler tant de volumes , particulierement fi l'on confidere qu'il n'a
jamais eu perfonne fous luy. pour écrire: ou tranfcrire fes compofitions. Il ayoit
üne ardeurincroyable pour la converfion des heretiques, & il n’eft rien qu'il n'ait
tenté pour faire,rentrer le celebre Monfieur Grotius dans le fein de l'Eglife,
lors qu'il vint icy. en Ambaffade, On pretend même qu'il le convertit, & qu'il
ne manqua à cette bonne œuvre que la ceremonie d’une publique abjuration.
Il fe fignala extrémement dans la difpute qui s’éleva fur la matiere de la Grace;
& pendant que ceux qu'il attaquoit ne daignoient pas répondre à beaucoup
de gens d’un merite aflez confiderable , ils l'ont toûjours regardé comme le
plus redoutable de leurs adverfaires | & ont répondu à tous les Ouvrages qu'il
a compofez. pour les combattre. Il mourut au College de Clermont le x. De-
cembre de l’année 1652. âgé de foixante-neuf ans, laiffant de luy une memoire
qui ne mourra jamais. Le Catalogue de fes Livres compofe prefque un volume,
He ibne qu'il n'eft pas pofhible de les rapporter icy dans Ë peu d’efpace qui
refte.
21
LR NOM OR EN
PRESTRE DE L'ORATOIRE.
EE ELuy dont je vais parler merite tellement d’eftre misau nombre
des plus fçavans hommes de fon fiecle, que s'il y a quelque chofe
à luy reprocher, c’eft peut-eftre d'avoir pouflé crop loin la curiofi.
té de fes eftudes en voulant efpuifer route la vaine {cience des Rab-
Æ bins ainfi qu'il l'a luy-mefme reconnu. Il nâquit à Blois en l’an-
née 1591. de Luc Morin marchand & de Jacquetre Gauffand tous deux de la
Religion pretenduë reformée. Ily commença fes eftudes & les continua à la Ro-
chelle où il acquit une parfaire connoiffance des langues Grecque & Latine. Il
paffa de là à Leyden où il apprit la Philofophie, le Droit & les Mathematiques.
aprés quoy il s’'appliqua à l'étude de la Theologie & des langues Orientales.
Lors qu'il {e fut rendu habile dans les fciences & dans les langues , il fe donna
tout entier à la lecture de l'Ecriture Sainte , des Peres & des Conciles. Le frui
principal qu'il retira de cette occupation, fur de commencer à reconnoître la
faufleré de fa Religion, & de toutes les maximes que fes Maîtres de Theologie
lui avoient enfeignées ; à quoi ne fervirent pas peu les difputes qui furvinrent alors
entre les Partifans d'Arminius & ceux de Gomarus fur les matieres de la grace
& de la predeftination. Car ne trouvant rien qui le contentaft dans les fentimens
& des uns & des autres, il fe mit à eftudier à fond ceux des Docteurs Catholi.
ques ; de forte que ce qui avoir efté l’écueil de plufieurs autres, le conduifit au
port & à la connoiffance de la verité. Eftant arrivé à Paris , il entra dans l’efti-
me & dans la familiarité de tous les Sçavans, & particulierement du Cardinal
du Perron, qui fur füurpris de trouver tant d’érudition & tant de connoiffance des
choles les plus rares dans un homme aufli peu avancé en âge qu'il l'eftoit alors.
Ce ne fut pas une mediocre joye à ce grand Perfonnage, lorfqu’il l'eut éclairci
für les points les plus difficiles de la Controverfe , de le voir fe rendre, avec le {e.
cours de la grace, à la force de fes raifons. Aprés avoir demeuré quelque temps
dans la famille de ce Cardinal , il paffa dans la Congregation de l'Oratoire que
le Cardinal de Berulle venoit d’inftituer en France , où il reçut tous les Ordres fa.
crez. On a remarqué que depuis qu'il eucreçu celui de Prétrife , ilne pañla au-
cun jour de {à vie fans celebrer la Mefle , en reconnoiffance de la grace que
Dieu lui avoit faite de fortir des tencbres de l’herefie,
Il fit {a principale occupation de refuter ou de vive voix ou par écrit, les mefines
erreurs dontil avoit efté infecté dans {a jeuneffe. Il s’appliqua encore beaucoup à
convaincre les Juifs & à les tirer de leur aveuglement , {e fervant à cetre fin par-
ticulierement de la Vulgate & des Septante qu'il fit réimprimer à Paris en l'année
1628. & quil foûtint contre ceux qui les voulurent attaquer, par un Ouvrage ad-
mirable qu'il donna au Public l'année fuivarite ; fous le titre d’Exercitationes Bibi;
ce, Ouvrage qu'il retoucha pendant vingt années, & qui a été réimprimé aprés
le
fa mort par les foins du Pere Fronton le Duc. Il compola eftant encore fort jeu-
ne, l'Hiftoire de la délivrance de l'Eglife par Conftantin, & celle du Progrés de
la Souveraineté des Papes, par la pieté & par la liberalité de nos Rois. Il avoir
F
22 JEAN MORIN.
un commerce d’eftude & d'amitié avec tous les hommes fçavans de fon temps.
11 s’eftoit acquis tant d’eftime parmi le Clergé de France, que les Prelats aflem-
blez prenoient ordinairement {es avis fur les matieres les plus importantes, les
plus obfcures & les plus difficiles. L'on admiroit en lui deux chofes qui fe trou-
vent rarement en un mefme homme , une profonde fcience & une profonde hu-
milité. Sa reputation le fit fouhairer à Rome où il alla par l'ordre du Cardinal
Barberin. Ce Cardinal le prefenra au Pape Urbain VIE qui le reçut avec beau-
coup de marques d'eftime, & l'admic fouvent dans fon Cabinet. Comme on
tenoit alors uné Congregation chez ce méfine Cardinal où lon s’entrerenoit
fouvent de l'ancien eftar de l'Eglife Grecque , de fes Rits , & de la doctrine de fes
Pres ; le Pere Morin qui y afhftoit prefque toñjours, forma alors le deffein de
compofer les Livres qu'il a faits des Ordres facrez , ceux de la Penitence , &
quelques autres Traitez encore, Il ménagea fi bien les Grecs , par fes écrits,
ar {es conferences , & par la protection qu'il leur procura , qu'il avança fort
les affaires de la reünion de l'Eglife Grecque avec la Latine, Dans ce mefme
temps le Cardinal de Richelieu qui connoifloit fon merite , & qui le jugea ne-
ceflaire auprés de lui pour les grands defleins qu'il méeditoit , obligea fes Supe-
rieurs à le rappeler en France. On fut eftonné de le voir quitter Rome où il
eftoit fur le point de fe voir élevé aux premieres dignitez de l'Églife. 11 poffedoit
en perfection les Grammairiens , les Poëtes, les Orareurs & les Hiftoriens. Il
fçavoit de mefine les apophtegmes & les opinions de tous les Philofophes. Il e£.
toit confommé dans la Géographie & dans la Chronologie , dans la connoiffance
des mœurs, des coûtumes , & de la police de toutes les Nations; & ce qui eft tres:
fingulier , ilfçavoit l'Ecriture Sainte dans toutes les Langues fçavantes où elle à
efté traduire. Il fit revivre parmi les Chrétiens la Langue Samaritaine , tirant,
pour ainfi dire , des tenebres le Pentareuque Hebreu-Samaritain dont on n’a-
voit point entendu parler depuis $. Hierôme. 11 le fitimprimer dans la Poliglot.
te de Paris avecune Preface cres-excellente. Son merite eftoit trop grand pour
n'avoir pas d’antagoniftes : Il en eut, &entr'autres le fieur de Muïs & le Pere
Simon, qui ont été obligez par la force de la verité, de faire {on éloge dans les
endroits méfines où ils l’attaquoient. Son caraétere principal étoit une ex-
tréme douceur, qu'il confervoit tellement au milieu des difputes les plus âpres
dans les matieres de Religion & de Controverfe, qu'il ne lui arriva jamais de
s'emporter. Cette moderation fit que quelque refiftance qu’il euft trouvée toute
fa vie dans fes parens à embraffer la Religion Catholique , il leur laïfa tous fes
biens de patrimoine contre le confeil de la plufpart de fes amis. [mourut à Paris
âgé de 68. ans le 28. de Février 1659. Il fur fort regretté de tous les Sçavans, &
particulierement du doéte Bibliothequaire du Vatican Leo Allatius, quile nom.
me, L'Homme tres-doëte , @) auquel l'Antiquité ef? tres-obligée.
\
A ee ne ee ee ee ee
LOUES DE .B OUR BON
PRINCE DE CONDÉ.
SE Prince dont j'entreprens l'Eloge , eftoit un de ces grands hom-
mes dont l'Antiquité foie fes demi-Dieux , & dont les qualitez
extraordinaires lui auroient femblé au deflus des forces de la
nature humaine. Il nâquit à Paris le troifiéme Seprembre 1621. de
Henri de Bourbon Prince de Condé & de Charlotte de Mont-
morency. Il commença fes études à l’âge de huit ans chez les Jefuites à Bour-
ges, &ily fc un cel proprés, qu'à fa treiziéme année il foûtint des Thefes de
Philofophie, où il excella fur tous fes concurrens , à peu prés de la même forte
qu’il furpafla dans la fuite tous les grands Capitaines de {on fiecle.
Son tempetament fanguin , bilieux & robufte, luy fit aimer le jeu, la chaîe,
les divertiflemens , & luy fournit des forces pour les plus grandes actions. Sa
taille au deflus de la mediocre , aisée, fine & delicate, lui donna beaucoup de
grace à danfer, à monter à cheval , à faire des armes & à tous les autres exer-
cices militaires, Il avoit l'air grand , fier & affable tout enfemble ; beaucoup de
feu dans les yeux, & une phyfionomie quitenoit de l'Aigle. Son genie eftoit du
premier ordre en toutes chofes , & particulierement dans la Guerre ; pour la-
quelle il eftoit tellement né , qu'il n'avoit point de plus grande joye que de fe
voir à la tefte d’une armée prefte à combattre. C'eftoit dans ces momens terri-
bles que la Guerre avoit pour lui des charmes. Dans le temps où le bruit & le tu-
multe du combat troublent les plus fermes & les plus intrepides , c'eftoit alors
qu'il eftoit le plus tranquile ; qu'il voyoit mieux toutes chofes ; & qu'il donnoit
{es ordres avec plus de fang froid &avec plus de facilité; en un mor ce qui faifoit
l'agitation des autres , le mertoit en quelque forte dans fon repos & dans fon
cftat naturel. Il a formé par fon exemple douze Marefchaux de France, & une
infinité de toute forte d'Officiers. Perlonne n’a efté plus vigilant, foit à choifir
des poftes., foit à faire obferver la difcipline. Il fe faifoit éveiller à quelque
heure que ce fuit dés qu’on avoit à luy parler, furprenant toûjours les enne-
mis, & ne leur donnant jamais lieu de le furprendre. Ces qualitez jointes à
fon courage l'ont fait regarder comme un des plus grands Capitaines qui fur
jamais. On n'a pas eu de peine à porter ce jugement aprés les actions he-
toïques qu'il a faites ; mais ce qui eft eftonnant & qui fait voir que le cara-
étere de grandeur & de fuperiorité étoit bien marqué en luy, c'eft que le Car-
dinal de Richelieu en jugea de même dés l'année 1641. lors qu'il n'avoit encore
que vingt ans. Ce fèra , die-il à Monfieur de Chavigni ; aprés une longue con
ference qu'il avoit euë avec ce jeune Prince fur le fait de la Guerre ; ce fêra ,
le plus grand Capitaine de l'Europe © le premier homme de fon fiecle.
Il commença à {e fignaler en qualité de volontaire aux Sieges d'Arras, d’Ay-
re ou de Perpignan , & dans ce dernier Siege il commanda l’Arriere-ban de
Languedoc. Il donna dans ces trois Campagnes tant de preuves d'une capa-
cité extraordinaire pour commander en chef, que Loüis XIIL. crut ne pou-
voir remettre en de meilleures mains la conduite de fes armées: La bataille de
L'ONDAMS DE BOURBON.
ocroy qu'il gagna , les victoires qu'il remporta à Fribourg &
‘& a prife de plus de vingt Villes confiderables en moins de quatre années;
juftifierent pleinement un fi lge & fi heureux choix, Le Siege de Lerida n'eut
Pas un fuccés favorable; mais Ja prudence avec laquelle il s'y conduifit, lui fr
honneur, & les Cam agnes füuivantes le comblerent de gloire par la prie d'Y-
pres & par la funeule bataille de Lens, fuivie d’une des plus complettes & des
plus grandes victoires que l'on ait jamais remportées. On peut joindre à ces fa.
eux exploits ce qu'il fit dans la Franche-Comté ; & en Hollande fous les
Ordres du Roy commandant en perfonne , quoiqu'il fur contraint d'avoüer,
qu'il vit faire à ce Monarque des chofes qui jufques-là ne luy avoient pas fem-
blé poffibles ; comme de prendre en un mois quarante Villes & quatre Pro-
vinces. Sa valeur n'éclata Pas moins dans la bataille de Senef , où inférieur
en forces aux ennemis, il les battit , les mit en fuite , prit leur bagage & leut
canon.
Il eft vray qu'il eut le malheur
à Nortlingue:
4 L
de {e voir engagé à porter les armes contre
fon Prince ; mais peut-eftre ce malheur étoit.il neceffaire pour faire éclater des
vertus, que fans cela on n’auroit Pas connuës. Les Ennemis fe voulant prévaloir de
l'eftät où il eftoit, mirent rout en œuvre pour luy faire relâcher quelque chofe
de fes avantages de Prince du Sang de France en faveur de l'Archiduc Leopold
Gouverneur des Païs-bas; mais rien ne far capable de l'efbranler | & il aima
Mieux s'expofer à route forte d'extremirez, que de donner la moindre atteinte
à fon eftat &à la dignité de {à naiffance, Sa retraite en fon Château de Chan.
tilly contribua encore infiniment à faire voir toute là grandeur de fon ame. Ses
Vertus militaires ayant été obligées de fe repoler , une infinité d'autres grandes
Qualitez que le bruit des armes empêchoient de paroître , fe montrerent dans
toute leur beauté. On vit le même genie qui avoit fi bien réuffi à ranger des
armées en bataille, ne réuffir pas moins dans des occupations plus douces, &
S'y rendre aufli aimable qu'il avoit paru terrible les armes à la main.
L'incroyable penetration de {on efprit le fit entrer dans tout ce que les fcien-
ces ont de plus beau, & infenfiblemenr il s’y rendit habile, prefque au même de-
gré que ceux qui en font une profeflion particuliere, en donnant À la lecture
pour {e deferinuyer une partie des nuits que l'ativité de fon efprit déroboit au
fommeil. Mais fi {à vie fur admirable, fa morttoute chreftienne & à laquelle il
s’eftoit preparé par deux ou trois arinées d'exercice de pieté folide , fut encore
plus precieufe devant Dieu & devant les hommes : Elle arriva À Fontainebleau
où il étoit allé pour aflifter la Duchefle de Bourbon fa belle-fille malade de
là petite verole , & où il expira l’onziéme Decembre 1687. entre les bras du
Duc d'Anguien {on fils qu'il aimoit avec toute la tendrefle d’
gt un bon pere , &
qu'il laiffa feul heritier de fes biens & defes vertus.
4
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LE: V/NG OM TE
DE TURENNE
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O ksQu'Homere a voulu faire l'image d'un grand Capitaine, il
l'a dépeint fier; emporté, colere, inexorable, efcoutant peu la
juftice & fe croyant tout permis par le droit des armes. Si l’on veut
À le former une jufte idée de celui don je parle , on n'a qu'à lui
donner des qualitez toutes oppofées; ce n'eft pas qu'il n'ait fait
les mefmes grandes actions que les plus veheméns de tous les Capitaines, mais
c'eft qu'il venoit encore mieux à bout de ce qu'il entreprenoit en fe laiffanc
conduire à là raifon , que n’ont fait tous les autres en füivant les mouvemens
impetueux de leurs paflions.
Henri de la Tout d'Auvergne, Vicomte de Turenne , nâquit à Sedan l'on-
ziéme Septembre 161. & fut baptifé dans le Temple de cette Ville ; fuivant l’u-
fage du Calvinifime , dont fon Pere Henri de la Tour d'Auvergne Duc de Boüil-
lon; Prince Souverain de Sedan & Marefchal de Frañce faifoit profeflion; de
mefme que fa Mere Elizabeth de Nafau. Toute fa vie n'a été qu'un tiffu d'a-
étions nobles, genereufes & magnanimes, qui ont commencé dés les premie-
res démarches de fon enfance. Son Precepteur ayaht voulu luy donner le foüer,
il prit unie épée & voulut le tuer: Monficur de Boüillon fon pere en étant in-
formé, le fit châtier tres-rigoureufement, cependant, ayant trouvé à quelques
jours de Rà ce mefme Precepreur endormi & preft d’eftre piqué par un Serpent;
il mit l'épée à la main , tua le Serpent, & réveilla le Precepreur qui craignit
d'abord qu'il n'en vouluft à {à vie; mais qui ayant appris fa gencrofité, ne pui
l'admirer aflez. Il aimoit à foulager ceux qu'il voyoit dans la mifere , & il eftoit
ingenieux à en trouver des moyens qui ne leur fiffént point de confufion: Il
eftoit encore fort jeune, lors qu'ayant vâ un Geñtilhomme devenu pauvre pour
avoir dépenfé tour fon bien au fetvice & dans les armées, il s'avifa de croquer
des Chevaux avec luy, & de luy en donner d’excellens pour de tres-mediocres,
faifant femblant de ne s'y pas connoître. Il eft rare qu'un jeune homme qui
entre dans le monde veille bien paffer pour dupe , dans le feul deffeini d’épar-
gner à un hoïnme la honte de recevoir du fecours dans fon indigence:
Il commença à allér À l'armée en l'année 1627. fous la conduite de fes onclesles
Princes Maurice & Heñri de Naflau.Il paffa au fervice de la France, & fut bien-
tof fait Marefchal de Camp. Il n’eftoit pas riche, & n'avoir que quarante mille
livres de rente de à maifon pour fouftenir toutes les dépenfes aufquelles fa qua-
lité & foi pote l'obligeoient indifpenfablement ; cependant quoy que fort à
l'eftroit avec fi peu de revenu , il ne voulut jamais accepter des fommes confide.
tables que fes Amis lui offroient, de peut, leur difoir-il } que s'il venoit à eftre
tué , ils n'en perdiflent une bonne partie. Il avoit la mefme delicareffe à l'efgard
des Marchands, dont il ne vouloit rien prendre à credit par la mefme raïfon!
Une fi grande droiture d'ame } jointe à tant d’autres bonnes qualicez , faifoit
fouhaiter fon amitié à tout le monde , & le Cardinal de Richelieu qui fe con
noiffoit en merite, la luy fit demander par le Marefchal de la Mentei luy
»6 LE VICOMTE DE TURENNE.
offrant de luy faire époufer une de fes parentes. La Reine Mere luy ayant en-
voyé le Bafton de Marefchal de France avec le Commandement de l'Armée
d'Allemagne, il trouva les T'roupes en fi mauvais eftat , qu'il venditfa Vaiffel-
le d'argent pour habiller les Soldats & pour remonter la Cavalerie , ce qu'il a
fait plus d'une fois dans le cours dé fà vie: Il commanda la principale Armée
du Roy depuis l'année 1652. jufqu'à la Paix des Pyrenées. Rien n'eft plus admi-
rable que la füite des belles aëtions qu'il fit dans ces remps difficiles, où la Fran-
ce divisée avoit à fe défendre contre les Etrangers & contre fes propres Enfans.
On peut dire qu'il foûrint alors prefque feul toutle Corps de l'Eftat. La pofterité
aura peine à comprendre comment avèc le peu de Troupes qu'il avoit , il pou-
voit faire face de tous coltez, & quoique le plus foible en la plufpart des occa.
fions., en fortir neantmoins toûjours avec avantage. Il eft vrai que perfonnen’a
jamais {çu mieux conduire une Armée, la mieux pofter , la faire mieux .com-
battre ; & fur rout la mieux conferver; aufliles Soldats ayoient une telle con:
fiance en fa fagefle, qu'en quelque lieu qu'il les ft camper, ils dotmoient fans
inquictude de l'Ennemy, perluadez qu'il'avoit pourvû à tout , & qu'il n'écoit pas
poffible de le farprendre. Ils l'appelloient leur Pere , non-feulernent à caufe du
grand foin qu'il avoit de leur confervation ; mais à caufe des manieres douces
& tendres dont il les traitoit, & des fecours extraordinaites qu'il leur procu-
roit, foit dans leurs bleffures, foit dans leurs maladies. Il ft lever le Siege d'Ar-
ras, & eur quelque temps aprés la Charge de Colonel General de la Cavalerie
legere , vacante par la mort du Duc de Joyeufe Prince de la Mäifon de Lor:
raine. Il batrit les Efpagnols à la bataille des Dunes, quoiqu'il euffent de leur
cofté le Prince de Condé: Attion capable feule de faire l'éloge du plus grand
de tous les: Capitaines.
En 1667. il accompagna le Roy à la conquefte d’une partie de la Flandre}
& donna les premieres leçons de la Guerre à ce grand Monarque , qui depuis
les a fi bien mifes en pratique. Sa moderation a été au delà de tout ce qu'on
raconte des Philofophes les plus moderez , & qui n'avoient que cétte qualité
pour fe faire eftimer. Tant de Vertus morales dans un homme d’une fi grande
valeur , faifoient fouhaiter à tout le monde fa converfion, qui arriva enfin en
l'année 1668. Ilavoit eu plufieurs converfätions fur ce fujet fi important avec
{on neveu le Duc d’Albrer depuis Cardinal de Boüillon, & avec l'Abbé Bofluet
depuis Evefque de Condom, Perfonne n’enreflentit plus de joye que le Roy,
qui en créant pour luy la Charge de Marefchal general de fes Camps & Armées,
luÿ avoit dir à Touloufe qu'il ne tiendroit qu'à luy d’avoir une Charge encore
plus confiderable en levant l'obftacle de fa Religion. Mais ce Prince refufa alors
fans peine cette marque d'honneur & tous les autres avantages qu’on lui pro.
pofa , dans la crainte qu'on ne les regardaft comme des moufs de fa conver-
fon. Sa mort qui arriva le 27, Juillet 1675. fut digne de fa vie ; il s'avançoit pour
combattre les Énnemis, & il les avoit engagez dans un fi mauvais pofte, qu'il
éroit prefque fur de la victoire, Il fut emporté d'un coup de canon, qui en
terminant {à vie , acheva de la combler de gloire, Le Roy lui fit faire un Ser.
vice folemnel dans l'Eglife de Nôtre-Dame de Paris, où toutes les Compagnies
Supcrieures fe trouverent , & fon corps fut porté à S. Denis, fepulture ordinaire
de nos Rois, où enfuice on lui a élevé un Maufolée tres-magnifique.
fi
ALI
ji
DT
B'LiA LS :E FRANCOIS
COMTE DE PAGAN
4 N doit {çavoir gré à ceux qui poffedant parfaitement un Art,
| veulent bien communiquer au Public la connoiffance qu'ils en
ont & luy faire part de leurs lumieres , fur tout s’ils ont joint la
}| pratique à la fpeculation , & s'ils peuvent appuyer leurs precep-
A] tes par leurs exemples ; c'eft ce qu'a fait celui dont nous par-
lons. Il avoit un genie propre à reüflir en toutes choles ; de for.
te que l'ayant tourné tout entier du côté de la Guerre, & | as vers
là partie qui regarde les Fortifications , il n’eft pas croyable quel progrés il a
fait dans cette Science, s'y étant appliqué dés {à plus tendre jeunefe. Il fçavoit
les Marhematiques , non feulement au delà de ce qu’un Gentilhomme qui veut
s'avancer par les armes en aprend ordinairement , mais au delà de ce que les
Maiftres qui les enfeignent ont accoûtumé d’en fçavoir. Il avoit une fi grande
ouverture d'efprit pour ces fortes de Sciences, qu'il les apprenoit plus promp-
tement par la feule meditation que par la leéture des Auteurs qui en traitent;
auffi employoit-il moins fon loifir à cette leéture qu’à celle des Livres d'Hiftoi-
re & de Geographie, dont la meditation ne peut donner aucune connoiffance,
quelque genie qu'on puifle avoir. Il avoit fait encore une eftude particuliere de
la morale & de la politique; de forte qu’on peut dire qu'il s'eft en quelque façon
dépeint dans fon homme heroïque, & qu'il s'eftoic rendu l'un des plus parfaits
Gentilshommes de fon temps. Le feu Roy en eftoit fi perfuadé , qu’on luy a plu-
fieurs fois entendu dire que le Comte de Pagan eftoit un des plus honneftes,
des mieux faits, des plus adroics & des plus vaillans hommes de et Royaume.
Il nâquit en Provence le 3: Mars 1604. & dés l’âge de douze ans il embraffa la
profeffion des Armes à laquelle il fut élevé avec un foin extraordinaire. Il {
trouva en l’année 1620. au Siege de Caën , au Combat du Pont de Cé, & à la
reduction de Navarteins & du refte du Bearn , où il fe fignala & s’aquit une re:
” putarion au deffus de celle d'un homme de fon âge. L'année d’aprés il fe trouva
aux Sieges de S; Jean d’Angeli, de Clerac & de Montauban, où il perdit l'œil
auche d'un coup de Moufquer. Il fr à ce Siege une autre perte qui ne lui fu
pas moins fenfible qui fut celle du Conneftable de Luynes qui y mourut du
pourpre. Ce Conneftable cftoit fon parent fort proche & fon Protecteur à la
Coùr, où il l'avoit attiré & fait connoiftre fon merite.
Au lieu d'eftre decouragé par ce malheut ,: il reprit des forces & une
plus grande confiance qu'il iroit loin dans fa Profefhon , fe perfüadant que
la Providence ne l'avoit confervé que pour le favorifer de nouvelles gra-
ces. Il n'y eut depuis ce temps-là aucun Siege ; aucun Combat , ni aucune
occafion où il ne fe fignalat par quelque action ou d’adreffe ou de cou-
rage. Au paflage des Alpes & aux barricades de Suze, il fe mit à la cefte des
Enfans perdus, des Gardes & de la plus brave Jeunefle, & entreprit d’arri-
ver lé premier à l'attaque par un chemin particulier , mais extremement
dangereux, ayant gagné le haut d’une Montagne fort efcarpée. Là ayant crié
3$ LE COMIE DE PAGAN. ;
à ceux qui le fuivoienc: Voici le chemin de la gloire , il fe laiffa glifer le long de
cette Montagne; & {es compagnons l'ayant fuivi; ils arriverenc les premiers à
l'attaque ‘comme il fe l'étoit proposé. A leur abord il y ebt un furieux choc,
& les Troupes étant venuës les foûtenir ils forcerent les barricades. Ce fur
aprés cette aétioh heroïque du'ileur À plaifir d'entendre le Roy, dont il avoit
l'honneur de foûtenir la main gauche , la raconter au Duc de Savoye avec des
loüanges extraordinaires en prefence d'une Cour tres-nombreule. Le Roy ayant
afliegé Nancy éh 1635. il eut auffi l'honneur de tracer avec Sa Majefté les li
gnes & les Forts de la circonvalatioh. En l'année 1642. le Roy le choifit pour
aller fervir en Portugal en qualité de Maréchal de Camp, & ce fur dañs cetre
même anhée qu'il acheva de perdre entierement la veue par une maladie.
Dés qu'il fe vit hors d’eltat de fervir par fon bras & pâf fon courage, il
reprit plus vivement que jamais l'eftude des Martheratiques & des Fortifica-
tions pour devenir utile par fo efprit & par fon induftrie, & pour pouvoir
éncore par là combattre pour fon Prince & pour {à Patrie. Il donna d'abord
fon Traité dés Fortifitations | qui fut mis au jour en l'année 1645. Tous ceux
qui fe connôiffent eñ cette Science, conviennent que jufques - à il ne s’eftoit
rien vû de plus beau ni de meilleur für cette mariere, & que fi l'of y a fait
depuis de nouvelles découvertes; elles en font forties en quelque façon comme
les conclufions forrent de leurs principes. Il donna en 16$r. fes Theoremes
Geometriques, qui marquent une parfaite connoiflatice de la Geometrie & dé
toures les parties des Mathematiques. En 1655. il ft imprimer une Paraphrafe
“nFrançois de la relation Efpagnole de la Riviere des Amazones du P. Chrifto-
phe de Rennes jefuite. On aïleure que tout aveugle qu'il eftoit , il difpofa
luy-même la carte de cette Riviere & des païs adjaceñs, laquelle fe voit à la
tefte de cet Ouvrage. ; é
Eù 1657. il donna la Theorie dés Planettes debaraflée de la mukipli-
cité des cercles excentriques & des epicycles , que les Aftronomes ont in.
ventez pour expliquer leur mouvement, en les failant mouvoir par des Elipfes,
qui font trouvef avec une facilité incroyable le vray lieu & le vray mouvement
des Planertès. Cet Ouvrage ne l'a pas moins diftingué parmi les Aftrono-
mes que celui des Foïtifications parmi les Ingenieurs. Il fi imprimer en 1658.
{es Tables Aftronomiques tres fuccindtes & tres-claires. Mais comme il eft
difficile que les grands hommes n'ayent pas quelque foiblefle , la fienne
fut d’avoir été pévériu en faveur de l'Aftrologie judiciaire; & quoiqu'il ait efté
le plus retenu de ceux qui ont écrit fur cette matiere , ce qu'il en a écrit ne
fçauroit eftre mis au nombre des chofes qui lui doivent faire de l'honneur. Il
eftoit aimé & vifité de routes les perfonnes illuftres en dignité & enfcience, &
fa maifon étroit le reduit de ce qu'il y avoit de plus honneftes gens & à la Cour &
à laVille, Il moürut à Paris le 18. Novembre 1665. âgé de foixante &unan & huir
mois. LeRoy le fit vifiter pendant fa maladie par fon premier Medecin , &
donna beaucoup d’autres marques dé l'eftime extraordinaire qu'il faifoit de
fon merite. Il eft enterré dans l'Eolife des Religieufes dela Croix au Faux-bour.
5. Antoine, Il eft mort fans enfans & fans avoir été marié, ainfi la branche
de {à famille , qui pafla de Naples en France en 1552. finit en fa perfonne,
ti
Don
ut
nl
29
D'OPEUMR ERP NS 'E C'ONEVE MR
CHANCELIER DE FRANCE:
= A Maifon des Seguiers, originaire du Pays de Quercy, efttres-no.
ble & tres-ancienne. Il y a eu des Chanceliers d'Armagnac & des
Senefchaux d'efpée qui fe font diftinguez dans les guerres des
S Anglois, en frvant fous les Comtes d’Armagnac, particulierement
RÉ Arrau Seouier Seigneur de Saint Geniers. De luy font forties les
branches qui £e {ont difperféesà Touloufe & à Paris , où Gerard Seguier s'eftefta-
blile premier , & a commencé de prendre la Robe, quoyque tous fes Anceftres
euffent eu des emplois dans l'efpée. Cette branche a efté extrémement feconde en
grands Perfonnages, & l'on peut dire qu'elle a un avantage qui ne fe rencon-
tre guere ailleurs , qui eft d’avoir donné à la France un Chancelier, cinq Pre-
fidens au Mortier, onze Confeillers, & deux Advocats Generaux au Parlement
de Paris, & fepc Maiftres des Requeftes. Si ce n'eft pas un petit éloge pour
celuy dont je parle , d’avoir tant de grands hommes dans fa Famille, c'en eft
un encore bien plus confiderable d'avoir ramaffé en fa perfonne toutes les {or-
tes de merite que la Nature leur avoit partagez. Car il eft vray de dire que
Monfieur Seguier n'a manqué d'aucune des qualitez que l'on peut fouhaiter
dans un grand Magiftrat. Perfonne n'a jamais mieux merité de {e voir à la te-
fte de la Juftice , puis qu'on a dit de luy que non feulement il fçavoit parfai-
tement tout ce qui pouvoit regarder les fonions de fa Magiftrature , mais
qu'il n’y avoit aucun Officier en France qui fceuft mieux que luy tous les de-
voits de fa propre Charge. Il naquit à Paris le 29. May 1588. & aprés avoir fait
des eftudes qui marquoient la force & l'abondance de fon génie, foit dans les
Lettres, foit dans la Jurifprudence Civile & Canonique dont il pofldoit la ve-
ritable {cience mieux que perfonne du monde, il fut Confeiller , Maiftre des
Requeftes , Intendant en Guyenne, & Prefidentau Mortier, Charge qu'il exer-
ga pendant le cours de neuf années.
Le Roy ayant connu fon merite & fa grande capacité, luy donna la Char:
ge de Garde des Sceaux le dernier Février 1633. celle de Commandeur & Garde
des Sceaux des Ordres du Roy, vacante par la mort de Monfieur de Bullion
en1640. & le onziéme Decembre 1635. celle de Chancelier vacante par la mort de
Monfieur Daligre. Sur la fin de l'année 1639. le Roy l'envoya en Normandie pour
appaifer des émotions populaires arrivées dans plufieurs villes de cette Provin-
ce, & Sa Majefté luy donna un Confeil compofé de Confeillers d'Eftat , de
Maiftres des Requeftes, de Greffiers & d'Huiffiers, & de Monfieur de la Vril.
liere Secretaire d'Eftat, pour figner en commandement toutes les expeditions
qu'il jugeroit neceflaires. Sa Majefté joignit à cette Commiflion le comman-
dement des Trouppes qu'elle envoya fous la conduite de Monfieur de Gaf.
fion , pour reduire les mutins à la raifon. Ce General prenoït l'ordre de luy,
& depuis l'établiffement de la Monarchie ; il eft le feul Chancelier auquel une
pareille autorité ait efté confiée. Il s'acquitta de cet Employ avec tout le {uc-
cez qu'on pouvoit en attendre, &le Roy luy en témoigna beaucoup de faris-
faction. Il eft vray que les Sceaux luy furent oftez deux fois, qe la promp-
5o PIERRE SEGUIER CHANCELIER DE FRANCE.
titude avec laquelle ils luy furent rendus luy fat tres- glorieufe par le be-
foin qu'il parut qu'on avoit de fon miniftere dans des temps aufh difficiles
qu'ils l'eftoient alors à caufe des mouvemens aïrivez à Paris. Un jour qu'il al
loit au Parlément' pour y declarer les intentions de Sa Majefté pendant les
troubles de certe Ville, 1l fut arrefté par la populace qui avoit fait des barri-
cades dans routes les ruës, de forte que ne pouvant avancer avec fon carrofle
il mit pied à terre pour continuer fon chemin , & aima mieux expoler {à vie
que de né pas executer les ordres de fon Maiftre. Peu s'en fallut qu'il ne
perift dans cette occafion, car lors qu'il voulur fendre la preffe il fe fit pe
fieurs décharges , &le Lieutenant du grand Prevoft en fut tué auprés de luy.
Sa Majefté ayant efté informée du péril où il eftoit envoya le Marefchal de la
Meilleraye avec les Gardes Françoiles & Suifles pour l'en tirer. Lors qu'il ar-
riva au Palais Royal , il n'eft pas croyable avec quelle joyeil fut reçû du Roy,
de la Reine fa Mere , & deroute la Cour. A peine für-il entré qu’il fut obligé
de répondre à: la Harangue du Parlement que le Roy avoit fait venir & de
luy faire entendre les intentions de Sa Majefté. Il le fit avec autant de gravité,
de vigueur & de fang-froid qu'il l'euft pû faire au fortir de fon Cabinet, &
avec tant de force & tant d’éloquence , qu'il donna de l'admiration à tous
ceux qui l'oüirent.
Le Cardinal de Richelieu qui connoifloit fa fufñfance dans toutes fortes de
litceratures, & la délicaceffe de {on efprit , defira qu'il für de l’Academie Françoife
pour l'affermir dans fes commencemens par la reputation d’un fi grand Magiftrar.
Et lorfque le Cardinal fur mort | l'Academie qui s'affembloit chez Monfieur
Seguier , qui s'y eft affemblée jufqu’à fa mort , & qui connoïfloit fes talens ad-
mirables, le fit fon Protcéteur, qualité, que Louis LE GRAND n'a pas dé-
daigné de joindre à celle de Roy de France & de Navarre, comme on le voit
dans les Jettons qui fe donnent à l'Academie tous les jours qu'elle s'affemble. Il
étoit auffi Protecteur de l'Academie Royale de Peinture & Sculpture, & de tous
les Sçavans aufquels il procutoit des graces du Roy , & leur en failoit de tres-
confiderables de fon propre fonds. Il n’y avoit point, de fon temps , aucun Parti-
culier qui euft une plus belle Bibliotheque de la fienne , toujours ouverte à tou-
ces les perfonnes de merite qui defiroient la voir, & melme en profiter. Il n’eut
de Magdelaine Fabri fon époufe que deux filles. L'aifnée,nommée Marie, époufa
en premieres nopces Cefar du Cambout Marquis de Coaflin Colonel des Suifes,
& Grifons, Lieutenant General des Armées du Roy, & Gouverneur de Bref, qui
fat tué d'un coup de moufquet au fiege d’Aire en r64r. à la veille de recevoir
le Bafton de Marefchal de France que le Roy luy avoit promis ; & en fecondes
nopces le Marquis de Laval aufli Lieutenant General des Armées du Roy. La
feconde nommée Charlotte fut mariée en premieres nopces à Maximilien Fran-
çois de Bethune Duc de Sully, & en fecondes nopces à Henry de Bourbon Duc
de Verneüil.
Il mourut à S. Germain en Laye âgé de 84. ans le 28. Janvier 1672. cu
avoir poffedé les Charges de Garde des Sceaux & de Chancelier trente-neuf ans
moins un mois. Son corps fut porté aux Carmelites de Pontoife , où Jeanne
Seguier fa fœur eftoir Superieure.
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GARDE DES SCEAUX DE FRANCE.
Urrraume pu Varr nâquit à Paris en l’année se. Il ap.
ER porta au monde, avec l'avantage d’eftre d’une Famille illuftre,
ARE tous les talens neceflaires pour s'acquerir de la gloire & fe faire
il OF des eftabliffemens confiderables. Il avoit beaucoup de fineffe & de
= vivacité dans l'efprit, beaucoup de folidité dans le jugement, & fur
tout une moderation admirable ; par laquelle s’eftant toûjours rendu maiftre
de luy-mefme , il parvint à fe rendre auf le maiftre de l'efprit des autres. Il
fut d'abord Confeiller au Parlement de Paris, enfüite Maiftre des Requeftes,
& Intendant à Marfcille, & peu de temps aprés Confeiller d’Eftat. Henry IV.
ayant de plus en plus reconnu fon merite & fon habileté à manier les plus
grandes affaires , l'envoya Ambafladeur en Angleterre.
Au retour de fon Ambaflade qui luy fut glorieufe , & utile à l'Eftat , Sa Ma-
jefté luy donna la Charge de premier Prefident au Parlement de Provence ,
qu'il exerça pendant vingt années avec l'applaudiffement de toute la Province.
Louis XIIT. inftruit de fon merite, crut ne pouvoir donner les Sceaux à
une perfonne qui puft luy rendre de meilleurs fervices dans une place qui
le mettoit à la tefte de la Juftice & de routes les grandes affaires du Royaume,
& les luy donna avec une claufe dans fes provifions bien honorable, qui eftoit
de pouvoir prefider à toutes les Compagnies Souveraines du Royaume, de jouir
de tous les honneurs attribuez à la Charge de Chancelier, & d’en eftre pour-
vû, fielle venoit à vaquer, fans avoir beloin de nouvelles Lettres.
11 foûtint fon rang & fa dignité dans le Confeil contre les Ducs & Pairs avec
une fermeté & une prefence d'efprit fans égales , & il aima mieux quitter les
Sceaux, que de complaire au Marefchal d’Ancre qui abuloit de fa 2 A
peine les eur-il rendus que Sa Majefté connoiflant la perte qu'elle faifoit , luy
commanda de les reprendre. A l'occafion de cet évenement il s’émeut une
queftion entre les beaux Efprits de ce temps-là, non moins honorable pour luy
que difficile à refoudre. C'eftoit de fçavoir laquelle, de trois journées de fa vie
on devoit trouver la plus belle. Celle où fon merite avoit porté le Roy à le
faire venir du fonds de la Provence pour luy donner les Sceaux ; celle où {à
probité inflexible les luy avoit fait rendre, ou celle enfin en laquelle ce mefme
merite & cette mefme probité avoient obligé le Roy à les luy redonner,
Son genie d'une étenduë prodigieufe fe trouva capable de gouverner encore
le Diocefe de Lifieux, dont l'Evefché luy fut donné trois ans avant fa mort.
Comme fa piété égaloit & furpañloit mefme toutes fes autres vertus
conduifit pas moins bien les affaires de fon Eolife que celle de l'Eftat.
Si la maniere donc ilfe gouverna dans les differens Emplois de f vie, eftune
preuve inconteftable de la bonté & de la force de fon efprit ; fes Ecrits n'en
rendent pas un moindre témoignage , & en relevent encore infiniment le me.
rite, Il aima les belles Lettres dans toute leur étenduë , mais fa paffion princi_
pale fut pour l'Eloquence.Il y a excellé au-delà de tous fes concurrens, comme
,il ne
32 GUILLAUME DU VAIR
on le peut voir dans le recücil de fes Ouvrages qui compofent un tres-gros
volume. On y trouve des Traitez de Philofophie Chreftienne , où il eft mal-aifé
de déterminer ce qu'on doit y admirer le plus ou du bon fens où de la picté, ou
de l'éloquence , on y lit une infinité de Harangues fur toutes fortes de fujers
dont la varieté marque une abondance & une facilité de genie tres-fingulieres.
On y trouve aufli des Traduétions de plufieurs Oraifons de Demofthene & de
Cicéron, dont la beauté n’eft guere inferieure à celle de leurs Originaux. Il a
eu une polireffe qu'il ne doir qu'à luy feul, & qui a efté comme l’Aurore de
celle qui brille aujourd'huy dans la Chaire , dans le Barreau & dans tous les
Ouvrages de nos meilleurs Auteurs, Les Livres de ce temps-là font tellement
pleins & couverts de citations , qu'on ne voit prefque point le fond de l'Ou-
vrage. Ceux qui en ufoient ainfi, penfoient imiter les Anciens , ne conf
derant pas que les Anciens eux-mefmes ne citoient prefque jamais. Mon-
fieur du Vair qui fçavoit que d'imiter un Auteur , n’eft pas de rapporter
ce qu'il a dit , mais de dire les chofes en la maniere 2. les euft dites, a
imité parfaitement les Anciens en parlant de fon chef de mefme qu'ils ont
arlé du leur , & en mettant en œuvre la plufpart de leurs penfées , mais
aprés fe les eftre renduës propres par la meditation fans fe fervir de leurs me
mes paroles. Il mourut en l'année 1621. à Tonneins en Agenois où il eftoit
à la füice du Roÿ durant le fiege de Clerac. Son corps fut porté aux Bernardins
de Paris , où l'on voit cette Epiraphe compofée par luy-melme: Guillelmus du
Vuir Epiftopus Lexovienfis, Francie Procancellarius ; bêc expoltat reférreitionem ©
miféricordiam. Le Prefident de Gramond qui a fair fon éloge, a dépeint ce grand
homme en des termes fi naturels & fi magnifiques, que je ne puis m'empefcher
de les rapporter : Erat majeffate vencrabilis, qualis Roma olim vidit @) mirata eff
Fabricios , Cincinnatos | aut Fabios, Sagax ,Severus , Sapiens ; Oratorum füi remporis
princeps, qui locutioncm Gallicam uut refhituit decori Jao, aut decorem primus in eam
invexit,
01
D
TROP RUES LIRE NE
JEAN NIN.
Orcy un homme qui fe doit à luy feul toute fon éleyation, car
il de fimple Advocat qu'il eftoit au Parlement de Bourgogne , il
parvine aux plus hautes Charges de la robe, & fur fair Miniltre
| d'un des plus grands Roys de la Terre par la feule force de fon
RÉ merire. Lorfqu'il n'eftoit encore qu'Advocat, un Particulier fort
riche qui l'avoit oùi difcourir touchant la préleance que Beaune prerendoit fur
Aurhun , dans les Eftats, fut cellement charmé de la folidité de fes raifons, & de
la force de fon difcours, qu'il refolut de l'avoir pour gendre s’il fe crouvoit quel.
que proportion dans leurs fortunes. Eftant allé le voir à ce deflein, & luy ayant
demandé en quoy confiftoit principalement le bien qu'il poffedoit. Il porta la
main à fa cefte & enfuite luy montra quelques Livres fur des tablettes. Voila
tout mon bien, luy dit-il, & toute ma fortune. La fuite de fa vie fit voir qu'il
luy avoit moncré plus de biens, que s’il luy euft fait voir un grand nombre de
Contracts d'acquifition & plufieurs coffres pleins de richefles. Les Eftats de
Bourgogne le choifirent pour avoir foin des affaires de la Province, & connurent
par la maniere dont il les conduifit, qu'ils avoient faicun trés-bon choix.
Quand les ordres arriverent à Dijon d'y faire au jour de la S. Barthelemy le
mefme maffacre qui {e fit à Paris, & dans la plufpart des Villes du Royau-
me, il y refifta de toute fa force, proteftant qu'il n'eftoit pas poffible que le
Roy perfiftaft dans une refoluion f cruelle & fi contraire aux fins que la faufle
Politique de fon Miniftre luy avoit fuggerées. Un Courier arriva quelques jours
aprés pour defendre les meurtres qui avoient efté commandez. Il fut nommé
a à aprés Gouverneur de la Chancellerie de Bourgogne, Cette charge
ur fuivie de celle de Confeiller au Parlement, que le Roy fitrevivre en fa faveur,
& qui ne ay coufta rien non plus que celle de Prefident au mortier, & toutes
les autres qu'il a poffedées.
Il eft vray que ne s’eftant pas apperceu dans letemps que la ligue commença,
que cette confpiration n’alloit qu'à ofter la Couronne au Prince legitime, & que
s’eftant laiflé ébloüir aux proteftations qu’elle faifoit de n'avoir en veuë que de
maintenir la Religion Catholique, pour laquelle il avoic un zele tres ardenc, il
embrafla ce malheureux parti de touce fa force ; mais on peut dire que cette
démarche fi ficheufe pour luy en apparence fut la fource de fon bonheur & de
celuy de tout le Royaume. Ce fur un coup de la Providence qui voulut qu'un
homme de bien & d'efprit s'engageaft dans cette injufte faction pour en décou-
vrir la malice & pour devenir ave l'inftrument principal de fa ruine. I fut en-
voyé en Efpagne par le Duc de Mayenne, auquel il s'eftoit attaché, pour y traiter
avec Philippes I. & À il reconnut deux chofes: les deflcins de celuy qui l'en-
voyoit, & les prétentions du Prince auquelileftoit envoyé. Il remarqua que le
Roy d'Efpagneen tenancla carre de la France àla main, ne parloirque des belles
Provinces & des bonnes Villes dont il alloic entrer en pofféflion fans dire un {eut
mor de la Religion, ny de ceux qui s'en difoient les Prorecteurs. . fon retour
34 LÉ PRESIDENT JEANNIN.
il defabufa le Duc de Mayenne, & le convainquit que l'intereft de l'Eglife nef
toit qu'un pretexte dont l'Efpagne fe fervoit pour ofter la France à fon Roy
legitime. |
Dés que le combar de Fontaine-Francçoife eut donné le dernier coup à la Ligue
mourante, & remis fon Chef dans le devoir, le Roy refolut de gagner le Pre-
fident Jeannin, fçachant bien qu'il auroit tout un Confeil dans cette feule tefte.
Lorfqu'aprés plufieurs careffes & plufieurs marques d’eftime, Sa Majeité luy fic
entendre qu'il fouhaitroit le mettre dans fon Confeil, il dir au Roy qu'il nef
toit pas julte que Sa Majefté preferaft un vieux Ligueur à tant d'illuftres Per-
{onnages donr la fidelité ne luy avoit jamais efté fufpeéte. Mais Sa Majefte luy
répondit qu'il eftoit bien affuré-que célui qui avoit efté fidelle à un Duc ne
manqueroit pas de fidelité à un Roy, & dans le mefme temps luy donna la
Charge de premier Prefident au Parlement de Bourgogne , à condition qu'il
en traiteroit auffi-toft avec un autre, parce cn vouloir l'avoir tousjours auprés
de fa Perfonne. ‘Il eurpar ce moyén la fatisfaction de donner un Chefau Par-
lément de la Province où il eftoit né, & de faire augmenter les gages des
Confcillers du: mefme Parlement de 500. livres marque veritable de l'affection
qu'il avoit pour fa Compagnie , & de celle que fon Maiftre avoit pour luy. De-
puis ce moment il demeura rousjours auprés de Henry le Grand, & eur Ka prin-
cipale part dans fà confidence. Il n’y avoit point de reconciliation à faire où
de differends à regler dans la Cour dont il ne fur l'arbitre , point d'importan-
tes affaires à manier au dehors du Royaume dont il ne fournit les expediens &
qu'ilne conduifift à une heureufe fin. ,
Le Roy le chargea de la negociation entre les Hollandois & le Roy d'Efpa-
gne , la plus difhcile peut-eftre qu'il y eut jamais. Ilen vint à bout & rempor.
ta une eftime generale des deux coftez..Scaliger qui furtémoin de fà pruden.
ce:qu'iline pouvoit trop exalter,. & Barneveld un des meilleurs efprits de ce
temps-là, proreftoient qu'ils fortoient tousjours d'avec luy meilleurs & plus in.
fruits ; & le Cardinal Benrivoglio dit que l'ayant oüy: parler un jour dans le
Confeil,, ille firavec tant de vigueur & tant d'autorité’; qu'il luy fembla que
route la Majefté du Roy refpiroit ns fon vifage. Le Roy fe ur un jour à {es
Miniftres que l'un d'eux avoit revelé le fecrer, il ajoûta cés paroles en prenant le
Prefident Jeannin par la mâin : 7e répons pour le bon honime. ('eff à vous ausres à
vous examiner. Le Roy lui-dit peu de temps avant fà mort qu'il fongeaft à fe
pourvoir d’une bonne-haquenée pour le fuivre dans toutes les enrreprifes qu'il
s’eftoit propolées, & que perfonné n’a jamais fceuës que par de pures conjectures,
La Reine Mere fe repofa fur luy des plus grandes affaires du Royaume, & luy con.
fia toute l'adminiftration des Finances qu'il mania avec une pureté dont Île peu
de bien qu'il laiffa à (à famille eft une preuve tres-convainquante. Le Roy
Henry IV.-qui {e reprochoit de ne luy avoir pas fait afléz de bien, dit en plu-
fieurs rencontres qu'il doroit quelques-uns de fes fujets pour cacher leur mali.
ce , mais que pour le Prefident Jeannin il en avoit tousjours dit du bien fans luy
en faire. Il mourut le trente &uniéme Octobre 1622. âgé de, 82. ans. Le Cardinal
de Richelieu difoit qu'il ne trouvoit point de meilleures inftrutions que dans les
Memoires & les Negociations de ce grand homme , & c'eftoit fa ledure la
plus ordinaire dans fa retraite d'Avignon.
mn
——————— = Ne 7 — —— = —-—- —_—
Ull In j | _—_ III m mi ï
el @helpaux Seigneur … Pr _. ur |
Secretarre d Cat …
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35
PA Re PEL VB EAU. X
SECRETAIRE D'ESTAT-
dAuz Pæsryreaux Seigneut de Pontchartrain nâquit à Blois
n l’année 1569. Ses Anceftres pre dans des poftes confidera
les dés l'année 1360. Loüis, fecond fils de Jean Roy de France,
ui eut pour appanage le Duché d'Anjou , fr Jean Phelypeaux
a Intendant pour le Comté de Beaufort, & luy donna la Char
ge d'Intendant des Turcies & Levées d'Anjou, Charge alors tres.confidera-
ble. Ses enfans furent honorez des mefmes emplois fous Loüis II. & fous Re-
né {on fils, tous deux Ducs d'Anjou & Roysde Sicile,
Celuy dont je parle vint au monde avec un efprit dont la force & la vivacité
luy acquirent en peu de temps tout ce qu'on a d'ordinaire beaucoup de peine
à faire apprendre aux jeunes gens pendant plufieurs années , & le rendi.
rent capable prefque au fortir de l'enfance de toute forte d'emplois, Il n’avoit
que quatorze ans lors qu’il fut pourveu de la Charge de Secretaire ordinaire
de la Chambre du Roy , par Lettres Parentes enregiftrées en la Chambre
des Comptes; & à l’âge de dix-neuf ans il travailla fous Monfieur Revol
aux affaires les plus importantes du Royaume, Il y ft voir tant de capacité ,
se crois ans aprés le Roy luy fit expedier des Lettres portant permiflion de
igner en Finance , marque d’une confiance & d’une diftinction fi fingulie.
res, qu'il feroit difficile d’en trouver un pareil exemple. Cette grace fur accom.
pagnée du don d’une Charge de Secretaire du Roy de l'Ancien College , Sa
Majefté prenant plaifir à témoigner Fe de bienfaits la farisfadtion
qu'elle recevoit de fes fervices. Monfieur de Villeroy ne fut pas pluftoft refta-
bli dans fa Charge de Secretaire d’Eftat par la mort de Monte Revol, qu'il
voulut l'avoir auprés de luy pour l’affocier à fon travail. La maniere aifée dont
il expedioit les affaires les plus importantes & les plus difficiles , porta le Roy à
le choifir en l'année 1600. pour eftre Secretaire des Commandemens de la Rey:
ne Marie de Médicis,
Les fervices qu'il rendir à cetre Princeffe luy furent fi agreables, qu’elle de,
manda au Roy avec empreffement qu'il fuft pourveu de la Charge de Secre.
taire d'Effat dont Monfieur Forget avoit permiflion de {e defaire, & qu'il fuft
preferé à Monfieur de Preaux fon concurrent. Le Roy n'eut pas de peine à
le rendre aux prieres de la Reyne, quoyque Monfieur de Preaux euft un me-
rite cres-diftingué, & lorfque Sa Majetté pourveut Monfieur de Pontchartrain
de certe Charge , Elle dit avec des marques de joye fur le vifage, qg#'il ne croyoir
pas la pouvoir remplir d'un perfonnage plus digne , plus fdele ny plus capable,
Le Roy eftant mort peu detemps aprés, la Reyne qui devint Maiftreffe de
routes les affaires , en remit une grande partie aux foins & à la conduite de
Monfieur de Pontchartrain , & particulierement les affaires de ceux de la Re-
ligion Prerenduë Reformée , qui eftoient alors les plus importantes du Royau-
me. Elles n'eftoient pas de fon département ; mais fa pieté & fon zele pour la
Religion les luy firent fouhaiter, & quitter fans peine, pour les avoir, celles dela
36 PAUL PHELYPEAUX
Guerre , quoyque plus éclatantes. Dans ce mefme temps le Prince de Condé,
chagrin du double Mariage qui fe faifoir entre les Couronnes de France & d'E£
pagne , fe retira de la Cour; &:comme il eftoit d'une grande confequence
d'empefcher qu'il ne fe mift à la refte des Mécontens , le Roy Loüis XIE
choifit Monfienr-de Pontchartrain pour aller à Coucy negocier le retour de ce
Prince. Tour ce que l’efprir, l'adrefle & l’éloquence peuvent faire, il lemploya
dans cette rencontre | & mir le Princé dans la difpofition de rentrer entiere-
ment dans fon devoir, ce qu'il fr peu de cemps aprés.
11 fut envoyé enfuite par le Roy à la Conference de Loudun où pendant rois
mois qu'elle dura , il débroïilla les differents interefts de tous les Pretendans
qui s'y trouverent. Il combatir vigoureufement routes les demandes des Reli-
ionnaires, & les réduifit enfin aux termes des Edits. Il fceur porter fi heureu-
En les Efprits à la douceur & à l'obeyffance qu'on peuc dire qu'il fur un
des principaux inftrumens de la Paix, qu'il eut la gloire de conclure & ‘de fi:
gner. Ayant fuivi le Roy au Siege de Montauban, il y romba malade, &s'e
ftant fait porter à Caftel-Sarrafin , il y mourut le 21. jour d'O&tobre 1621. âgé
de cinquänte-deux ans. Anne Beauharnois fa femme, fille de François Beau.
harnois fieur de Mitamion, fc apporter fon corps à Paris dans l’Eplife de Saint
Germain l'Auxerrois fa Paroiffe , & luy fic élever un rombeau dans la Chap.
pelle où il eft enterré.
La Reyne , en reconnoiflance de fes fervices, conferva à {on Fils fa Charge de
Secretaire d'Eftat, & voulut que M. Phelypeaux de la Vrillicre frere du defunt
en fit les fonctions, jufques à ce que le Pupille fuft en âge de l'exercer. Mon:
fieur de la Vrilliere en remplit fi bien tous les devoirs | qu'elle luy demeura,
& pañla enfüuite à {es Defcendans.
: H laiffà un fils & trois filles, & l’on remarque que fà famille a donné à Ja
France fept Secrétaires d’Eftat en l'efpace de quatre-vingts ans ou environ,
du Lo.
UL
1)
37
JEAN BAPTISTE COLBERT
MINISTRE ET SECRETAIRE DESTAT-
JE Cardinal Mazarin dit au Roy en mourant qu'il eftoit infini.
\ ment redevable à Sa Majefté ; mais qu’en luy donnant Monfieur
| Colbert pour le fervir en fa place , il croyoir reconnoiftre par BR
W] routes les graces qu’il en avoit receués, Ce Cardinal fçavoit par-
1] Fairement ce qu'il difoit , ayant vû de quelle forte Monfieur Col.
bert avoit reftabli fes affaires depuis le cemps qu'il luy en avoit confié la con-
duite. En l'année r66r. le Roy l'appella dans lon Confeil & luy donna toute
l'adminiftration de {es Finances , avec la Charge de Contrôleur General, celle
de Surintendant ayant efté fupprimée. Cette adminiftration avoit efté jufqu'a-
lors enveloppée d’une obfcurité impénetrable , & les plus habiles de ceux qui
s’en eftoient meflez n’avoient peu venir à bout d'en débroüiller le chaos ? Il
s'y appliqua avec tant de foin & de fuccés , que ces mefmes Finances font
devenuës dans la fuite ce qu'il y a de plus clair & de mieux reglé dans le
Royaume. Le Roy qui reconnut dans ce Miniftre un genie fuperieur à toutes
les affaires dont il eftoit chargé, quoyque tres difficiles , y joignit de nouvelles
occupations en le faifant Surintendant de fes Baftimens.
Il commença à exercer cette Charge en l’année 1664. & la premiere chofe
qu'il e propola fut d'achever le Louvre, & fur tout d'en conftruire la face
principale. Il en fit faire des deffeins par tous les habiles Architectes de Fran.
ce & d'Italie ; & comme il avoit conceu beaucoup d'eftime pour le Cavalier
Bernin , il le fit venir en France. Cependant le deflein de ce fameux Archi.
cecte, fur lequel on commença à jetrer quelques fondemens, ne fut pas fuivi,
&il en fut prefenté un autre plus beau & plus magnifique qui a efté execuré,
L'amour que ce grand Miniftre avoit pour les beaux Arts, l’Architeäure,
la Peinture & la Sculpture, & fon bon gouft qui luy en faifoit connoiftre tou
es les beautez, les fe arriver en quelque forte à leur derniere perfection pendant
le temps de fa Surinrendance : Mais comme il eftoit perfuadé que les beaux
Ouvrages de l’efprit font encore plus d'honneur aux Eflats & aux Princes que
les Baltimens les plus magnifiques , il porta Sa Majefté à faire des gratifica-
tions aux Gens de Lettres, non feulement duRoyaume, mais de toute l'Europe.
Ces gratifications montoient tous les ans à de cres-grandes fommes , & il n'y
avoit point de Sçavant d'un merite diftingué , foit dans l'Eloquence, foit dans
la Poëfie, foir dans les Mathematiques, quelque éloigné qu’il fuft de la France,
u’elles n’allaffent trouver chez luy par des Lettres de change. Ayant aufli
confideré qu'il fe prefente fans ceffe mille choles à faire pour la gloire du Roy,
qui demandent d'eftre faites avec efprit, comme des Médailles, des Devils,
des Infcriptions & des Deffeins de divers Monumens publics , il forma dés
l'année 1663. une petite Academie pour travailler à ces fortes d'Ouvrages.
En 1666. le Roy luy ayant ordonné de former l'Academie Royale des Sciences,
il la compofa des plus habiles gens qu'il put trouver dans le Royaume & dans
les Pays eftrangers, & il leur obtint du Roy des penfions confiderables. Il voulut
K
38 JEAN BAPTISTE COLBERT.
qu'ils s’appliquaffent particulierement à l'Aftronomie , à la Geomettie , à la
Phyfique & à la Chymie. Pour les Operations de cette derniere Science il fr
cohitruire un grand Laboratoire dans la Bibliotheque du Roy, liéu où cette
Académie tenoit &tient encore fes Affemblées ; & pour lés CblerVatiohs Aflto:
nomiqués, il propola à Sa Majelté de faire baftir-ce bel Obfervatoire qui n'a
point de femblable, tant pour la beauté, fa commodité & fa gtaïideur , que pour
la qüanticé & l'excellence des Inftrumens de Mathematique dent il ef£ fourni.
La Marine qui fert fi utilement à l'accroiffement de ka puiffance & de la repu-
tätion-des grands Eftats ; fut: encore confiée à fes foins par Sa Majefte , en le
faifant Secrerdire d'Eftat: Ce Miniftre le plus appliqué & le plus laborieux qui
fut jamais; & für couc-le plus attentif à bien prendre les intentions de fon Mai-
fre premier. & feul auteur de trouves lés grandes choles que fes Miniftres ont
execurces, fr conftruire auffi-colt un nombre incroyable de vaifleaux & de Ga-
leres,, & en mefiné temps des Arfenaux à Rochefort, à Toulon, à Breft, à
Marfeille ;'au Havre & à Dunkerque ; en. forte que la France qui r'avoit aucunes
forces Maritimés:, s’eft renduë formidable fur la Mer à toutes les Nations du
Monde.‘Il commença & vit achever le Cañal de communication des Mers,
Ouvrage le feulau monde de cette nature. qui ait cfté conduit à une heureufe
fià. Il reftablit-le Comimerce par toute:la France , & forma des Compagnies
pour les voyages de long cours dans les. deux Indes. Il donna une tres-puiffante
rotetion aux Colonies Françoifes de l'Amerique , & eftablit un grand nom-
Le de Manufactures pour occuper les Sujets du Roy, & leur faire gagner l'ar-
gent qui pafloi aux Payseftrangers.
= Parmhi tant de differentes & grandes occupations, il trouva du temps pour
les devoirs de fa famille & l'éducation de fes enfans , à laquelle il donnoit plus
de foins qu'aucun particulier qui n'auroit eu que cette affaire. Enfin il parvint
à faire des chofes qui avoient paru impoflibles à tous ceux qui l'ont précedé,
cn faifant trouver à la France crois fois plus de gens de guerre qu'elle n en avoit
jamais eu & füt la Mer & für la Terre, en fourniffant des fonds pour fouftenir
les defpen£es dés Fortifications far toutes les Frontieres , celles des Baftimens &
des Métibles magnifiques dans toutes les Maifons Royales , la fplendeur de la
Maifon du Roÿ & toutes les autres Charges de l'Eftat. Il mourut à Paris le 6.
jour de Séprembte 1683. âgé de foixante quatreans, & fur enterré à S. Euftache,
où fa Famille Juy a fait élever un res-beau Maufolée. Il eftoit de l'Academie
Frañçoile | & il aVoic pris plaifir à faire la plus belle Bibliotheque de Livres
imprimez & Manufcrits qu'aucun Particulier ait jamais euë en Europe. Ila laifé
neuf enfans, fix fils & crois filles qu'il a euës de Marie Charron, fille de Jacques
Charron Gouverneur & Bailly de Blois, & de Marie Begon. L'aifné defes fils a
efté Miniftre & Secretaire d’Eftar comme luy. Le fecond eft Archevefque de
Roüen, Le troifiéme eftoit Colonel du Régiment de Champagne , Baïlli &
Grand-Croix de l'Ordre de Malthe , & furtué devant Valcour: Le quatriéme eft
Grand Maiftre des Ceremonies de France, & Colonel du mefme Regiment de
Champagne. Le cinquiéme eft Guidon dés Gendarmes Ecoffois ; & le dernier
de tous qu'on nommoit le Comte de Sceaux, et mort au Service du Roy à la
Bataille de Fleurus, où il fervoit à la refte du mefme Repiment de Champagne.
Les trois Filles ont époufé les Ducs de Chevreule , de Beauvillier & de Morte-
mar.
HI
QI
| Guillaume de Jamoignon
|= «Premier _Lresiden £ du 7 arlement le Paris.
39
GUILLAUME DE LAMOIGNON
PREMIER PRESIDENT.
Urzraume de Lamoignon qui a rempli fi dignement la place
de Premier Prefident au Parlement de Paris, vint au monde le
vingtieme d'Octobre 1617. avec toutes les bonnes & heureufes qua-
litez qu'on peut fouhaitter à un enfanr. Il fut beau, bien-fait &
= = propre à tous les exercices du corps oùil excella admirablemenr;
mais furcout d'un efprit qui ne trouvoit rien dans l’eftude des belles Lettres ,
de la Philofophie & de la Jurifprudence qu'il n'enlevait avec une facilité & une
rapidité inconcevable, Il y ft un fi grand progrés qu'il fut receu Confeiller au
Parlement de Paris à l’âge de dix-huit ans avec un applaudiffément univerfel.
On ne fit point de grace à fon âge, & il eft certain que les plus anciens de cer
illuftre Corps n'avoient prefque fur luy d'autre avantage que celuy des années
& de l'experience, Ce prodige n’auroit par paru naturel, fi on n'avoit efté ac.
couflumé d’en voir de pareils dans fa famille, qui depuis plus de 400. ans a don.
né une telle fuite de grands Perfonnages qu'on auroit efté plus eftonné de voir
en luy un homme ordinaire, que d'y trouver un fi grand amas & de talens
& de vertus,
Guillaume de Lamoignon Seigneur de Pomey vivoit dans le Nivernois avane
le regne de $. Loüis. Charles de Lamoignon fieur de Baville fur le premier qui
prit la Robe, il vint s’eftablir à Paris, & aprés s'eftre fait admirer dans le Bar-
reau fut Confeiller du Parlement, enfuire Maiftre des Requeftes & depuis Con
fciller d'Eftat. Il moutur en l'année 1673. & le Roy qui en avoit receu de grands
fervices, luy fit l'honneur de le vifiter plufieurs fois pendant fa maladie. Son
“fils Chrétien de Lamoignon trés-recommandable pat fa fufffance & par {a pieré
fut Prefident au Mortier du Parlement de Paris & pere de Guillaume de
Lamoignon dont nous faifons l’Eloge,
Aprés avoir efté neuf ans dans le Parlement il fur Maiftre des Requeftes ,
& le Roy le nomma Commiffaire aux Eftats de Bretagne, où il concilia les in-
terefts de la Province avec ceux de la Cour; ce qui luy acquit une trés-grande
teputation. En l'année 1658. Sa Majefté luy donna la charge de Premier Prefi-
dent qu'il exerça le refte de fa vie avec un applaudiffement univer{el, & lorfqu'il
remercia le Cardinal Mazarin de luy avoir efté favorable auprés de Sa Majefté
dañs cette rencontre, il en receut cette refponfe : Mowfieur , ff le Roy avoit pé
trouver dans fon Royaume un plus homme de bien que vous , 1l ne vous auroit pas
donné cette Charge.
Perfonne n'a jamais poffedé dans une plus grande eftenduë les qualiez ne-
ceffaires aux places qu'il a occupées. Il eut une connoiffance profonde de toute
la Jurifprudence, une juftice & une équité tousjours égale, & fur le cout une
affabilité qui alloit jufqu'à confoler la plufpart de ceux qui avoient perdu leurs
procés , charmez qu'ils eftoient d’avoir efté receus & écoutez fi favora-
blement par un tel Magiftrar. Il joignit à ces grandes qualitez , effentielles
à fa RT > un amour extrême pour les belles Lettres , qu'il poffedois
so GUILLAUME DE LAMOIGNON,
routes à fond & également. Il fe tenoit chez luy toutes les femaines une Affem
blée des plus habiles qu'il y euft en toutes fortes de Sciences. Quoyque fon éru-
dition fuit univer{elle, fon fort eftoit particuliement dans la connoiffance des
affaires de l'Eglife, de fa Difcipline, de fon Hiftoire, & des droits de l'une &
de l’autre puiflance ecclefiaftique & feculiere. Le Roy luy envoya tous les Li-
vres que l’Academie des Sciences a compolez & qui comprennent ce qu'il ya
de plus curieux dans les Mathemariques, dans la Phyfique , dans la Chymie,
& dans toutes les Sciences les plus abftraires & les plus curieufes, Il prit plaifix
à parcourir rôus ces Livres avec celuy qui les luy prefenta, & il parut par la
maniere dont il parla fur toutes les matieres traitées dans ces Livres, qu'ilen
avoit une connoiflance auffi parfaire que ceux qui les ont compofez. Il fembloit
qu'il euft affifté à routes leurs Affemblées, & qu'il euft donné tout fon temps
à chacune des Sciences, dont il y eft parlé. Ayant regardé enfuite le Livre du
Carrouzel de l'année 1662. & celuy des Tableaux & des Figures du Cabinet du
Roy qui accompagnoient ceux de l'Academie des Sciences, il fic voir qu'ilne
fe connoiffoit pas moins dans l’art de manier des chevaux que s'il n'euft faic
autre chofe que de monter à cheval, & qu’il avoit un difcernement aufli jufte
fur la beauté & la maniere des Tableaux, dont il nommoit les Maiftres dés le
premier coup d'œil que s’il euft frequenté toute fa vie, les Cabinets des Curieux,
Il Y avoit en luy un fond de pieré & de vertu qui ue pagnoit pas moins le cœur,
que les lumieres de fon efprit donnoient d'admiration,
Il mourur le dixiéme de Decembre 1677. âgé de foixante ans & deux mois. Il
eft enterré aux Cordeliers. Son cœur fur porté à S. Leu S. Gilles auprés de
Madame fa mere. Ila laifé deux enfans d’un trés-grand merite, l’un Advocat
General, l'autre Maiftre des Requeftes, Intendant en Languedoc & Confeiller
d'Eftar ordinaire. Il n’y a point eu dans ce fiecle de Magiftrat plus univerfelle-
ment Sçavant, ny qui ayt eu plus d'attache & de cordialité pour les Sçavans de
tout genre,
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M°LF BR E SIDENT
D'EUNUTE H O D
À Famille de M' de Thou eft une des illuftres Familles de la
Robe. Celui dont nous faifons l'Eloge avoit recueilli comme par
! droit de fuccellion toutes les bonnes qualitez de fes Anceftres
la droiture de l'ame , l'amour de la Juftice , & tout ce qui forme
une probité confommée , le courage , la fagefle & la fcience , il
fembloit mefme qu'il les eut reçuës à condition de les porter à un plus haut
degré de perfection , tant il prit de peine à fe rendre un des premiers hommes
de fon fiecle, Il nâquit à Paris en l'année 1553. & fit fes études aux Univerfitez
de Paris & d'Orleans. Aprés s'y eftre enrichi de la connoiflance des Lettres
humaines & de la Jurifprudence, il voyagea en Italie, en Flandres & en Alle.
magne , où il s'inftruifit à fonds des mœurs, des couftumes, des interefts des
Princes, & de la Geographie de tous ces Pays differens : Eftudes qui luy fervi-
rent merveilleufement, non feulement pour toutes les grandes negociations où
il fut employé , mais pour mettre à fin auffi glorieufement & aufli utilement
qu'il le ft enfuite, l’'admirable Hiftoire qu'il nous a laiffée.
Au retour de {es voyages il fur fait Conféiller & Maiftre des Requeftes, &
peu de temps aprés Prefident au Mortier. Ses differentes Charges luy donne.
rent lieu de faire voir les talens qu'il avoit receus de la Nature , & qu'il avoit
cultivez par une eftude continuelle, Aufli-coft que la journée des barricades
eut obligé le Roy Henry II. à quitter Paris, il {e rendit inceffamment auprés
de Sa Majefté, qui s’eftant fervi quelque temps de fes confeils, l’envoya en
plufieurs Pays eftrangers pour diverfes négociations. Lors qu'il eftoita Ve.
nife , & que là il eut appris la mort malheureufe du Roy , il alla auffi-toft
trouver Henry IV. qui le receut avec toutes les marques d’eftime & de bien.
veillance imaginables | & qui l'admit dans tous fes confeils les plus fecrets,
Et comme un des principaux talens de ce grand homme eftoit de manier les
elprits par la force de fon éloquence naturelle & ur ; & de les tourner
comme il luy plaifoit | Sa Majefté s'en fervit en plufieurs affaires tres-impor.
tantes. Il fut employé dans la Conference de Surefnes , & pour traiter avec les
Depurez du Duc de Mercœur. :
Le Roy luy donna la Charge de Garde de fa Bibliotheque , vacante par la
mort du grand Amiot Traducteur de Plutarque. Cette illuftre Bibliotheque la
plus belle du monde , aprés celle du Vatican, ne tomba pas en de moins dignes
mains & n'en receut pas moins d'honneur qu'elle luy en fit. Elle devint plus que
jamais Le reduit de ce qu’il y avoit de plus fçavans hommes & de plus vertueux
parmy les gens de Lettres , & ç'a efté particulierement fous {a conduite qu'elle
s'eft renduë recommandable, tant par les hommes vivans qui y conferoient de
toutes fortes de fciences , que par les Autheurs morts qu'on y alloit confulter,
Il fut nommé entre les Commiffaires de la celebre Conference de Fontaine
bleau , où le Cardinal du Perron confondit luy feul Dupleflis Mornay foufte.
nu de douze Miniftres les plus habiles de ce temps-là.
L
a Mi LE PRESIDENT DE THOU.
Peñdant la Regence de la Reine Marie de Medicis , il fut un des Dire-
dteurs generaux des Finances, où fa fufffance & fon integrité ne parurent pas
moins que dans l'exercice de fes Charges de Judicature. Ces differens emplois
capables d'occuper toute l'atrention des plus habiles, ne l'empefcherent pas de
trouver du temps pour compofer le plusgrand corps d'Hiftoire que nous ayons,
contenant dans cent trente-huit Livres tout ce qui s’eft pañlé , non feulement
dans toute la France ; mais dans toute l'Europe ; depuis année 1543. jufques
en l'année 1608. avec une exactitude & une fidelité qui n'a gueres d'exemples,
I n'a jamais ny déguilé ny fupprimé la verité : noble & genereufe hardieffe
dont il a efté loüé de tous les grands hommes de fon remps , & particuliere:
ment de Papyre Maflon, qui difoir qu'il n’eftoit pas poffible qu'un Hiftorien
qui n'eft pas fincere allaft loin dans la pofteriré. Cet Ouvrage eft digne des
Anciens, & peut-eftre fürpafferoit-il une grande partie de ce que les anciens
Romains nous ont laiflé en fait d'Hiftoire, s'il n’avoit pas trop affedté de leur
reflembler: ‘Car cette affectation de bien parler leur langue a efté fi loin,
qu'elle luy a fait défigurer tous les noms propres des Hommes, des Villes , des
Pays & des chofes dont il parle, en les traduifanr en Latin d'une maniere fi
eftrange , qu'il a fallu adjoufter un Diétionnaire à la fin de {on Hiftoire, où
tous les noms propres d'Hommes, de Villes, de Pays, & autres chofes fembla.
bles qui y font contenués,, font retraduirs en François. Secours non feulement
utile, mais neceflaire à ceux qui veulent avoir une parfaite intelligence de fon
Hiftoire, C'eftoit l’enteftement de fon témps qui alloit à un tel excés , qu'au
lieu de donner à la plufpart des enfansiqu'on baprifoit , les noms des Apoñtres ;
des Martyrs ou des Confeffeurs de l'Eghfe , on leur donnoit les noms de l'Hi.
ftoire profane, & mefme de la Fable de Neftor , d'Achille , d'Hercule , &c.
Il mourut le 17. May 1617. âgé de 64. ans. C'eft luy qui a fair eflever dans l'E-
glife deS. André des Arcs , le magnifique Monument & les infcriptions qu'on
ÿ voit à la memoire de fon Pere, ;
N
ep
ae hu
nu
HIEROME BIGNON
ADVOCAT GENERAL.
ZlEROME Bignon nafquit en l'année 1590. avec toutes les dif.
pofitions que peut donner une heureufe nature, & fon Pere qui
fe chargea luy-mefme de fon Inftitution luy apprit les Langues,
les Humanités , l'Eloquence, la Philofophie , les Mathematiques,
| l'Hiftoire; la Jurifprudence & la T'hcologie, fans l'avoir jamais
envoyé au College. Il fut élevé enfant d'honneur auprés du feu Roy Loüis XIII.
qui l'eftimoit tant, que lorfqu'l s'abfentoit de la Cour il l'envoyoit aufli-toft
chercher, n'y ayant point de converfation qui luy pluft tant que la fienne.
À l'âge de dix ans il donna au public la Defcription de la Terre-Sainte , à
5. ans les Antiquitez Romaines avec un Traité du Droit & un autre de la ma
niere d'élire les Papes. A 18. ansil fit imprimer un Traitté de la Preféance des
Rois de France fur les autres Rois, pour refuter le Livre d’un Efpagnol imprimé
5. ou 6. ans auparavant , de la Dignité des Rois d'Efpagne. Aufli futil regardé
dés les premieres années de fa jeuneffe, comme un des plus fçavans & des plus
honneftes hommes de fon fiecle. 11 donna à l’âge de 23. ans des Noces fur les
Formules de Marculphe fi pleines d'érudition , d’efprit & de bon fens qu'elles
firent & font encore l'admiration de tous les Sçavans. Enfuire il dédia au Roy
Henry le Grand un traitté de l’Excellence des Rois & du Royaume de France,
qui n'eftoit que comme le crayon d'un plus grand deflein, auquel le Roy luy
commanda de travailler; mais qui fut interrompu par la mort de ce grand Mo-
narque. Il n’ignoroit aucume des Langues fçavantes, ny prefque rien de tout ce
qui a efté écrit fur quelque Science que ce foit.
Il fit fa principale eftude de la Jurifprudence civile & canonique , dont on
peut dire qu'il épuifa tous les fecrets, & qu'il en devint luy-mefme comme une
lource intariflable , car fur quelque matiere qui fe prefentaft à examiner dans
fes Plaidoyers admirables, qui ont efté pendant qu'il a vefcu la plus folide inftruc-
tion non feulement de la jeunefle du Barreau, mais des plus anciens Advocats
& de tous les Juges mefmes , il n'y avoit rien de beau, de curieux qu'il ne rap-
portait, en lorte que s'il y a eu quelque chofe qu'on puft reprocher à ce grand
perfonnage, c’eft qu’il fournifloit tant de raifons de part & d'autre qu'il laifloit
fouvent les Juges en fufpens fur le party qu'ils avoient à prendre, & qu'il les
ébloüifloit quelquefois à force de les éclairer.
11 commença à paroiftre & à donner des marques de fa capacité dans la pro-
feflion de fimple Advocar, &il continua à fe faire connoiftre dans celle d’Advo
cat General du grand Confeil, où fa reputation s'accrut encore de telle forte
que le Roy luy donna la charge d'Advocat Gencral au Parlement, vacante par
la mort de l'illuftre Monfieur Servin en 1641. Il remit cette Charge à Monfieur
Briquet fon gendre homme d’un merite fingulier, & en mefme-remps le Roy
le ft Coniciller d'Eftat; mais Monfieur Briquer eftant mort quatre ans aprés,
il reprit la charge d'Advocar General, en la fonétion de laquelle il mourut au
mois d'Avril 1656. aprés s'eftre acquis une repuration qui ne mourra jamais,
:
44 HIEROME BIGNON ADVOCAT GENERAL.
Ia laifié deux enfans , l'un qui aprés avoir rempli dignement la mefme
place d'Advocat General , pendant plufieurs annnées, eft prefentement Con-
{eiller d'Eftar, & l’autre Premier Prefidenc du grand Confeil. Ils ont fait réim-
rimer fes Remarques fur Marculphe avec des augmentations trés- confidera-
Les Cet Ouvrage éft dans la Bibliotheque des Peres de l'Edition de Colo-
gne , & le fieur Baluze l’a fait reimprimer en 1677. avec les Capitulaires de
nos Rois. Il avoit deffein de donner des Notes fur l'Hiftoire de Gregoire de
Tours , & une Hiftoire de l'Origine du Droit François , mais ces Ouvrages
dont on n'a trouvé que quelques commencemens aprés fa mort , n'ont pû eftre
achevez à caufe de l'application continuelle qu'il donnoit à l'exercice de fa
charge d'Advocat General , où il n’a pas feulement fait paroiftre une pro-
fondeur de Science incroyable ; mais un fonds encore plus étonnant de bon-
té , de probité & de delicareffe de confcience ; d'humilité & de fimplicité ;
vertus d'autant plus admirables qu’elles eftoient jointes à tout ce qui peut
infpirer de l’orgueil & de la vanité. Le Roy Loüis XIII luy donna en 1642.
une marque particuliere de fon eftime en l'honnorant de la charge de Grand
Maiftre de#à Bibliotheque, charge qui a tousjours efté poffedée par des Per-
fonnes trésilluftres dans les Lettres; mais qui ne l’a jamais efté par un homme
qui en fuft plus digne. ;
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45
NICOLAS CLAUDE FABRI
DE PEIRESC
A race des Fabri ou Fabriciens eft originaire de Pife en Italie, &
| pafla en Provence du temps de S. Loüis , par le moyen d’un Hu-
| gues Fabri Chevalier, qui l'ayant fuivi dans la Guerre Sainte , vint
au retour defcendre à Hieres, où il s'eftablit & eut desenfansce-
lebres & dans l'Epée & dans la Robe. Le Chancelier Seguier &
Monfieur de Pompadour Gouverneur du Limouzin prirent tous deux alliance
dans cette famille. Celuy dont nous parlons fut fils de Renaud Fabri & de
Marguerite Bompar que l'on dit avoir efté fi belle que la Reyne Catherine de
Médicis, lorfqu'elle pafla à Aix & qu'elle y fut vificée par les Dames de qualité
de la Ville, la baïfa à caufe de fa beauté : honneur qu'elle ne fit à aucune des
autres Dames.
On a de la peine à trouver un temps où celuy dont je parle ait eflé en.
fant; car dés les premieres années de fa vie le defir d'apprendre qui a toûjours
efté en luy tres-ardent, luy frmefprifer tous les jeux & les amufernens de l'Enfan-
ce, & il ne prit plaifir qu'à écouter ce qu'on luy difoir ou d'utile ou de curieux.
La fageffe luy vint de fibonne-heure, qu'à l’âge de neuf ou dix ans il conduifoir
fon jeune frere qui eftudioit au mefme College, qui le regardoit & l'écoutoit com-
me fonPere &comme fon Precepteur, Au lortir du College on luy donna des
Maiftres pour apprendre à monterà cheval, à faire des armes & à danfer, mais
comme toute fon inclination eftoit tournée du cofté des Lettres, il ne faifoir fes
exercices qu'en ptefence de fes Maiftres ,employant le refte du tempsou à lire ou
à extraire des Livres, ou à compoer. Ilfe mit alors dans l'eftude des Medailles À
des Infcriptions , des Tombeaux, & autres Monumens, & enfin de tout ce qui
peut donner une connoiffance exaéte & particuliere de l'Antiquité. En peu de
vemps il furpañla les plus habiles dans cette fcience , & fit un amas confiderable
de ce qui exerce & nourrit agreablement cette loüable curiofité, *
Il eftudia enfüite le Droit . les meilleurs Maiftres de ce temps-là. Et par-
ce qu'il feroit trop long de rapporter tous les genres d'eftude où il s’eft appli.
que, je me contenteray de dire qu'il n’y a aucune efpece de Litterature où il
ne fe loit adonné, & qu'il n'ait en quelque forte épuilée , qu'il n'y a prefque
point de Bibliotheque dans l'Europe qu'il n'ait veuë & examinée , point de Sça-
vans qu'il n'ait connus & à qui il n'ait fait du bien, en leur faifant part ou de
{es connoiflances, ou de fes Livres, ou de fes Medailles , ou de {à bourfe mef.
me; & s'il en a receu quelques bons offices, il n’a pas manqué de les leur ren
dre avec ufüure. Sa maïfon eftoic une efpece d’Academie , non feulement à cau.
fe du grand nombre de gens de lettres qui le venoient voir, mais mefine à ne
la regarder que du cofté de fes domeitiques, qui fçavoient tous quelque chofe
avec diftin@ion, jufqu'aux Laquais, dont le moindre pouvoit {ervir de Lecteur
en un befoin , & avoit l'induftrie de relier des Livres & de les relier avec une
propreté finguliere,
I eur au nombre dé fes amis Baptifte de la Porte tres-profond dans la con.
M
46 NICOLAS CLAUDE FABRI
noiflance des fecrets les plus cachez dela Nature, de qui il apprit tout ce qu'il
fçavoit de plus curieux dans ces fortes de fciences. Il pratiqua particulierement
l'excellent Péintre Rubens fur là connoiffänce des Medaïlles & {ur fon Art de
la Peinture, dont il connoifloir toutes les fineffes, ainfi que de la plufpart des
autres Arts. Il vefcur long-remps avec l'excellent Monfieur du Vair premier
Prefident du Parlement d'Aix où il eftoit Confeiller , & fe joignit à luy d'une
amitié fi cftroite, que lorfque-le Roy eut donné les Sceaux à Monfieur du Vair,
il le fuivit à Paris, où il n'employa jamais le credit qu'il avoit auprés de luy
que pour le fervice de fes amis , ou pour fe donner une plus facile entrée
dans les Bibliotheques & dans les Cabinets où il efperoit pouvoir contenter fa
curiofité. Monfieur du Vair qui luy faifoit part de .ce qu'il avoit de plus fe-
cret, qui prenoit fes avis dans les affaires les plus importantes de l'Eftar dont
il eftoic chargé, ne put jamais luy faire accepter aucun bienfait ny aucune
grace de toutes celles qu'il luy offtit , qu'un fort petit Benefice.
Aprés la mortde Monfieur du Vair quile laiffaheritier de toutes fes Medailles,
1 retourna à Aix revoir fon ancienne Bibliotheque. Là avec fon frere Palamede
Fabri fieur de Valane il continua fon commerce de Lettres & de Curiofitez, non
feulèmencavec tout le Monde ancien qui ne fufffoit pas ä le fatisfaire , mais avec
tout le nouyeau Monde dont on luy apportoit fans celle des productions merveil-
joues ou de l'Art, ou dela Nature. Il mourut au mois de Juin 1637. âgé de s7.ans.
ILeftoit de la celebre Academie des Humoriftes de Rome, qui luy rendit les mef
mes honneurs qu'on rend aux principaux Oficiersde cette Academie ,quoyqu'il
ne fuft que fimple Academicien, fon merite l'ayant emporté fur la couftume. La
Salle fut toute enduë de noir & fon Bufte fur pofé en un lieu éminent. Jacques
Bouchard-Parifien , Academicien de cetre Academie, fit l'Oraifon funebre en
Latin, Piece tres-éloquente , au milieu d’une afluence infinie de gens de Ler-
tres-& en prefence de dix Cardinaux , entre lefquels eftoient les deux Cardi-
naux Barberins. On ne fçauroit nombrer les Eloges funebres qui fe firent en
{on honneur: On en a compolé un gros Volume où il s'en trouve en quarante
langues différentes ou environ. Il eft enterré dans l’Eglife des Jacobins à Aix, &
on lit ces paroles fur fon Tombeau où fes Parens font aufli enterrez. Twmwlus
Fabriciorum.
PAPIRE MASSON
q Arire Maflon nâquit au Pays de Forez dans le Bourg de $.
A Germain Laval le fixiéme jour de May 1544. Son pere homme de
bien & riche Marchand mourut peu de temps aprés, & fa mere
qui paffà bien-toft à de fecondes nopces, ne laiffa pas de conferver
. our luy beaucoup d'amour & de tendreffe, elle l'envoya à l'âge
de huir ans commencer fes Eftudes à Ville-franche, où les Sciences fleurifloienc
alors autant que la petireffe du lieu le pouvoit permettre. Eftant un peu plus âgé
elle le mit au College des Jefuites de Billon en Auvergne, où pendant quatre
ans il acheva fes Eftudes & {e diftingua entre fes camarades par fon application
& par la vivacité de fon Efprit. Il alla enfuire à Thoulouze pour y eltudier la
Jurifprudence fous les excellens Profefleurs qu'elle avoit alors, comme elle en a
eu prefque danscousles temps , maisles guerres de la Religion qui s'échauffoienc
extrémement dans cet endroit de la France, l'obligerent à revenir à Billon, où
par un mouvement de devotion , il forma le deflein de fe faire Jefuire.
Il en prit l'habit à Rome où il eftoit allé avec Antoine Challon fon ami in-
time qui eftoitauffi de Forez. Il y fit l'Oraifon funebre d’un Cardinal en prefence
des autres Cardinaux & d’un nombre infini d’Auditeurs avec un applaudifflement
incroyable de toute l’Affemblée. Il alla enfüuire à Naples où il enfeigna pendant
deux ans. Eftant revenu en France il en fit autant au College de Tournon en
Wivarez , & enfuite à celuy de Clermont à Paris , tousjours avec un grand fuc-
cés & un grand concours d'Auditeurs. Antoine Challon fon ami qui a efté grand
Wicaire de trois Archevefques, ayant quitté la Societé des Jefuires, Papire Maflon
fuivit fon Exemple & alla enfcigner au College du Pleffis voifin de celuy de
Clermont. Et là, dans la harangue qu'il fit à l'ouverture de fes leçons, il rendit
railon de fa {ortie hors la Societé avec tant d’honnefteté & de moderation que
non-feulement tous fes Auditeurs ; mais les Peres mefimes qu'il avoit quitrez en
furent trés-facisfaits n'ayant bleflé par aucune parole la reputation de la Com-
pagnie dontil eftoit forti, quoyqu'en ce temps-R plufieurs autres en faifant la
mefme démarche fe fuffent emportez en des inveétives trés-fcandaleufes , Il fc
une defcriprion fort éloquente des nopces de Charles IX. & d’Elifaberh fille de
l'Empereur Maximilien: Ouvrage qui luy attira l'eftime & l'amitié de tous les
Gens deLettres & des Perfonnes de la plus haute qualité.
Il alla à Angers eftudier le Droit {ous François Balduin dont il eftoit amy,
& aprés deux ans d’Eftude en cette Science, il revint à Paris où le Chancelier
de Cheverny le prit auprés de luy & le mit dans fa Bibliotheque. Là au milieu
des plus excellens Livres que ce Chancelier faifoit venir de tous coftez, il aug-
menta beaucoup le grand fonds de connoiffance qu'il avoit déja. Ilfe fr Advo-
cat au Parlement de Paris où il ne plaida qu'une Caufe qu'il gagna avec unap-
plaudiffement univerfel, & laquelle fut trouvée fi confiderable que l'Arreft en
fut prononcé en Robes rouges. Outre la qualité d'Advocat, il eut encore celle
de Referendaire en la Chancellerie, & celle de Subftirut de Monfieur le Pro-
cureur General au Parlement de Paris, Charges qu’il n’acheta point, mais qui
furent données à fon merite,
àtl
#8 PAPIRE MASSON.
Ses principaux Ouvrages font une Hiftoire des Papes, des Annales de France,
des Eloges Latins des Hommes Illuftres, la Defcription de la France par les
Fleuves, & des Commentaires fur plufieurs Hiftoriens. 11 compofa tous ces Li-
vres qui luy-ont acquis tant de reputation au milieu du bruit continuel de divers
Ouvriers en cuivre & en fer, dont fa maifon -eftoit environnce , & où il logea
pendant trente-trois ans fans en eftre incommodé , tant l’accouftumance a de
force à faire fupporter toutes choles. 1Il-eftoit d'un efprit gay & facile, fincere
& genereux au-de-là-de fa condition & de fa fortune , donnant fon'temps &
fa peine pour le fervice des grands Seigneurs, fans en attendte d'autre récom.
penfe que la joye de leur faire plaifir. Ieftoit amy de tous les fçavans homtnes
de fon temps & particulierement du Cardinal Baronius qui eftimoit fort tous fes
Ouvrages'ne crouvant rien à y corriger que “quelques endroits dans celuy de la
vie des Evefques de Paris qu'il luy marqua; mais que Maflon ne voulut point
retrancher s’en rapportant à la poftérité qu'il en laïfloit Juge. 11 s’appelloit
Jean Maflon. Mais parce qu'il avoit un frere du mefne nom , fe fit appeller
Papire Maflon. Ce changement luy fut reproché par François Hotman Jurifcon-
füulce: 11 mourut à Paris le 9. de Janvier 1617. âgée de 67.
49
SCEVOLE DE SAINTE-MARTHE
N navoit garde d'oublier dans ce recueil lIlluftre Scevole de
Sainte Marthe, non-feulement parce qu'il a efté un des plus ex-
cellens Hommes de ce fiecle; mais parce qu’ayanr fair les Elo-
ges de tant d'Hommes Illuftres, il y auroit une extrême injuftice
à ne luy pas rendre une partic de l'honneur qu'il a fait aux au-
tres. Cet honneur ne luy fera pas rendu avec la mefne Eloquen-
ce que toute l'Europe à admirée dans fes Difcours & dans fes Ecrits: mais ce
fera avec une verité & une fincerité qui ne luy feront pas moins avantageufes
que toutes les beautez & toutes les graces du bien dire, Il eftoit Prefidenr &
Treforier General de France À Poiriers.
Il nâquit à Loudun le deuxiéme Février de l'année 1536. d’une famille où
l'efprit & la vertu font des qualitez effentielles & hereditaires. Il eftoit fils de
Loüis de Sainte-Marthe Efcuyer fieur de Neüilly , & de Nicole le Févre de Bifay,
& petit-fils de Gaucher de Sainte-Marthe Efcuyer Sieur de Villedan & de la
Riviere, l'un & l'autre Hommes de Lettres & d’un Sçavoir diftingué, tous Def
cendans d'un Nicolas de Sainte-Marthe que le Comte de Dunois fe Chevalier
au fiege de Bayonne en l'année 145. & qui eftoit iflu de Meflire Guillaume Ray-
mond de Sainte-Marthe Chevalier Seigneur de Roquevert, qui fervoir Philippes
de Valois dés l'année 5350.
La force & la vivacité de l'efprit de Scevole le rendirent habile en peu de
temps & luy firent acquerir des connoiffances prefque fans bornes. Il eftoir Ora-
teur, Jurifconfulte, Poëte & Hiftorien. Les Langues des Sçavans luy eftoient
toutes trés-familieres, particulierement la Grecque, la Latine, & l'Hebraïque.
Il joignit à cela les qualitez d'un parfaitement honnefte homme. Il eftoit bon
ami, zelé pour fa Patrie, & d'une fidelité inviolable pour le fervice de fon Prince.
I! merita l'eftime & les lotianges de quatre grands Rois. Henry IL. s'eftoit pro-
polé, peu de jours avant fa mort, de le faire Secretaire d'Eftar, & l'ayant entendu
haranguer en faveur des Treforiers de France fes Confreres qui avoient efté
füpprimez les rétablit à {à confideration, & dit qu'il n’y avoit point d'Edits aflez
forts contre une fi forte Eloquence. Henry IV. le regarda comme le plus Eloquent
homme de fon Royaume. Jacques Roy d'Ecofle & d'Angleterre admira fes Ecrits,
& dir que Ciceron & Virgile eftoient renfermez dans un feul Scevole, & le Prince
de Galles Fils & Succefleur de ce Monarque paflant inconnu en France pour
aller en Efpagne vifita ce Sçavant homme à Loudun, & luy dir qu'il croyoit voir
tous les Sçavans, lorfqu'il voyoit Scevole de Sainte-Marthe.
Henry UT. & Henry IV. le chargerenrt d'emplois dignes de fa fuffifance &
de fa probité : Et comment n’auroient-ils pas honoré un Homme qui faifoit
tant d'honneur à leur Royaume? Sa conftance & {à fidelité parurent avec éclat
aux Eftats de Blois en 1588. où il fe trouva par Ordre du Roy Henry IÏL. pour
rendre fervice à Sa Majefté dans les occafions qui {e prefenteroient. Il y en eut
une entr'autres bien importante, Un des principaux Chefs de la Ligue ayant re-
marqué qu'entre les Députez, il n'y en avoit point de plus contraires à fes def.
feins, ni quitémoignaffent plus de fidelité pour le Roy que les Officiers, il fit
N
so SCEVOLE DE SAINTEMARTHE.
propofer d'en fupprimer une partie afin de les intimider & de les reduire à ap-
puyer fon party. Les Officiers qui s'apperçurent de'ce piege firentun Adte de pro-
teftation qu'ils fignerentau nombre de plus detrois cens, & chargerent le Sieur
de Saince-Marthe de le prefenter & de porter la parole pour eux. Il entreprit
une ation fi genereule, memes au peril de fa vie, & renverfa les deffeins qu'on
avoit formez contre le {ervice du Roy. Il donna encore depuis des marques de
{à fidelité par fa conduite & par fes fages avis en l’Affemblée des Notables con-
voquée à Rotien par l'Ordre du Roy Henry IV. pour remedier aux defordres
qui s’eftoient gliflez dans fon Eftat pendant les Guerrés civiles. Son integrité
parut lorfqu'il fut fait Intendant des Finances dans l'Armée de Bretagne fous le
Duc de Montpenfier, & fon zele pour la Religion dansla Commifion qu'il exer-
ça par Ordre du Roy en Poiétou & ailleurs avec le Chancelier de l'Hofpital,
pour faire joüir les Catholiques de leurs biens, dont ils avoient efté depoñledez
& pour reftablir l'exercice de la Religion Catholique dans les Villes occupées
Fe ceux de Ja Religion Pretenduëé Reformée. La Reduétion de Poiétiers fous
Obéiffance de Henry IV. fut fon Ouvrage & un de fes pie fignalez Services.
Loudun, dont il empefcha la ruine, le regarda comme Île Pere de la Patrie,
& luy en donna mefme le furnom. Il y mourut le 29. Mars 1623. âgé de 87.
ans regretté de tout le Royaume. Un grand nombre de grands Perfonnages fi-
rent alors fon Eloge , entre lefquels fe fignalerent principalement Baif,
Joféph Scaliger, ie Lip, Cafaubon, Jean d’Aurar, le Prefident de Thou,
Janus Douza, Rapin & nn eut
Ses principaux Ouvrages furent les Eloges des: Hommes Illuftres & un Poë-
mé de la maniere de nourrir les enfans à la mammelle avec ce titre: Pedorrophis,
Jèu de puerorum educatione Libri III. Ce Poëme fut imprimé dix fois pendant
fa vie, & environ autant de fois depuis fa mort. 1] fur là & intérpreté danses Uni-
verfitez les plus célébres de l'Europe, avec la mefme veneration qu'on a pour les
Auteurs anciens. Il compofa divers autres Poëmes Latins & François.
Il eut de Renée de la Haye fa femme plufieurs enfans trés-dignes de luy , mais
particulierement ceux-cy. Abel de Sainte-Marthe Confeiller d'Eftat & Garde de
la Bibliotheque de Fontainebleau, homme Sçavant & Eloquent, qui compofa
d'excellens Ouvrages imprimez en partie avec ceux de fon Pere: & Scevole &
Loüis de Sainte-Marthe freres jumeaux nez à Loudun le 20. Decembre 1571.
Ils furent tous deux Hiftoriographes de. France; mais fi femblables de corps,
d'efprit & d'inclination, qu'on les prenoir fouvent l'un pour l'autre & qu'ils paf
ferent coute leur vie enfemble dans une parfaite union. Ils eftoient comme les
Oracles de la France pour l'Hiftoire & pour les belles Lettres. Nôtre Monarchie
leur fera éternellement redevable de l'Hiftoire Genealogique de la Maifon de
France en deux gros Volumes, Ouvrage incomparable & auquel ils travaillerent
conjointement pendant cinquante années. L'Eglife de France ne leur doit pas
moins pour l'Hiftoire de tous fes Prelats qu'ils ont faite fous le titre de Gallia
Chriflians. Comme tous les hommes de cette Famille ont efté trés-Illuftres, il
auroit fallu faire icy douze ou quinze Eloges au lieu d’un : mais auf comme
ils ont poffedé les mefmes grandes qualitez,on peut dire que l'Eloge du grand
Scevole peut en quelque façon fervir à tous les autres.
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PAUL PELLISSON FONTANIER
DE L'ACADEMIE FRANCOISE
Aur PerrissonFONTANIER nâquit à Beziers en l'année
1624. Son Pere eftoit Conféiller à la Chambre de l'Edit de Lan-
guedoc, Son grand Pere Confeiller au Parlement de Thouloufe,
& fon Bifayeul premier Prefident au Parlement de Chamberi,
£ aprés avoir efté Maiftre des Requeftes, Ambaffadeur en Portu-
gal, & Commandant pour le Roy en Savoye quand François I. s'en rendit le
Maiftre.
Monfieur Pelliffon avoit un fi beau naturel pout l'Eloquence & pour la Poë-
fie, qu'il furpañla aifément tous les compagnons de fes études ; & comme il ,
n’eftoit pas pofible qu'un auffi beau Genie & d’aufli grande étenduë demeuraft
enfermé dans une Ville de Province, il vinr à Paris dés qu'ilen put obtenir la per-
miffion de fes Parens, & fitconnoiflance avec tout ce qu'il y avoit alors de per
{onnes diftinguées par la beauté de leur efprit ou par la profondeur de leur Scien.
ce. Des affaires domeftiques l’obligerent de retourner à Caftres, d’où ilrevint peu
de temps aprés, mais fi défiguré par la petite verole & par une fluxion maligne
qui luy comba fur le vifage , que fes amis eurent de la peine à le reconnoifire,
Cependant comme fon elprit n’eftoit point changé , & que mefme le temps
avoit encore ajoufté de la vivacité & de la force , il n’en fut pas moins confi.
deré ni recherché de tout le monde. Le merite de Mademoifelle de Scudery
déja connu par fes Ouvrages , quoyqu'elle ne les avoüaft pas & qui attiroit
l'admiration de tout le monde , malgré tous les voiles dont fa Modeftie tafchoit
de le cacher, le toucha particulierement & luy fit fouhaiter avec ardeur d’a-
voir fon eftime & fa bienveillance. Ce fouhait fur reciproque , & ils ont con-
fervé jufqu'à la mort une amitié l'un pour l'autre, qui n'a gueres d'exemple
pour fa durée & pour fa folidité. Dans les premieres années de fa jeunefle il
compofa un nombre prefque infini de Poëfies agreables & de petites Pieces en
Prole les plus ingenieufes qu'ont ayt jamais veués , qui ont fait les delices de
Paris & de coute la France pendant un fort longtemps.
Il compofa entrautres chofes l'Hiftoire de l'Academie Françoife d’un file
dont on ne peut trop loüer la jufteffe & la briéveté dans un temps où l’on eftoit
ordinairement diffus. Certe Hiftoire eft un modelle en ce genre d'écrire,
L'Academie couchée de l'honneur qu'il luy faifoit , luy donna une place dans
fon Corps, quoyqu'il n’y en euft point de vacante : Faveur qui n'avoit point
d'exemple , & qui apparemment n’en aura plus , eftant difficile qu'un autre
homme fafle à l'avenir quelque chofe pour elle qui merite une femblable re-
çonnoiffance. Monfieur Foucquet Procureur General & Surintendant des Fi.
nances, fort fenfible aux talens de l'efprit & qui luy connoiffoit un grand fonds
de bon fens , voulut l'avoir auprés de luy & l'employa dans les affaires. La dif.
grace de Monfieur Foucquet eftant arrivée peu de temps aprés caufa fa ruine
entiere & le fit mettre à la Baftille. Ses amis regarderent comme un tres-grand
malheur ce terrible charigement de fortune , quoyqu'ils ne doutaffent point de
fon innocence, & ils ne pouvoient trop déplorer {à captivité qui dura plus de
52 PAUL PELLISSON FONTANIER.
années. Cependant ce long fejour dans une prifon a efté route la fource
de fon bonheur, & l'on ne fçauroit trop admirer la conduite de Dieu fur luy.
La Providence qui vouloit le convertir &enfüire en former un des plus forts &
des plus folides deffenfeurs de la Foy Catholique, aprés luy avoir donné le temps
de fe former un excellent ftile dans l’'eftude des Lettres humaines & dans l'e-
xercice de l'éloquence , le mit dans certe folitude pour luy faire faire les refle:
sions, les lectures & les eftudes neceflaires à un employ fiimportant. Il y leur
non feulement toute l'Ecriure Sainte avec fes Commentaires , mais tous les
Peres de l'Eglife. 11 lit auffi prefque tous les Livres de Controverfe. Pour fe
délaffer il compofa un Poëme de plus de treize cens Vers fous le vitre d'Alci-
medon, & comme il n'avoit ni papier ni encre , il l'écrivit tout entier fur des
marges de Livres avec de petits morceaux de plomb qu'il prenoit aux vitres
de fa chambre.
Lors qu'il eut recouvré fa liberté , il abjura fon herefie dans l'Eglife de
Chartres, & fe donna tout entier à compofer des Ouvrages pour la Conver-
fion de fes freres errans. Le Roy qui avoit eu tousjours beaucoup d'eftime
pour luy, voulut qu'il s'attachaft auprés de fa Perfonne , & connoiflant la
beauté & la delicarefle de fa plume , le chargea d'écrire l'Hiftoire de fon
Regne. Ceux qui ont leu ce qu'il en a compolé, affeurent que rien n'eft plus
beau dans ce genre d'écrire. Ilfur receu Maiftre des Comptes à Montpellier
en 1655. aprés avoir negocié le reftabliffement de cette Compagnie qui avoir
efté interdite en 1670. 11 fe fit Maiftre des Requeftes en 1674. Il fut nommé
Oeconome de Cluni & de S. Germain des Prez en1675. En 1676. 1l fut prépofé à
l'adminiftration du tiers des Oeconomats ; & en 1679. il fur fair Oeconome
deS. Denis. Sa fortune changea plufieurs fois, mais fon cœur demeura tous-
jours le mefme. Ce qui peut abbatre , ce qui peut corrompre luy laiffa toute fa
fermeté & toute {à droiture, Ce fut luy qui pour farisfaire à la paflion qu'il avoit
pour la gloire du Roy, propofa à l'Academie Françoife de donner un Prix de
Poëfie comme elle en donne un de Profe, & de le donner à celuy dont l'Ou-
vrage en Vers auroit le mieux celebré les loüanges du Roy. Ce prix eft une
Médaille d'or de 300. livres, dont il failoit la dépenfe & que l'Academie a con-
tinué de faire aprés fa mort.
Il fic des preiens confiderables à diverfes Eglifes pour marquer fa foy fur le
myftere dé l'Euchariftie, qui avoit efté long-temps le plus grand obftacle de fa
converfion, entr'autres d'une lampe d'argent de 2000. livres qu'il donna aux
Filles de la Vifitation de la ruë S. Antoine pour éclairer nuit & jour devant le
S. Sacrement. Ce don n'a efté fçu qu'aprés fa mort. Tous les ans il celebroit le
jour de {à réunion à l'Eglife en s'approchant des Sacremens; & depuis fa {ortie
de la Baftille , il ne laifla point pañler d'année fans délivrer quelque prifonnier,
Ses principaux Ouvrages de Profe, font l'Hiftoire de l'Academie Françoife; un
Pancgyrique du Roy prononcé dans la mefine Academie , lequel a efté traduit
en Latin ,enEfpagnol, en Italien , en Anglois & mefme en Arabe par le Patriar-
che du Mont-Liban : La Preface des Oeuvres de Sarrafin : Les Reflexions fur
les differens de la Religion en quatre Volumes & une efpece de Manuel de cour-
tes Prieres pour dire pendant la Meffe: I travailloit à un Traité fur l'Euchariftie
quand il fut prevenu de la mort le 7. Fevrier 1693. de forte qu'on peut dire qu'il
eft mort en combattant pour la Religion.
(ll
\
PER EU D U “PUY
GARDE DE LA BIBLIOTHEQUE DU ROY.
= L feroit mal-aifé de dire fi c’eft du cofté du Sçavoir ou du cofté
\ de là Vertu que celuy dont je parle a meriré davantage d’eftre con-
fidéré, L'Employ de Garde de la Bibliotheque du Roy, dont il
eftoit infiniment digne eft un préjugé de fa luffifance, & {es Ou.
SI vrages, qui font l'admiration des Sçavans, en font une preuve,
qui ne peut eftre conceftée.
A l'égard des mœurs, il n'y en eut jamais de plus douces, de plus reglées,
ni de plus aimables ; beaucoup de pieté & de modeftie, une humeur obligeante,
une parfaite integrité & un amour trés-ardent pour fa Patrie formerent fon ca-
ractere. Il avoit encore un difcernement admirable pour les affaires; quelques
embarraflées qu’elles fuflent, il trouvoit d'abord le point qui les décidoit, M.
le Prefident de Thou fon Allié qui fe connoifloit fi bien en hommes de merite
n'avoit point de plus grand plaïir que de s’'entrerenir avec luy, & Monfieur
Rigault fut admis pour tiers dans leurs fçavantes Converfations.
On peut dire que la paffion dominante de Monfieur Du Puy eftoit l'amour
de fa Patrie. Prelque tous fes Ouvrages ne tendent qu'à luy faire honneur, qu'à
en faire valoir, & à en relever les avantages. Auffi dés qu’il fut de retour d’un
Voyage qu'il fit en Hollande avec M. Thumery de Boiflife envoyé parle Roy; où
il renouvella l'amitié que fon Pere avoit entretenuë avec tous les fçavans Hom.
mes des Pays-bas, il travailla à la recherche des Droits du Roy & à l'Inventaire
du Trefor des Chartres, dont l'examen , qu'il fit foigneufement , luy donna une
parfaite connoiffance de tout ce qui regarde noftre Hiftoire. 11 embrafla avec
une joye incroyable la commiflion qui luy fut donnée de juftifier avec Meffieurs
le Bret, & de Lorme, les Droits du Roy fur les trois Evefchez de Metz, Toul, &
Verdun, &les ufurpations du Duc de Lorraine fur ces mefines Evefchez. Tout
le poids de cette Commiffion tomba fur luy , il en drefla tous les Inventaires rai.
fonnez, & fournit quantité de Traittez & de Memoires pour la verification des
juftes prétentions de la France.
Pour eftre convaincu de fon amour pour fa Patrie, & de fon zele pour l'a-
vantage de la Couronne, il ne faur que lire les titres de fes Ouvrages, donr voicy
une fuccinte énumeration. Traittex touchant les Droits du Roy fôr plufieurs Effats
© Seigneuries : Recherches pour montrer que plufieurs Provinces g) Villes dy Royau-
me Jônt du Domaine du Roy ; Preuves des libertez de l'Eglifé Gallicane ; de la Loy
Salique ; Que le Domaine de la Couronne eff inalienable ; Traitté des Appanages des
Enfans de France ; Memoire du Droit d'eAuboine, & plufieurs autres de la mefne
nature. Il n'avoit pas de plus grande joye que lorfqu'il découvroit un Titre qui
ajoûtoit quelque chofe à la gloire du Royaume, ou qui luy eftoit de quelque
utilité. C'eftoit une efpece de Conquefte à fon égard qui luy donnoit plus de
plaifir, que s'il avoit augmenté fon propre Patrimoine,
Il mourut à Paris Le vingt-fixiéme Decembre 1651. âgé de 69. ans. M. Rigaulc
écrivit fa vie, où l'on peut voir plus aulong les qualitez admirables de cet excel.
sx PIERRE DU PUY GARDE DE LA BIBLIOTHEQUE DU ROY.
lent Homme. Monfieur Valois fit {on Oraifon funebre, & prefque tous les
fçavans Hommes de fon temps firent fon Eloge. Il donna fa Bibliotheque au
Roy, aprés avoir accrû celle de Sa Majefté d'un trés-grand nombre de
Livres tant imprimez que manuferis. Luy & fon frere prirent foin de la
Bibliotheque de M. de Thou aprés fa mort, & la rangerent de la maniere qu’on
la voit dans le Catalogue imprimé en 1679. qui eft le plus beau modelle dont
on puifle fe fervir pour dreffer une Bibliotheque.
Son frere Jacques Du Puy Prieur de S. Sauveur prit le foin de l'édition de
£es Ouvrages polthumes & fut Garde de la Bibliotheque du Roy aprés fa mort.
fl continua à entretenir les doétes Conferences qui s'y faifoient tous les jours,
& où ce qu'il y avoit de plus habiles Gens & de Fe Perfonnages pendant
Ja vie de tous les deux, prenoient un extrême plaifir de fe trouver. Il nous refte
une infinité d'excellentes chofes qui ont efté dites dans ces Conferences & qui
font venuës à nous fous les vitres de Pureana, de Thuana & de Perroniana. Ces
Conferences eftoient fi eftimées & le Public rémoigna un fi grand regret de
les voir finir, que M. de Thou les continua dans fon Cabinet jufqu’à la vente
de {à Bibliotheque, aprés quoy M. Salmon Garderoolle des Offices de France
qui avoit entrée dans ces Conferences , les a renuës chez luy jufqu'à fa mort,
& M. de Villevault fon gendre Maiftre des Requeftes reçoit prefentement
dans la mefine maifon cetre Affemblée qu'on appelle encore le Cabinet, parce
lle s’appelloit ainfi du temps qu'elle fe renoir dans le Cabinet de M. de
‘Thou.
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ROBERT ARNAULD
SEIGNEUR D'ANDI LL Y.
= À Famille de Monfieur Arnauld d’Andilly ne s’eft pas renduë
& 4 feulement celebre par la Science & par les Lettres, mais encore
Ne par la valeur & par les armes. Son Ayeul Arnauld de la Motte
ro originaire d'Auvergne fe fignala en plufieurs rencontres pour le
D fervice de nos Roys. Son Eh aifné, dont le Chafteau de la Motte
fut bruflé par les Troupes des Ligueurs , aprés avoir donné d’illuftres marques
de fon courage à la bataille d’Ifloire en l'année 1500. y fit prifonnier le Gene-
ral de l’Armée des Ennemis. Pierre Arnauld qui eftoit aufli fon Oncle fut Me-
ftre de Camp du Regiment de Champagne , General des Carabins , & Gou-
verneur du Fort-Loüis, & fe diftingua fort à la prife de la Rochelle. Ce Capi-
taine eut tant de genie pour la Guerre , que le Roy Loiüis XIII. voulut que la
nouvelle maniere dont il fit armer le Regiment qu'il commandoit , de mefme
que l'exercice & la difcipline qu'il y faifoit obferver, fuflent fuivies dans le refte
de fon Infanterie.
Celuy dont nous parlons n’eut pas moins de courage ni de grandeur dame,
quoyque dans une Profeflion differente. Il nâquit à Paris en l'année1589. d’An-
zoine Arnauld Procureur General de la Reine Catherine de Médicis, qui mon.
tra tant de force d'efprit, tant d’érudition & tant d’éloquence dés les premieres
actions qu'il fit au Barreau , que fa memoire y fera éternellement en venera-
tion. M. Marion Avocat General luy fit épouler fa Fille qui eftoit tres-riche, &
ce mariage fut beni par la naiflance de plufieurs enfans d’un merite extraordi-
naite, entre-autres de celuy dont nous parlons, de Henry Arnauld Evefque
‘d'Angers, dont la pieté & le zele epifcopal ferviront éternellement de modelle
aux plus parfaits Evefques, d'Antoine Arnauld Doéteur de Sorbonne connu
de tout le monde , & de fix filles toutes Religieufes à Port-Royal des Champs.
M. d’Andilly leur aifné parut à la Cour eftant encore fort jeune & y parut
digne des plus grands emplois. 1l en fouftint depuis de tres-importans avec
beaucoup de fufifance & une tres-exacte probité. Sa maniere d'agir avec les
Princes & les Rois mefmes a efté route finguliere. Car ayant le cœur grand,
l'efprit noble & toute l'autorité que peut s'attirer une mine avantageufe & pro-
pre à fe faire refpeëter , joints à une reputarion tres.établie, & à une fagefle
confommée, il leur parloit avec une grande liberté, qui pleine de circonipec-
tion leur a tousjours efté trés-agreable, parce qu'ils eftoient perfuadez de fa fin-
cerité, de fon zele pour leur fervice & de la droiture de fes intentions. Le bien
public faifoit fur fon ame la mefme impreflion que l'intereft particulier fait or.
dinairement fur celle des autres. Il prit plaifir à fe fervir du credit que fon me-
rite luy donnoit pour favorifer l'honneur & la juftice, & pour faire autant qu'il
le pouvoit, que la vertu fuft aufli heureufe qu’elle mericoit de l'eftre. Comme
ces grandes qualitez qui viennent plus du Ciel que de la Terre l'avoient tous-
jours porté à méprifer ce que le monde promet de plus grand, il le quitta à
l'âge de 55. ans & fe retira à l'Abbaye de Port-Royal des Champs, où fa mere,
56 ROBERT ARNAULD SEIGNEUR D'ANDILLY.
fix de fes fœurs & fix de fes filles eftoient Religieufes. Cetre circonftance qui
marque fur une famille une des plus grandes & des plus vifibles benedictions
de Dieu eff rellement finguliére que je ñé croy pas qu'elle ayt d'exemple. C'eft
pendant certe retraite , laquelle a duré 30. ans, qu'il enrichi l'Eglife des beaux
Ouvrages qu'on voit dans les mains de tout le monde, & qui font en telle quan-
tité qu'on en a imprimé huit Volumes in folio. Ce font la plufpart des Hiftoires
Saintes tirées des plus excellens & dés plus fideles Originaux, où des Traduc-
tions-admirablés des plus beaux Ouvrages des Peres de l'Eglife; Le rout écrit
avéc une extrême élegance & une trés-grande pureté de langage, & für rout
avec uné force & une onétion qui marquent en mefme-temps & la generofiré
naturelle de fon ame & la grace de l'Efprit Saint dont il eftoit animé.
A l'exemple de ces Illuftres Romains qui cultivoienc leurs champs, lorfque
les affaires de la Republiqué leur permettoient de s’y appliquer. Il fe pleuft ex-
trêmement au jardinage aux heures de fon loifir, 11 philofopha f profondement
fur la nature des Arbres, fur ce qui leur eft propre ou contraire, & par les di-
verfes obfervations qu'une longue experience luy fi faire, il en prit une fi par-
faire connoïffance que perfonne jufqu'à luy n’a porté plus loin cet Art aimable
& innocent. i ; è :
Il femble que Dieu aye voulu récompenfer für la fin de fà vie fon parfair
defintereffement. Car le Royinftruit du merite & de la capacité de Monfieur
Arnauld de Pompone fon fils le fr Miniftre & Secretaire d'Eftat, lorfqu'il
cftoit Ambaffadeur en Suede, & ce choix ft plaifir à toute la France. Monhebr
d'Andilly a vefcu prés de 86. ans dans une viguetir parfaite & de corps & d'ef.
rit, aimant fes Amis avec cendrefle & ayant efté aimé d'eux avec refpeæ,
Ce felon le monde, & mille fois plus heureux felon Dieu, qu'ila tousjours
prefere à toutes chofes, n'ayant rien defiré ardemment fur la Terre que l’Eter-
nité, dans laquelle il eft entré le vingt-troifiéme Septembre 1674. par une mort
trés-fainte & conforme à coure {à vie, ’
Ps
min
57
ANTOINE ROSSIGNOL
MAISTRE DES COMPTES.
m N a tousjours regardé comme une chofe admirable que les
| hommes ayent trouvé le moyen de fe communiquer leurs pen-
ë fées routes {piricuelles qu'elles font, par des caracteres corporels,
A & qui d'eux-mefmes n’ont aucune reflemblance avec les chofes
qui fignifient, mais fi l'on a lieu de s’eftonner qu'un homme
devine la penfée d'un autre par ces caracteres, lors même qu'ils font formez
pour la donner à entendre; combien eft-il plus furprenant qu'il ayt l'induftrie
de la deviner, lorfque ces mêmes caraéteres ont efté faits pour la cacher & la
derober à fa connoïffance. Cependant c'eft ce que font tous les jours ceux qui
ont l’art de dechifrer; fecret à admirable qu'il n'y a que l'accouftumance de
le voir pratiquer quiempefche qu'on n’y croye du miracle. Entre ceux qui ont
eu ce talent, perfonne ne l’a poffedé au point de perfection qu'on a remarqué
dans celuy dont je parle.
Il nâquit dans la Ville d’Alby le premier jour de l'année 1600. & fes Parens,
les plus confiderables de cette Ville, eurent un trés-grand foin de fon éduca-
tion. Il s’appliqua fortement à l'eftude des Sciences les plus difficiles, & parti
culierement des Mathematiques, où fon efprit vif & penetrant au-delà de ce
qu'on peut s'imaginer, luy fit découvrir en peu de temps ce qu'elles ont de plus
caché & de plus curieux; il parvint par la connoiffance exaéte de ces Sciences,
& principalement par la force de fon genie à deviner toutes fortes de chifres ,
fans en avoir prefque trouvé un feul pendant toute fa vie qui luy-ayt efté impe-
netrable, Ce Le en l'année 1626. & au Siege de Realmont Ville de Languedoc
alors en la puifflance des Huguenots, qu'il fit fon premier coup d'eflay. Elle
eftoit afliegée par l’armée du Roy que commandoir M. le Prince de Condé, &
elle faifoit une telle refiftance que ce Prince eftoit fur le point de lever le Siege,
lorlqu’on füurprit une Lettre des Affiegez efcrite en chifre, où les plus habiles en
l’art de déchifrer ne peurent rien comprendre; Elle fut donnée à M. Roffignol qui
la déchiffra fur le champ, & dit que les Affieyez mandoiïent aux Huguenots de
Montauban qu'ils manquoient de poudre, & que s’il n'y eftoit pourvû incef
famment ils {e rendroient aux Ennemis. Le Prince de Condé envoya aux Affe.
gez leur Lettre déchiffrée, ce qui les oblisea de fe rendre dés le jour mefme.
La chofe ayant efté rapportée au Cardinal de Richelieu, il fit venir à la Cour
Monfieur Roflignol qui donna des preuves fi eftonnantes de fon habileté, que
ce grand Cardinal malgré fon genie extraordinaire qui l'empefchoit d'admirer
bien des chofes, ne pouvoit neantmoins fe lafler d'en marquer de l’eftonne-
ment. Il fervit trés utilement pendant le Siege de la Rochelle, en découvrant
les fecrets des Ennemis par leurs Lettres interceptées qu'il déchiffroit toutes fans
prefque aucune peine. Ce grand Miniftre récompenfa fon merice de plufieurs
bienfaits, & le Roy Loüis XIII. le recommanda en mourant à la Reine, com.
me un homme des plus neceflaires au bien de l'Eftar. Le Roy qui connoift fi
parfaitement les talens des hommes l’a tousjours honoré d'une eftime trés-parti-
P
58 ANTOINE ROSSIGNOL M'ATSTeRNEMDES COMPTES,
culiere qu'il a marquée par des graces continuelles & par une penfion confide-
rable qui luy a efté continuée pendant toute la vie. Ileft vray qu'on ne fçait point
en détail ni le nombre, ni l'importance des fervices qu'il a rendus, les conipira-
tions qu'il a découvertes, les Villes dont {es lumieres ont facilité la Conquete,
celles qu'il a empefché d'eftre prifes les batailles gagnées, & les défaites évitées
en apprenant par fon moyen les deffeins, les entrepriles, & toutes les penfées des
Ennemis, parce qu'il a gardé là-deffus un filence inviolable ; mais l'ignorance où
nous fommes de ces fervices à une fi belle caufe, qu'elle ne luy eft pas moins
honnorable que la connoiffance de ce qu'il a fait pour le bien du Royaume.
Il a ervi l'Effat pendant cinquante-fix années, & il a fervi Dieu pendant toute
fa vie qu'il a pailée dans une meditation prefque continuelle de l'Ecriture-
Sainte, autant refervé à vouloir fonder les fecrets que Dieu s'eft refervé à luy
feul & qu'il eft bon que nous ignorions, qu'il eftoit vif à penetrer les fecrers des
hommes qu'il eft utile de fçavoir; autant humble & foûmis dans les chofes de
la foy qu'il eftoit fuperieur dans toutes celles qui font du reflort des fens & de
la raïfon. Le Roy luy fc l'honneur d’aller voir en revenant de Fontainebleau fa
maifon de Campagne à Juvizi qui eftoit fort belle. Monfieur Roflignol receur
Sa Majefté avecun tel excés de joye: (car jamais perfonne n'a eu plus que luy
de zele pour fon Prince) que le Roy qui s'en apperceut, & qui craignit quil
ne s'en trouvaft mal dans l’âge avancé où il eftoit, eut la bonté d'ordonner à
{on Fils qui le füuivoit de le quitter, & de s’aller rendre auprés de {on Pere pour
avoir foin de fa fanté. Il mourut peu de temps aprés âgé de quatre-vingt-trois
ans; mais d’une mort fi douce & fi tranquille qu'on ne pouvoit pas douter qu'elle
ne fuft un pañlage à la vie bienheureufe. Il avoit l'ame grande & defintereffée,
il fur plus à fes Amis qu'à luy-mefme, & fa principale attention eftoit de leur
faire plaifir. Il efpoufa Catherine Quentin de Richebourg dont il a laïflé deux
enfans Charles Bonaventure Roflignol Scigneur de Juvizy & Prefident à la
Chambre des Comptes de Paris, & Dame Marie Roffignol femme de Monfieur
Croifer Prefident en la quattiefme Chambre des Enqueftes.
39
RENE DES CARTES
PHILOSOPHE
Eux qui ont eu la force de faire changer de face aux chofes
w'ils ont trouvé eftablies dans le monde, ont tousjours efté con-
RAqAR comme des Hommes extraordinaires, fur tout lorfque ce
VU changement eftoit difficile à faire, ou d’une utilité confiderable.
ÉÉRRSEEE] Suivant ce principe on doi eftimer beaucoup celuy dont je parle.
Ta Philofophie d’Ariftote eftoit eftablie par tout & de telle force qu'il n'eftoit
pas permis d'aller contre le fentiment & les décifions de ce Philofophe. La Rai-
fon mefme ne tenoit pas devant luy, & il falloit qu'elle fe teuft dés qu'il par-
loit. Cependant Des cartes a avancé des maximes routes differentes des fiennes:
Il a pris dans la Phyfique des routes toutes oppofées , & il a eu la force de les
faire preferer par les trois quarts du monde à celles d’Ariftote , qui jufqu'à luy
avoient paru les feules veritables.
Il fuc fils de Joachim Des cartes Confeiller au Parlement de Bretagne & ni-
quit à la Haye en Touraine le 3. Mars de l’année 1596. L'inclination naturelle
qu'il avoit à vouloir connoiftre les caufes de toutes chofes, & les queftions
continuelles qu’il faifoit à fon pere pour s'en inftruire faifoient qu'il l’a ppelloit
ordinairement fon Philofophe. Lorfqu'il fe trouva affés fort Pour commencer
{es Eftudes, car il eftoit né fort delicat, fon pere le mit au College dela Fle-
che fous la conduite du Pere Charlot fon parent, & enfuite fous celle du Pere
Dinet depuis Confeffeur des Rois Henry IV. & Lois XL. Il furpaffà tous {es
Compagnons dans tout ce qu’on leur enfeignoit , & particulierement dans la
Poëfie qu'il a tousjours beaucoup aimée. Il aimoit aufli avec paflion là leure
de tous les bons Livres fur quelque matiere que ce fuft, contre la couftume de
plufieurs Philofophes qui méprifent tout ce qui n'eft pas Philofophie ou pure
Mathematique. Outre l'Eftude des belles Lettres qu'il fit au College, il y ft
aufli des Amis qu'il conferva toute fa vie , entre-autres Marin Merfenne qui
fut depuis Minime, grand amateur de la Philofophie & des Mathematiques,
& qui eftoit comme {on refident à Paris pour fes affaires de Philofophie. Il
acheva fes Eftudes à l'âge de 16. ans peu fatisfait de ce qu'il y avoit appris. IL
ne voulut retenir de la Logique qu'on luy avoit enfeignée que les quatre prin.
cipes qui fuivent: Qu'on ne doit tenir pour vray que ce qui eft trés-évidenr ;
Qu'il faut divifer les chofes pour les connoiftre; Qu'il faut conduire fes penfées
par ordre; Et qu’il ne fautrien omettre dans ce qu'on divife. Il en fit de mefine
de la Morale, dont il ne voulut retenir que ces quatre maximes : Qu'il faut
obéïr aux Loix & aux Couftumes de fon Pays; Qu'il fau eftre ferme dans fes
refolutions, & fuivre aufli conftament les opinions douteufes, quand on s’
eft une fois dererminé , que les plus afleurées, Qu'on doit travailler pluftoft à
{e vaincre {oy-mefme qu'à vaincre la fortune, Et qu'il faut recherchet la Veriré
für toutes chofes, & en faire fon principal Employ fans blâmer les occupations
des autres. ñ
En entrant dans le monde il fe jetta dans le Jeu & dans les autres diver.
60 RENE DES CARTES PHILOSOPHE.
tifflemens de la Jeuneffe, dont il fe lala bientoft, & qu'il quitta pour faire de
l'Eftude de là Veriré, & fon employ & {on plaifir. Pour cer effet il chercha la
folitude pendant toute fa vie, & f1fes talens extraordinaires ne luy avoicnt
attiré des Amis qui alloient le deterrer quelque part où il fe cachait, foir à
Paris dans l'extrêmité des Fauxbourgs, foit en Hollande dans les lieux les plus
retirez , entre lefquels le Village d Egure fuc celuy, où il demeura le plus long-
temps à diverfes reprifes , il auroit paflé coute {à vie éloigné du monde, content
des découvertes qu'il faifoit dans toutes les Sciences. Quoyqu'il euft beaucoup
leu , il prétendoir devoir uniquement ce qu'il fçavoit à fesmeditarions, & qu'il
auroit efcrit les mefines chofes que nous avons de luy, quandil n'auroit jamais
eftudié. Ila examiné à fondstoutesles parties de la Philofophie, particulierement
la Phyfique & la Metaphyfique. Il eftablit comme premier principe de con.
noiffance: 7% pen/e, donc je fuis. Principe d'une évidence inconteftable dont il
en déduit d'autres, & de ceux-là une infinité de propofitions, qui par l'en-
chaifnement neceflaire qu’elles ont, ou qu'elles paroiflent avoir les unes avec
les autres, fe font récevoir de l'efprit d’une maniere prefque invincible.
A l'égard de la Phyfique, n’eftant point content de celle d'Ariftote, laquelle
explique routes chofes par le moyen des qualitez qu'elle donne aux Agens fans
fe mettre en peine des moyens, dont ces Agens fe fervent pour operer, & qui
eft pluftoft une Naphy dque qu'une Phyfique, il trouve des caufes mechani-
ques de tout ce que fait la Nature, & il l'a fait cravailler dans fes Ouvrages à
peu prés de la mefme forte que l'Art, qui eft fon Imitateur, travaille dans les
liens; par ce moyen il fatisfaic l'efprit qui voit des chofes, au lieu que dans la
Philofophie d’Ariftote on n'entend fouvent que des paroles. Que s’il n'a pas con-
nu toutes les merveilles de la Nature, il a mis ceux qui viendront aprés luy
fur les voyes de les connoiftre autant que l'Homme en peur eftre capable. Il
eut pour-Amis tous les Sçavans Hommes d'un merite diflingué, à la referve
de ceux que fa maniere nouvelle de philofopher fouleva contre luy ; car la har.
dieffe qu'ileut d’eftablir des Maximes contraires À celles des Anciens, luy fufcita
des Ennemis qui luy ont fait une guerre continuelle, mais dont il a tousjours
triomphé par la folidité de fon raifonnement , de mefme que par la moderation
de fon efprit. Il traitta rousjours les Queftions de Philofophie en honnefte Hom-
me, avec fincerité & preft d'embrafler la Verité par tout où l’on luy feroit voir
qu'elle feroir. Il fu eftimé & aimé de tous ceux qui le connurent. La Reine de
Suede le voulut avoir auprés de fa Perfonne, & clle devint f paflionnée de fa
Philofophie qu’elle luy donnoit tous les joursune partie confiderable de fon temps,
fe levant pour y vacquer à cinq heures du matin. Elle le confültoit mefine dans
les affaires de confequence. Il tomba malade à Stocholm & y mourut le onziéme
Février 1650. à quatre heures du matin âgé de 53.ans. Monfieur Dalibert Secre.
taire du Roy eut tant d’eftime pour luy, que pour faire honneur à {a Memoire,
(quoyqu'il ne le connuft que de reputation & par fes Ouvrages, ) fit apporter
de Stocholm à Paris fon corps embaumé & le fit enterrer dans l'Eglife de fainte
Genevicfve aprés un fervice folemnel, où tous les Sçavans furent invitez, & y
fit mettre une Epitaphe. Sa vie a efté cfcrie & eft dans les mains de rout le
monde: C'eft pourquoy je n'entreprendray pas de rapporter 1cy tout ce qui luy
ft arrivé de confiderable, ny tous les Ouvrages qu'il a compofé.
(il
j
|
Î
l4
|
61
D Ne ve en ARR A V0 à 1
ANTOINE LE MAISTRE
ADVOCAT.
{lex ne feroit plus avantageux pour former l'Eloge de Monfieur
; que de marquer La gloire qu'il seft acquife par fon
Eloquence, s’il ne luy eftoir encore plus glorieux d’avoir renoncé
à cette mefine gloire par un mouvement d'humilité Chrétienne.
+ 11 nâquit le 2. May de l’année 1608. Son pere Iaac le Maiftre ef.
toit Maiftre des Comptes, & fa mere Catherine Arnauld eftoit {cœur de Mon-
fieur d’Andilly, de Monfieur l'Evefque d'Angers, & de Monfieur Arnauld Doc.
teur de Sorbonne,
Il commença À plaider à vingt & un an, &il s'y prit d’une maniere qui
n'avoit point encore cu d'exemple dans le Barreau. Il y apporta l'Eloquence
de l'ancienne Grece & de l'ancienne Rome, dégagée de tous les vices que la
barbarie de nos Peres y avoit introduite. Ce fut un nouveau Ciel & une nou-
velle Terre dans le bel Art de la parole. Monfieur le Chancelier Seguier le
choifit, quoyqu'il n’euft encore que 28. ans, pour prefenter {es Lettres au Par
lement & aux autres Cours fuperieures. Il y a prés de foixante ans que les Ha-
rangues qu'il prononça alors ont efté faites, & elles font neantmoins dans une
aufli grande pureté de langage que fi elles venoient d'eftre compofées. C'eit
une ve furprenante que cet excellent Homme ayt fçû non feulement fe def.
fendre des vices & des deffauts de fon temps, des jeux de mots, & des anti_
thefes , qui faifoient alors les délices de l'Orateur & de {es Auditeurs; mais que
par La force de fà raifon il ayt préveu & comme faifi par avance la maniere
parfaite de s'exprimer, qui n'a efté en ufage qu'aprés une longue fuite d'années.
Quand on fonge que cette Eloquence toute admirable quelle eft, n'a efté
qu'une des moindres qualitez de M. le Maitre , & que fon humilité luy a fair
renoncer à ce précieux Don de la parole par la feule raifon que ce merveil-
leux avantage l'alloit combler d’honneurs & de richefes, il eft mal_aifé de fe
faire une aflés noble idée de ce grand Homme , & quelque juftice que la
France ayt renduë à fon merite, on n'y a pas fait encore aflés d'attention,
Quoyqu'il en foit plufieurs ofent oppofer ce {eul Orateur aux plus excellens
Orateurs de Rome & d'Athenes. Monfieur le Chancelier en reconnoiffance de
l'honneur qu'il luy avoit fait au Parlement, au Grand Confeil & à Ja Cour
des Aydes; (car il prononça des Harangues devant ces trois Tribunaux tou
tes differentes l’une de l'autre, & toutes également Eloquentes) luy envoya
un Brevet de Confeiller d'Eftat avec les appointemens attachez à cette Di.
gnité,
Au milieu des honneurs qui vinrent en foule, & qui en amenoient encore
beaucoup d'autres plus grands & plus folides; il prit la réfolution de fe retirer
entierement du monde lorfqu'’il fembloit le devoir aimer davantage. Plufieurs
creurent qu'il alloit éclatter dans la Chaire , comme il avoir fait dans le Barreau,
pour s'ouvrir par-R un chemin aux premieres dignitez de l'Eglife. Mais il ef
crivit à M. le Chancelier en luy renvoyant fes Lertres de Confeiller d'Eftac,
Qi
62 ANTOINE LE MAISTRE ADVOCAT.
que Dieu luy avoit fair la grace de renoncer fincerement au monde, & que
fon defir n’eftoit pas, comme quelques-uns témoignoient le croire, de changer
d'ambition, mais de n’en plus avoir. Sa retraitte pendant plus de vingt ans a
tousjours efté accompagnée des éxercices d'une trés-auftere Penirence, & de
l'Eftude des Livres Saints qu'il a leus avec un refpeët & une application incon-
cevables.
I mourut le. 4. Novembre de l'année 1658. âgé de cinquante ans dans des
fentimens de Pieré dignes de fa vie, & fur tout dans une vive reconnoiffance
de la grace que Dieu luy avoit faire de Favoir arraché de bonne heure aux
carefls dumonde, on le vit pluficurs fois verfer des larmes au commencement
de {a maladie, dans le fouvenir d'une fi grande mifericorde. Outre fes Plai-
doyers & les Harangues dont nous avons parlé, il a compolé plufieurs Ou-
vrages dans fa retraite, entre lefquels eft la vie de 5. Bernard qu'on peut re-
garder comme un chefd'œnvre d'Eloquence Chreftienne, & comme l'efchan-
tillon d'un-plus grand Ouvrage quil meditoit. Il avoit remarqué avec dou-
leur que plufieurs vies des grands Hommes qui ont éclarté dans l'Eglife
par leur A & particuherement celles qui nous ont efté données dans
ces derniers fiecles, font meflées de fables & de menfonges , que l'ignorance
& le faux zele des Efcrivains y ont meflées; pour rémedier à un fi grand mal
il s'eftoit appliqué à rechercher dans les bons Auteurs Contemporains , comme
dans de pures fources les verirables aétions & le veritable caractere de ces
grands Hommes, pour en faire enfuite le tiflu de leur vie fur le modele de
celle dont je viens de parler. C'eft fur les Memoires qu'il en a faits , qu'une
perfonne. de grande Pieté, & d'une profonde Erudition, & qui a eu le bon-
heur de paffer avec luy plufieurs années à compofé l'excellente Hiftoire Eccle-
fiaftique, dont il a desja donné quelques Volumes qui apparemment feronc
fuivis de plufieurs autres.
Il a eu un Frere d'un:trés-grand merite connu par tout fous le nom de M.
de Saci; c'eft à luy.qu'on doir:la Traduction de rout le Vieux Teftament, la-
quelle.a paru depuis quelques années avec des Notes trés-pleines de fçavoir &
de pieté. On fait efperer la Traduétion du Nouveau Teftament du mefme
Auteur avec de femblables Remarques. On luy doit auffi la Traduétion du
Poëme de S. Profper contre les Ingrats, & en vers & en profe, & la Tradu-
étion des Hymnes de tour l'Office de l'Eglife, ce dernier Ouvrage eft un ve-
rirable Chcf.d'œuvre en fon efpece.
no)
63
POLE RR' BG À SS'E UN: D:-T
lerre Gassenpr meéritoit pluftoft le nom de Sage que celuy
de Philofophe, parce que fon ame eftoit encore plus ornée de Ver.
us que fon efprit ne l'eftoit de connoiffances. Il nâquit au mois
de Janvier de l'année 1592. dans un Village proche de Digne, où
dés l’âge de quatre ans on le voyoit la nuir contempler avec une
artention incroyable la Lune & les Eftoilles. Lorfqu'il fa un peu plus âgé on
l'envoya à Digne y faire fes Eftudes, où en peu de temps il donna des marques
de fon efprit & de ce qu'il feroit un jour, Il fit fa Philofophie à Aix, & aure-
tour il enfeigna la Rethorique à Digne n'ayant encore que feize ans. Aprés
avoir paflé un temps confiderable dans les Difputes de l'Ecole, il fe confacra à
l'Eftar Ecclefiaftique , Efta plus tranquille & plus propre à vacquer à la Phi-
lofophie. Il fut pourveu d’un Canonicat dans la Cathedrale de Digne, & le
degré de Docteur luy ayant obtenu une Dignité qui luy fut difputée par plufieurs
Concurrens, il fut contraint d'aller plaider & à Grenoble, & à Paris, où fon
merite Le fic connoiftre & luy fic beaucoup d'Amis. En l'année 1628. Il fit un
Voyage en Hollande avec Monfieur L’huillier Maiftre des Requeftes , où il
s'acquit une crés-grande réputation par les Conferences qu'il eur avec les excel.
lens Hommes de ce Pays-h.
Quelque éclairé qu'il fuft il ne laiffa pas de combattre long-temps la cir-
culation du fang & la communication du Chyle avec le fang par les veines
ladtées; mais il en fut defabulé par les diffections que Monfieur Pecquer, qui
le premier a découvert le Chrnl Phone , fit devant luy plufieurs fois’,
& lorfqu'il fur convaincu de la verité de ces deux découvertes , il fe réjoüif.
{oit de les avoir connuës avant {à mort , ajouftant qu'il regardoit ces deux
veritez qui fe prouvent l’une par l'autre , comme les deux Poles de la Mede-
cine fur lefquels elle devoit rouler deformais, car il n’eftimoir pas la Mede.
cine ordinaire qui n'admer que le combat des qualitez , & les differentes
temperatures des humeurs , pour les caufes de routes les maladies. Il seft
rendu celebre par bien des endroits; mais rien ne luy a acquis plus de reputa-
tion que la dus qu'il a euë fort long-temps avec Monfieur Defcartes. C'ef
toient deux trés-excellens Hommes; mais d’un caractere bien different, Def.
cartes n'efloit jamais plus aife, que quand ilavançoit des propofitions contraires
aux opinions receuës , & Gaflendi fe faifoit un plaifir de conformer les fiennes
autant qu'il le pouvoir à celles trouvoit eftablies, L'un fe diftinguoit par la
profondeur de fes meditarions , l’autre par l'eftendué de fà litcerature ; L'un vou-
loit que tous ceux qui l'avoient devancé n’euflent prefque rien connu dans les
chofes de la Nature, L'autre rafchoit à faire voir par de favorables interpre-
tations , que les Anciens avoient penfé les mefmes chofes qu'on regardoit
comme nouvelles. L'un fembloit entraîné par fes propres lumieres, l’autre pa-
roifloit tousjours en eftre le maiftre. En un mot on euft dit que l’un avoit des
connoiflances plus grandes que fon ame, & que l’autre avoir l'ame plus grande
que toutes fes connoiffances. Ses Maximes de Philofophie eftoient compofées
de ce qu'Epicure & Democrite ont eu de meilleur & de plus raifonnable,
64 PIERRE GASSENDI
& il s'efloigna de tous les Paradoxes outrez, foit qu'ils fe trouvaflent dans
les Anciens, foit qu'ils fuffent fouftenus par les Modernes les plus excellens.
L'exacte pieté dont il fit profeflion pendant toute fa vie ne fervoit pas peu à
le rendre moderé & circonfpeét dans fes recherches Philofophiques. Jamais il
ne luy eft rien échappé; en traittant des nouveaux Syftemes de Tycho-brahé
& de Copernic, qui puft bleffer les dogmes de l'Eglie. Il difoit la Mefle tous
les Dimanchés & toutes les Feftes, & c'eftoit ordinairement dans l'Eglife des
Minimes de la Place Royale où l'atriroit le Pere Merfènne grand amateur de
la Philofophie, & particulierement des Philofophes avec tous lefquels il avoit
fait amutié , leur fervant merveilleufement à fe communiquer leurs penfées
les uns aux autres par le commerce de Lettres qu'ilavoit foin d'entretenir. Là,
aprés la celebration des divins Myfteres, ils s’'entrerenoient enfemble , & avec
plufieurs de leurs Amis de diverles matieres de Philofophie ou de Machemati-
que. On luy a reproché de n'en avoir pas fçû aflez à fond quelques parties,
comme l'Algebre & plufieurs fecrets de la Géometrie; mais foit qu'il ayt igno-
ré effectivement ce qu'il ya de plus caché dans ces Sciences, foit qu'il l'ayt ne-
ghgé , ilne peut qu'en eftre plus loüable. Il y a quelque chofe de perir à s’at-
tacher trop à de petites chofes, & mefme de limprudence à y confumer un
temps, qu'on -peut employer plusutilement À d’autres connoiffances. Il mourut
le neufviéme de Novembre 1655. âgé de foixante-trois ans. Perfuadé qu'il mou-
roit, pour avoir efté trop faigné, il dit aprés qu'on l'eut faigné pour la derniere
fois, il vaut mieux s'endormir doucement au Seigneur, aprés avoir ainfi perdu
toutes fes forces que de perdre la vie avec de as vifs fentimens de douleur.
Jamais perfonne n'a vefcu d'une vie plus égale & plus uniforme, perfonne n'a
eu plus d'Amis illuftres , & dont il ayt efté plus aimé, particulierement. depuis
que Monfieur de Montmor Maiftre des Requeltes dont la maifon eftoit le
rendez-vous de tout ce qu'il y avoit de Gens.de merite & de Science, l'avoir
pris chez luy. 11 fonda en mourant une Meffe annuelle & perpetuelle dans une
Chapelle à Digne, & des aumônes aufli annuelles & perpetuelles aux pauvres
du mefme lieu.
DENSEN TA PEN TE PA RE,
Av
Li
6ÿ
CARPE ESS DU SRE S.NE
SIEUR DU CANGE.
4 HaRLEs Du FRESNE nâquit à Amiens le 18. Decembre i6ro:
d’une Famille noble &ancienne, & allice à tout ce qu'il y a de plus
confiderable dans cette Ville ; mais quelque avantage qu'il ait eu
du côté de la naiffance, il a fait encore plus d'honneur à {es An-
ceftres , qu'il n’en a reçû d'eux. Son pere Seigneur de Froideval &
Prevoft Royal de Bcauquefne, étoit homme de Lettres, & eut de fon premier
mariage trois enfans , qui tous trois font morts en reputation d'hommes fçavans.
Il eut auffi trois enfans de {on fecond mariage, dont l'aîné & le cadet ont efté
Jefuites diftinguez pour leur fçavoir , &le fecond eft celuy dont je parle.
11 fit fes études au College des Jefuites d'Amiens, où fon application & la vi-
vacité de fon efprit le diftinguerent bien-tôt de tous fes compagnons : de là il
pañla à Orleans où il apprit le Droit, & enfuite à Paris où il {e fit recevoir Avo-
car. Le defir ardent & infatiable de fçavoir , & particulierement de penetrer
dans toutes les connoiffances curieufes de la plus obfcure antiquité, ne luy per-
mirent pas de fe borner dans la fonction d'aucun employ. Son pere eut beau-
coup de joye de voir le progrés que failoit fon fils dans fes recherches, & de la
réputation qu'il s'acqueroit d'un des plus fçavans hommes du Royaume.
Il reçüt de luy peu de temps aprés une autre fatisfaction encore plus tou-
chante, quoyque fort trifte, qui fut l'afliduité tendre & continuelle que ce fils
eut auprés ay , pendant une année entiere que dura la maladie dont il mou-
ru. Tant que Dieu luy conferva un fi bon pere, il ne fongea point à fe procu-
rer la douceur d'une autre Compagnie ; mais la folitude où il fe trouva aprés
cette perte, & le confeil de fes amis l'engagerent à {e marier. Bien des gens
croyent que le lien conjugal &le foin des aflaires que donne une Famille, {ont
incompatibles avec l'application que demande l'étude, mais celuy dont je parle,
a fait voir qué cette regle n'eft point fi generale, qu'elle n'ait fes exceptions.
La femme qu'il époufa , iffué d’une Famille des plus confiderables de la Pro-
vince , fage, vertueufe , & de mœurs douces & faciles qui convenoient aux fien.
nes , n'apporta aucun retardement au cours de fes études. Ils ont vécu enfem-
ble pendant cinquante années & davantage dans une entiere & parfaite con-
corde, & elle l'a furvécu fix ans pour le fecours & la confolation desenfans qu'il
luy a laiflez. Elle mourut le 19. Juillet 1694.
En l’année 1645. il fut pourvû de la Charge de Treforier de France à Amiens,
qu'il exerça jufqu'en l’année 1668. où la pelte qui ravagea certe ville &ous les
environs, l'obligea de venir à Paris. Cette defolation fur un bonheur pour luy
& pour tous les gens de Lettres. Car il trouva dans cette grande ville, ce qui
ne { trouve point au refte de la France ; cette abondance de Livres , foit im-
primez, foic mianufcrits, fans laquelle on ne peut porter aucune recherche ni
aucun travail confiderable à fa derniere perfeétion , & en même temps fon pro,
fond fçavoir , & la maniere honnefte dont il en faifoit part à ceux qui conver-
{oient avec luy , & qui le confulroient, furent d'un grand fecours à tous lesgens
R
66 CHARLES DU FRESNE SIEUR DU CANGE.
de Lettres, Une de fes principales occupations a eflé d’éclaircir ce qu'il y a de
plus obfcur dans l'hiftoire, en donnant la veritable explication de tous les ter-
mes difficiles à entendre, foit pour cftre barbares, foit pour eftre les noms de
chofes dont on a peu de connoiffance. Il a compolé à cer effet des Gloflaires
de là moyenne & baffle Larinité, & du Grec aufi du moyen & dernier âge,
Avec ce fecours on ne crouve plus de difficulté dans les Livres où jufques alors
on penétroit le moins ; ce qu'il y avoit de plus obfcur eft devenu le plus intel-
ligible, & on peut dire que Monfieur du Cange à créé en quelque forte la lu-
miere où eftoient les renebres. Perfonne n'a jamais donné plus d'a pplication à
chercher un éclairciffement,. &:n'a eu plus de fagacité pour le trouver. Nous
luy devons l'édition de l'hiftoire de Cinnamus , celle des Annales de Zonare ,
la defcription de Conftantinople, & des Familles Byfantines. Nous luy devons
encore des Commentaires admirables qu'il a faits fur l'hiftoire de Saint Louis,
écrite par le fieur de.Joinville, La Pofterité aura de la peine à croire qu'un
feul homme ait eu tant de connoiflance de ce qu'il y avoit de plus caché à
tous les Sçavans, & que fa vie ait pû fufire à tous les travaux qu'ila lifez. Il
travailloit à un grand Ouvrage qu'il avoit intitulé, Chronicon Paféhale , five Ale-
zandrinum , lors qu'il fut attaqué de la maladie dont il eft mort..Il fouffrit de
longues & cruelles douleurs dans le cours decette maladie, fans donner au-
cune marque d'impatience , & il reçüc l'avis qu'on luy donna de l’extréme pé-
ril où il éroit avec une conflance incroyable. Il moutut le 13. Octobre 1688.
âgé de foixanre-dix-huit ans. 1] avoit joüi d’une fanté fi heureufe pendant toute
fà vie, qu'il en pañla les cinquante-cinq dernieres années fans aucune atteinte
de maladie. De dix enfans qu'il a eus, il n’en refte que trois, un garçon, &
deux filles. Le garçon eft Treforier de France à Poitiers. Ses mœurs étoient fort
douces, & fon humeur étoit roûjours égale , aimant cordialement fes amis, &
en éftant aimé de même. Monfieur Colbert avait pour luy beaucoup d’eftime,
& prenoit un extrême plaifir à l'entrerenir dans {à Bibliotheque. Il avoit refo.
Ju de l'employer à faire un. corps d'hiftoire de France, ce qui alloit à-revoir
ce. que. le {çavant Monfieur du Chefne en a déja fait imprimer, & à continuer
le mênie travail, fuivant le deffein de Monfieur du Chefne. Les mefures étoienr
toutes prifes pour ce travail, lorfque la mort de ce Miniftre, qui aimoit tant
Jes Lettres, & ceux qui les culrivent, en arrêra l'éxecution,
PTE EEE
CLATDP PERRAULT.
DE L'ACADEMIE ROYALE DES SCIENCES.
j | ELU Y dont je vais parler , eftoit tellement né pour les Sciences,
& particulierement pour les beaux Arts qu'il n'y en avoit prefque
point qu'il ne poffedät à un degré qui étonnoit ceux qui en fai-
{oient une profeflion particuliere ; fans neanmoins avoir jamais eu
Æ = de maiftres qui les luy euffent appris. Celuy où il parut exceller
davantage, parce qu’il fe prefenta des occafions plus favorables de le faire éclat-
ter, ce fur l'Architeéture. Monfieur Colbert ayant demandé des deffeins pour la
façade du devant du Louvre à tous les plus celebres Architectes de France &d'I-
talie, & ayant fait venir à Paris le Cavalier Bernin , afin que ce grand hom-
me executât luy-même fon deffein ; celuy de Monfieur Perrault fur preferé
à tous les autres, & enfuire execuré en la maniere que nous le voyons. Auf
peut-on dire que dans la feule façade du devant du Louvre , il y a autant de
beauté d'Architecture que dans aucun des édifices des Anciens.
Quand on prefenta le deffein de cette façade , il plut extremement ; ce
Periftile, ces Portiques majeftueux dont les colonnes portent des architraves
de douze pieds de long & des plafonds carrez d’une pareille largeur, furpri-
rent les yeux les plus accoûrumez aux belles chofes, mais on crut que l'exe-
cution en eftoit impoflible, & que ce deffein eftoit plus propre pour eltre peint
dans un tableau , parce que c'eftoit encore feulement en peinture qu'on en
avoir và de femblables , que pour frvir de modele au frontifpice d'un Palais ve-
ritable. Ia neanmoins eftéexecuté entierement fans qu'une Ra pierre de ce lar.
ge plafond tout plat & fufpenduen l'air fe foit démentie. C’eft fur fes deffeins que
l'Obfervatoirea efté bafti; Ouvrage non feulement fingulier par fa conftruétion
dont la fimple & majeftueufe folidité n’a point d'égale, mais qui peut luy feul
fansle fecours d'aucun inftrument de Mathematique fervir par la forme qui luy à
été donnée à la plufpart des obfervations aftronomiques, C’eftauffi fur fes deffeins
quele grand modele de l'Arc de Triomphe 2 efté conftruit & qu’une partie con-
fiderable de ce même Arc a efté bafi d'aprés ce modele. De forte qu'il a eu l'a
vantage d’avoir donné la forme aux trois plus beaux morceaux d’Archire&u-
re qu'il y ait au monde, Monfieur Colbert qui aimoit beaucoup l'Architecture
Se donner aux Architectes de France les moyens de s’y perfectionner, luy or.
donna de faire une nouvelle traduétion de Vitruve,où l'on peur dire qu'il a réüffi
au de là de ceux qui l'ont precedé dans cetravail; parce que jufqu'à luy ceux qui
s’en font mêlez eftoient ou des Sçavans qui n’eftoient pas Architectes, ou des
Architeétes qui n'eftoient pas Sçavans. Ilavoit ces deux qualitez, & outre cela
une connoiflance finguliere de toutes les chofes, dont parle Vitruve qui peu-
vent regarder en quelque forte l'Architecture, comme la Sculpture, la Peintu-
re, la Mufique, les Machines, & tous lesautres Arts qui en dépendent. Il deffinoit
en perfection PArchitecture,en forte que les deffeins qu'ila faits de fa main, & fur
lefquels toutes les planches de fon Vitruve ont eflé gravées font encore beaucoup
plus beaux, plus exadts & plus finis , que ces planches , quoy qu'elles foient d’une
beauté extraordinaire, Il fit enfuite l'abregé du même Vitruve pour la commodi-
68 CL A IUND EIDIE RAR ANRT
té de ceux qui commencent à étudier l’Archireéture. Il a fait encore un Livre
fur cebel Art, intitulé , Ordonnance des cinq efbeces de colonnes fèlon la metho-
de des Anciens, où il donne les véritables proportions que doivent avoir les
cinq Ordres d'Architecture , en s'éloignant également des-extremitez où quel-
ques-uns des Architectes les ont portées, & les rendant commenfurables les unès
aux autres fans aucune fraétion des parties du Module , ce qui abrege infini-
ment l'étude de l'Architecture. .
. Quand l'Academie Royale des Sciences fur établie ,il fut nommé des premiers
pour eneftre & pour y travailler particulieremnt dans ce qui regardoit la Phyfi-
que. Ca efté fur les diffections qui ont efté aires dans cette celebre Academie
qu'ila drefléles Memoires pour a à l'hiftoire naturelle des Animaux, lefquels
ontefté imprimez au Louvre en l’année 1676. & dont il enrefte à imprimer un fe.
cond Volume qui a efté laiffé à l'Academie aprés {a mort pour le revoir avant
ue de le mettre fous la preffe. Ila auffi compolé 4. Volumes: d'Eflais de Phy-
its , dont le Public a témoigné eftre fort farisfait , & particulierement
de l'abondance. de nouvelles penfées qui s'y trouvent. Il travailloit dans le
temps qu'il eft tombé malade à mettre en état un Recueil de diverfes Machi-
nes de fon invention toures fingulieres. Il y en a pour élever de grands fardeaux
où il évite le frottement, qui eft un des grands obftacles qui fe rencontrent
au mouvement , & ce qu'on n'avoir jamais efperé ni crû poflible. Cet Ou-
vrage fera donné au Public inceflamment. Si je n'ay point parlé de fon ha-
bileté dans la Medecine qui eftoit fa veritable profefion , ce'n eft pas , que ftu-
dieux, fage & de profonde meditation comme ileftoit , il ny ait peut-eftre
excellé autant & plus que dans aucun autre connoiflance , mais c'eft que dés
qu'il fut appellé à l'Academie des Sciences, il ne l'exerça plus que pour fa famille,
pour fes Amis & pour les Pauvres. Ilmourut pour avoir affiité à la diflection
d'un chameau, mort apparemment d'une maladie contagieufe; car tous ceux
qui y furent prefens (ce fur au Jardin Royal des Plantes que le fit certe diffle&tion)
en tomberent malades. Dés qu'il fur mort la Faculté de Medecine de Paris qui
connoifloit fon merite, ordonna à fon Doyen de demander fon portrair à fes
heritiers, & elle l'a fait placer parmi ceux des Fernels, des Akakias; des Riolans
& des Guenaults, dont elle ornela Salle de fes Aflemblées. Le Regiftre qui fait
foy de cette déliberation parle de luy en cette forte. Die 6. Novemb. ann. 1692.
depiéfa tabella M. (laudii Perrault ad me Decanum H. M. miffa ab iaffriffimo
fratre ipfus € dono data Schole noftre,appenfa fisit in Scholis noffris Superioribus. Hic
vir Doëtor Medicus Parifienfis fait , Schole noffre lumen ac Sydus merit) poteff appel-
lari. Varia in lucem ab eo fant emiffa opera Phyfica, quibus nibil offé pibfius aut elegan-
tius aut verofimilius. Vicruvium Gallice reddidit & illufiravit. Mathematicarum
difciplinarum laude , pifure, Architellure, Muficaque fit inter ceteros avi noffri
prafiantiffimos airos, praflantifimus. Dum (ameli putrefGentis viféera curioffns in-
dagat férutaturque féapello , tetrà quadam aurd aflatus ; mox e vivis ereptus eff.
Sicut tanti viri memoria vivet apud doétos quofque : Sic apud nos collegas ipfius per-
petua ofe debet, pag. os. tom. 17. Commentar. Facult. Med. Parif. Ce qu'on peut
dire en general de M. Perrault, c'eft que s’il s'eft trouvé plufieurs perfonnes qui
ontexcellé plus que luy dans quelques-uns des talens qu'il a poffedez ; il ne s'en
eft gueres rencontré dont le genie & la capacité fe foient érendus tout à la fois à
tant de chofes differentes. Ilmourut le 9. Oétobre 1688. âgé de 75. ans.
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69
FRANÇOIS DE MALHERBE
E n'eft pas fans raifon que la Ville de Caën eft renommée pour
le bel elprit, comme naturel en quelque forte à fes Habitans.
5] Quand elle n'auroit pas donné un nombre prefque infini d'Hom-
A] mes de Lettres, remarquables particulierement par la finefle &
par la beauté de leur genie, il luy fufiroit d'eflre le Berceau de
Malherbe pour meriter les loüanges que l'on luy donne. Il y nâquit en l’année
1555. Il eftoit de l’ancienne Maïfon de S. Aignan de Malherbe qui a porté fi long-
temps les armes en Angleterre, & qui s'y rendit beaucoup plus confiderable
qu'au lieu de fon origine, où elle déchut fi fort avec le remps que le pere de
Malherbe n’eftoit qu'Afleffeur à Caën. Le jeune Malherbe fit fes Eftudes dans
cette Ville avec Jacques Davy du Perron depuis Cardinal, & Jean Bertaut de-
puis Evefque de Séés. Ils ont efté tous trois d’excellens Poëtes. Le pere de Mal
herbe s’eftant fait Huguenor fur la fin de fa vie, fon fils en eut un fi fenfible dé-
plaifir qu'il quitta le Pays & fe mit au fervice de M. d’Angoulefine fils naturel de
Henry Second, le fuivit en Provence dontil eftoir Gouverneur, & demeura dans
fa maifon jufqu'au jour que ce Prince fut aflaffiné par Alroviti en 1586. 11 e£
poufa la Veuve d’un Confeiller fille d'un Prefident de Provence, appellée Mag-
delaine de Carriolis dont il eut plufieurs enfans qui moururent tous avant luy.
La reputation de Malherbe fe répandit en peu de temps de tous coftez & alla
jufqu'au Roy Henry IV. par les bons offices du Cardinal du Perron. Le Royayant
demandé un jour à ce Cardinal s’il ne faifoit plus de Vers, il luy répondit qu'il
avoit quitté cet amufement depuis que Sa Majelté luy avoit fait l'honneur de
l'employer dans fes affaires, & il ajoufta qu'il ne falloit pas que perfonne s'en
meflaft aprés un certain Gentilhomme de Normandie po en Provence
nommé Malherbe, qui avoit porté la Poëfie Françoife à un fi haut point de
perfe&tion , qu'il n'eftoit pas poflible d’en approcher. Cependant Malherbe ne
vint à la Cour que deux ou trois ans aprés, vers l'année 1605. un peu avant
que le Roy partift pour remettre dans le devoir la Province de Limouzin, Sa
Majefté luy ayant ordonné de faire des Vers fur fon Voyage, il luy prefenta
à fon retour des Stances qui luy acquirent beaucoup de reputation, & dont le
Roy fur fi content qu’il commanda à M. de Bellegarde de luy donner fa mai-
fon jufqu’à ce qu’il l'euft fait mettre für l'eftat de fes Penfionnaires. Ce Seigneur
luy donna fa table, un cheval & mille livres d'appointement. M. de Racan
ui eftoit alors Page de la Chambre, fit amitié avec Malherbe qui luy apprit à
a des Vers, & cette amitié dura tousjours. La Reine Marie de Medicis
aprés le déceds d’Henry IV. donna cinq cens efcus de penfion à Malherbe,
Son talent principal dans la Poëfie Françoile, confiftoit dans le tour qu'il
donnoit aux Vers, que perfonne n'avoit connu avant luy, que tous les Poéres
qui font venus enfuite, ont tafché d'imiter; mais où trés-peu font parvenus,
Il reforma en quelque façon toute la Langue, en n’admettant plus les mots
écorchez du Latin, ny les phrafes tournées à la maniere des Latins ou des Grecs,
ce quia défiguré la plufpart des Ouvrages de ceux qui l'ont precedé, & par-
ticulierement ceux de Ronfard, quoyque ce Poëte cruft leur donner par-là
S
70 FRA NC) OT SND/E MPANDLIENE RMB:E
une grande beauté &une majefté admirable, Ce n’eft pas que Malherbe n'em-
ployaft plus volontiers les expreflions un peu anciennes , qu'il appelloit fes
re Amies, parce qu’il s'en eftoit tousjours bien trouvé, que les mots qui
efloient encore un peu nouveaux, dont il difoit qu'on ne pouvoit trop fe don-
ner de garde, parce que la plufpart mourroient dés qu'ils eftoient nez, mais
il ya bien de la difference entre des mots anciens & des mots barbares tels
qu'on peut appeller un grand nombre de ceux, dont Ronfard s’eft fervi, & la
plufpart des autres Poëres de ce remps-là. Le foin qu'a eu Malherbe de s’ab-
ftenir de ces fortes d’expreflions que le mauvais gouft qui regnoit alors faifoir
trouver nobles & hardies, a fair dire à quelques-uns qu'il n'eftoit pas fi grand
Poëte qu'il eftoit bon Verfificateur , mais fi l’on examine bien fes Ouvrages &
fes Odes particulierement, qui prefque toutes font des Chef-d'œuvres, on n'y
trouvera pas moins de force d’élevation & d’anthoufiafme que de juftefle de
douceur & d'harmonie. Il eft vray qu'il s'en faut beaucoup que tout ce qu'il
a fait foit d'une égale bonté & que ce qu'il a compolé eftant vieux , eft infini-
ment meilleur que ce qu'il a fait dans fa jeunefle ; mais c’eft l'ordinaire des
Poëres, dont le bon fens eff la partie dominante, comme elle l'eftoit en celuy
dont je parle , à la difference de ceux qui n'ont que de l'imagination, laquelle
S'affoiblit prefque tousjours avec l'âge.
Quoy qu'il en foit, la face de la Poëfie changea entierement quand il vint
au monde. Il fut reconnu le Maiftre dés qu'il parut, & tous ceux qui £ mef.
loient de ce bel Art n'avoient point de honte d'en recevoir des Leçons. La pluf
part des regles qui s'obfervent aujourd’huy pour la belle verfification , ont efté
prifes dans fes Ouvrages, dont les beaux endroits font encore dans la bouche
de tout le monde. Perfonne n'a jamais receu plus de lotianges' de ceux de fa
profeflion, -& ne leur en à moins donné, parce qu’il ne trouvoit As rien
qui répondift à l’idée qu'il s'eftoit faite de la noble & grande Poëfie. Il a com-
polé divers Ouvrages de Profe qui auroient fuff pour le rendre Illuftre. Il a
traduit le Traitté des bienfaits de Seneque d'un ftyle qui ne fait point de tort
à fon original ; & le recueil de fes Lettres peut fervir de modelle en ce genre
d'écrire, mais le grand éclat de fa Poëfie a prefque effacé tout le merite de
fa Profe. Il mourut en l’année 1628. âgé de foixante-treize ans, Ses Ouvrages
feront honneur éternellement & à la France & à fon fiecle.
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JEAN LOUIS GUEZ S' DE BALZAC
DE L'ACADEMIE FRANCOISE.
N peut dire que l'Eloquence doir à M. de Balzac la mefine
chole que la Poëfie doit à M. de Malhérbe. Je veux dire que
ces deux beaux Arts ont receu de ces deux grands Hommes
un certain nombre & une certaine harmonie que l'on ne con-
noifloit point encore, C’eftoit aflés pour de la Profe avant M.
de Balzac de n'eftre pas barbare, & les Orateurs contens de
faire entrer dans l'efprit de ceux qui les écoutoient ou qui lifoient leurs Ou-
vrages, des chofes où il y euft de la raifon & de l'efpric, ne fongeoient pref.
que point à contenter les oreilles par où ces mefmes choles devoient pafler.
Cependant le fuffrage de l’Entendement & de la Volonté dépendent fort de ce.
luy des Oreilles, & il eft malaifé de plaire beaucoup aux uns fans avoir com.
mencé par plaire aux autres. M. de Balzac s'appliqua à donner du fon, de
la cadence & de la force à es paroles par leur arrangement & leur fituarion,
& il l’a fait fi heureufement qu'il y a plus de diftance de fa Profe à celle de
tous les autres qui l'ont precedé pour la douceur & la force de l'harmonie à
qu'il n'y en a de cette mefme Profe aux plus beaux Vers des meilleurs Poë.
tes.
Quoyque peu d’Ecrivains ayent approché de M. de Balzac dans cette partie
de l'Éloquence qui n'eft pas afleurement moins confiderable que celle de l'ac-
tion & de la prononciation, en quoy Demofthene faifoir prefque confifter tout
ce bel Arc, il eft certain qu'il y en à eu encore moins qui l'ayent égalé dans la
beauté des penfées & dans le tour noble & majeftueux qu'il fçavoit leur don.
ner, Tout devenoit or en paflant par fes mains. Quelques-uns luy ont reproché
d'eftre trop fort dans l'exageration, mais l'Eloquence dans le genre demonf.
tratif ne confifte qu'à élever les chofes les plus baffes & à abbaifler les plus
hautes ; que s'il a pouffé quelque-fois l'hyperbole un peu trop loin, ce n’a gueres
efté que dans fes premieres années où l'on doit pardonner cet agreable empor-
tement à la jeune vigueur d'un grand Genie. Le premier Livre qu'il fit impri-
mer fut un recueil de fes Lettres efcrites à differentes perfonnes de toutes qua-
litez. Ce recueil fut receu avec un applaudiflement incroyable. On n'avoir
encore rien veu d'un ftile fi élevé ni fi agreable, & on ne fçauroit dire com
bien il s'en fit d'Editions pour fatisfaire à l'empreflement du Public. Elles eu-
rent auffi leurs Cenfeurs en grand nombre, elles eftoient crop belles pour en
manquer. Celuy qui fe fignala davantage par fes Critiques fur le Pere Goulu Ge.
neral des Feüillans.Ce fçavant Homme tout plein de l'amour des anciens Auteurs,
paflion ordinaire aux Sçavans, ne pouvant fouffrir qu'un Homme qui tafchoit
de s'élever au deffus de la noble fimplicité des Anciens, euft la réputation de
bien efcrire, & regardant comme un defaut ce que vout le monde repardoit
comme une grande beauté, fit tous {es efforts pour décrier l'Eloquence de M.
de Balzac. 1] entreprit de faire voir que tout ce qu'il y avoit de bon dans les
Lertres de ce nouvel Auteur eftoit pris des Anciens, & que ce qui eftoit de
OR JEAN LOUIS GUEZ s' DE BALZAC
luy eftoit trés-vicieux. Il eft vray qu'il vint à bout par fon Sçavoir de mon
trer que quantité de bonnes chofes qui eftoient dans les Lettres de M. de
Balzac, fe trouvoient dans les anciens Auteurs, mais il ne fit pas voir que M.
de Balzac n'euft pas penfé de luy-mefine la plufpart de ce qu’il fuppooit avoir
efté derobé, eftant comme impoflible qu'un homme puifle rien dire qui n'ayt
efté dit par un autre & qu'on ne trouve efcrit quelque part, quand on a beau-
coup de Lecture. Il ne montra point non plus que ce qui cftoit du fonds de
l'Auteur qu'il blafmoit ne valuit rien, à la referve de quelques hyperboles un
peu trop pouffées comme je l'ay déja remarqué, & une trop grande affecta-
tion d'eftre tousjours fouftenu dans les endroits mefines qui ne le demandoient
pas; affectation qui affeurement eft vicieufe, mais qui doit eftre pardonnée
en faveur de tour le refte. Ce recueil de Lettres fut fuivi de fix autres qui fu-
rent également bien receus du Public malgré toute la peine qu'on prenoit à
les décrier.
Il fit plufieurs petits Ouvrages qui furent imprimez fous le titre d'Ocuvres
diverfes, tous excellens en leur maniere. Le Prince & le Socrate Chreftien
parurent aprés, & enfin l'Ariftippe qui eft fon Chef d'œuvre. Le ftile eneft
plus pur & plus chaftié que celuy de tous fes autres Ouvrages, & il contient
une infinité de préceptes de Morale & de Politique, qui ayant toute la foli-
dité qu'on trouve dans les Livres qui n'ont que cela , ont encore un agrément
fingulier dans La diétion & dans l'harmonie des paroles.
Balzac eft une petie Terre en Angoumois dont il eftoit Seigneur, & où il
faifoit fon fejour ordinaire. 11 eftoir de l'Academie Françoife, & quoyque fes
frequentes indifpofitions & fon abfence prefque continuelle de Paris l'ayent
privé de la fatisfaétion d'y venir fouvent, perfonne cependant n'a plus fait
d'honneur que luy à cette Illuftre Compagnie. Il fonda un Prix d'Eloquence
qui confifte en une Mcdaille d’or de 200. francs où S. Loüis eft repreenté,
& ‘qui {e diftribuë tous les deux ans le jour de la Fefte de ce Saint dans une
Séance folemnelle que l'Academie tient ce jour-À , où aprés avoir fait la lecture
de la piece d'Eloquence qui a remporté le Prix, Elle le donne à celuy qui en
eft l'Auréur s’il eft prefent, ou à celuy qui {e prefente de fa part. Il mourut le
28. Février 1654. es Ouvrages ont efté imprimez depuis fa mort en deux
Volumes in folio avec une Preface de M. l'Abbé de Caffagnes, trés-belle,
trés éloquente , & trés-digne d’eftre à leur tefte, Le Cardinal de Richelieu
a fort loüé par des Lettres de fa main propre, ce font des Elopes qui fur-
pafferont tousjours tous les autres, quand ce ne feroit que par le {eul nom de
celuy qui les a efcrits.
75
Vo UN RUV O FUPUUR E
L'ACADEMIE FRANGOISE
Il eft vray que fon genie eftoit admirable & que ce genie eftoit le ful
de fon efpece. Il fe trouvoit alors un aflés grand nombre d'Hommes trés-
<loquens , Balzac avoit efté fecondé de plufieurs autres pour donner à
noftre Langue l’élegance & la majefté qui luy manquoient , Malherbe &
quantité d'autres bons Poëtes avoient porté la Poëfie à un degré de perfe.
ction bien different de celuy où ils l'avoient trouvée: Mais cetre Eloquen-
ce & cette Poëfie n’eftoient point d'une autre efpece que celles des Anciens \
& elles ne differoient entre-elles que du plus ou du moins. Il entroit dans les
Ecrits de Voiture, foit en Profe {foit en Vers une certaine naïveté & une forte
de plaifanterie d'honnefte-homme, qui n’avoient pas d'exemple, & dont toute
l'Antiquité la plus polie ne fournit point de modéle. Ce talent admirable-en
luy-mefme, ayant encore les graces de la nouveauté, luy acquit l'eftime &
l'amour de tout le monde. Les moindres chofes devenoient précieufes en paf.
fant par {es mains. Les Proverbes mefmes, qui en noftre Langue avilifient
prefque tousjours le difcours, donnoient aux fiens du prix & de l'agrément,
quand il avoit occafion de les mettre en œuvre. Ce fut dans l'Hoftel de Ram
boüiller , alors le reduit ordinaire de ce qu'il y avoit de plus beaux Efprits que
fon merite éclatta d'abord. Moxsteur, Duc d’Orleans, Frere unique du Roy
le voulut avoir auprés de fa Perfonne, & il y fur en qualité de fon Introduc-
teur des Ambafladeurs, & de Maiftre des Ceremonies; Charge unique dans
la maifon de Monfieur, qu'ilexerça jufqu'à {à mort, & dont il s'acquitta par-
faitement, poffedant tous les talens & toutes les Langues neceflaires pour cet
employ. Moxsreur l'envoya en Efpagne pour quelques affaires, d’où il paffa
en Afrique par curiofité feulement, comme on le voit dans fes Lettres. Il fur
fort eftimé à Madrid, où il compola des Vers Efpagnols que tout le monde
creut eftre de Lopé de Vega, tant la diction en eftoit pure & naturelle, Le
Comte Duc d'Olivarez premier Miniftre & Favori du Roy d'Efpagne prenoit
plaifir à s’entretenir avec luy, & le pria mefme de luy efcrire quand il {eroit de
rerour en Flandres. Il fit deux voyages à Rome & fut envoyé à Florence
porter la nouvelle de la naïffance du Roy. Il eut une ee de Maiftre
74 VATNIGIE NTI O MIRE
d'Hoftel de Sa Majefté, & Monfieur le Comte d'Avaux Sur-Intendant des
Finances le ft fon Commis , feulement pour en toucher les appointemens
fans en faire la fonction. Ilféroit mort riche fans la-paflion qu'il avoit pour le
jeu, où il perdit 1f00. piftoles en une foirée- Monfieur le Prince dés le temps
mefme qu'il n’eftoit encore que Duc d'Anguien l'honora de {a bienveillance.
L'approche de ce jeune Heros ne feivir pas peu à luy élever l'ame, & le defir
qu'il eu de plaire à un gouft auf fin & auf delicat, eft peut-eftre une des
caufes principales de l'excellence de fes Ouvrages. ‘On le peut voir dans l'Epi-
tre en Vers qu'il écrit à ce. jeune Prince au retour de fes Conqueftes d’Alle-
magne. C’eft une-piece où l'on ne fçauroir dire qui domine le plus ou de l'ef
prit, ou de l'agrément , ou de la folidité, jamais le grave & le ferieux n'ont
efté remperez pat uneraillerie plus delicate & plusingenieufe. Bien qu'il n'euft
jamais rien fait imprimer, il eftoit en grande reputation non {eulement en
France , mais encore dans les Pays Eftrangers, & l'Academie des Humoriftes
de Rome luyenvoya des Lettres d'Academicien. Ses Ouvrages ont efté publiez
aprés fa mort en un feul Volume qui fut receu avec tant d’approbation, qu'il
fallut en faire deux Editions en fix mois. Sa Profe eft ce qu'il y a de plus cha.
ftié & de plus exact, elle à un air de galanterie qui ne fe tiouve point ailleurs,
{es Vers ontune varieté admirable & je ne fçay quoy. d'original qui plaift à
tout le monde; & quine paroift jamais plus inimitable que lorfqu'ons efforce
de limiter. C’eft luy qui a renouvelé l'ufage du Rondeau, où il a-réüffi par-
faitement, Il eftoit de l'Academie Françoïle & en failoit un des plus grands
ornemens. 11 nâquit à Amiens & fur élevé À Paris où il mourut en 1648. âgé
de so. ans. i
. S'il euc des Admirateurs, il eur auffi des envicux de @& gloire qui cafcherent
de la ternir d'une maniere bien particuliere , puifque c'éftoit en le loüant. Ils
ne loüoient & n’admiroient que deux ou trois de fes Lertres ; L'une, par exem-
ple, où une Carpe & un.Brochet font un Dialogue ; L'autre, où il loüe une
Abbeñfe de ne pas laiffer aller le Chatau fromage; voulant infinuer par-là
qu'il n'avoir excellé que dans des bagatelles. Monfieur Coftar qui fentit bien
la malice de cès lotianges , prir plaïfir à en fairé voir l'artifice, il ramaffa
ce qu'il y a de plus fort, de plus noble, & de plus pathetique dans routes
fes Lettres, & en fit un ciffu.où l’on voit briller une Eloquence qui charme
& qui enleve. Quoyqu'on aic leu plufieurs fois ces belles chofes dans les en-
droits où. elles font placées , il n'elt pas croyable combien on en eft ébloüi,
on les voit toutes enfemble. IL parut aprés fà mort une Pompe funebre
aite par Sarrafin, où fes mœurs & fa vie font déérires fort ingenieufemenr.
Cette Piece eft admirable & peut-eftre la feule en fon genre. Elle ne fait pas
feulement honneur à celuy pour qui elle eft faire, parce qu'elle le loïe & qu'el-
le eft excellente, mais parce que c’eft de luy & du gout qu’il infpira aux ha-
biles Gens de fon fiecle qu'elle vient principalement la dleavefle & le tour
qu'on y admire. Ses Ouvrages font un Tome de Lettres avec plufieurs Poëfies
enfuire, & le commencement d'un Roman intitulé, Alcidalis.
75
# EAN FRANÇOIS SARRASsIN natif de Caën & fils d’un
Treforier de France de la mefine Ville a efté un des plus beaux
| Genies pour les belles Lettres, des plus faciles & des plus uni-
verfels qu'on ayt veus il y a long-temps. Perfonne n'a efté plus
| galand, plus agreable , ni plus enjoüé dans la converfation, 11
"1 plaifoit aux Dames, aux Gens de Lettres, aux Gens de Cour,
aux plus habiles & aux moins éclairez, il eftoir tousjours admirable, foic qu'il
falluft tenir {à place dans une Converfation reglée & ferieufe, foic qu'il falluft
parmi des perfonnes tout-à-fait amies & familieres s'emporter à ces innocentes
debauches d’efprit & à ces fages folies, où les difcours concertez cedent quel-
quefois la place aux caprices & aux boutades de la Poëfie, & où prefque tour
eft de faifon hormis la raifon fiere & fevere.
Sa maniere d’efcrire & de compofer femble tenir comme le milieu pour la
Profe entre Balzac & Voiture, & pour les Vers, entre Voiture & Malherbe.
Par là on ne prétend pas le mettre, ni au deflus ni au deffous de ceux À qui
on le compare, mais marquer feulement le jugement que plufieurs perfonnes
ont fait de fa maniere d’efcrire , & en Profe & en Vers. Sa Profe n'a pas un
tour fi élevé que celle de Balzac, & elle ne defcend pas aufi tant dans le naïf
& le plaifant, que celle de Voiture, qui ne dédaigne pas d'employer les Pro-
verbes d’une maniere à la verité qui les rend quelquefois plus précieux, & plus
agreables que les expreflions les plus polies & les plus relevées. Il en eft de
mefme de fà Poëfie qui ne le prend pas für un ton auf fier & aufli perçant
queles Odes de Malherbe, & quien mefme-temps ne {e jouë pas auffi familie-
rement de fa matiere qu'a fait Voiture, fi ce n’eft dans quelques Poëfies qu’il
a faites exprés pour {e divertir, comme celle des Bouts-rimez & quelques-autres.
Dans ce milieu qu'il a tenu il a fait voir qu'il eftoit né pour tous les genres
d'écrire. Ses Ouvrages font prefque tous differens les uns des autres, & il fem-
ble qu'il n'ayt eu deflein que de donner des échantillons de toutes fortes de
ftiles pour montrer qu'il excelloit en tous également. Sa Relation du Siege
de Dunxerque fait voir à quel point il poffedoit l'Art de bien natrer, Sa conf.
piration de Walftein montre combien il auroit efté capable non feulement d'é-
crire la Vie des grands Hommes & d’en faire des Images vivantes, mais d'é-
crire un corps d'Hiftoire, ayant fait voir dans cet eflay qu'il pofféde toutes les
qualitez d’un grand Hiftorien. La vie de Pomponius Atticus qu'il à traduite
du Latin de Cornelius Nepos fait voir combien il auroit excelle à écrire des
Vics. Le Dialogue fur la queftion, s'il faut qu'un jeune homme foir amoureux,
montre qu'il avoit beaucoup d'érudition, & qu'il n'ignoroit aucune des finef.
fes du Dialogue. Ses Poëfies ne font pas moins de differente efpece. L'Ode
u'il a intitulée, Calliope, eft de la plus haute & de la plus noble Poëfie, le def
En en eft ingenieux, ayant trouvé moyen en celebrant la Victoire que M. le
Prince remporta à la bataille de Lens, de parler de toutes fes aurres Conquef
tes qu'il feint avoir efté cizelées fur la cuirafle de ce grand Prince. Il a laiffé
les . d'un Poëme heroïque, qui ont toute la beauté des plus excellens
76 JEAN FRNACOIS SARRASIN.
Poëmes. Pour ce qui eft des Poëfies amoureufes ou galantes , il ne s'eft pas
contenté d'imiter les Anciens dans -ce qu'ils ont de meilleur, il. y a joint une
galanterie qu'ils ont ignorce, & dont luy & Voiture font en quelque forte les
premiers Inventeurs. De ce genre eft le Poëme de la Souris, dont l'invention
& la delicateffe n’ont point de modele, & n'ont eu jufqu'icy. que fort peu de
Copies qui approchaffent de la beauté de leur original.
Pour eftre pleinement convaincu de la vafte eftendué de fon efprit qui eftoic
propre à tour fans qu'on ait peu fçavoir en quoy il excelloit davantage , il ne
faut que lire la Pompe Funebre qu'il ft pour Voiture, il ya de la Satyre digne
du fiecle d'Augufte, du vieux François tellement dans le genie des fiecles paf
fez, qu'on croit en le lifant eftre cranfporté en ces temps-là & du François le
plus poli qui fe parle prefentement; du Latin, de l'Efpagnol & de l'Italien, Vers
& Profe, de la Fiction, de la Poëfie, de la Plaifanterie, le tout fi excellent,
qu'il feroit malaifé de crouver rien de meilleur dans tous cesgenres, & de files
& d'Ouvrages.
Je ne fçaurois m'empefcher de dire icy pour marquer la facilité de fon ef
prit, ce qu'il fit un jour dans un voyage où il accompagnoir M. le Prince de
Conty , dont il eftoit Secretaire & fort aimé. Ce Prince en voyageant recevoit
des Harangués prefque par tout où il pañloit. Le Maire & les Efchevins d'une
Ville l'attendirent fur fon paflage & luy firent leur Harangue‘à la portiere de
fon Carole, le Harangueur demeura court à la feconde Periode fans pouvoir
retrouver la fuite de fon difcours, quelque effort qu'il fit pour en venir à bout.
Sarrafin fauta auffi-toft de l’autre portiére en bas, & ayant fait promptement
le tour. du Carrofle {e joignit au Harangueur & pourfuivit la Harangue en la
maniere à peu prés qu'elle devoit eftre conceué, y meflant des loüanges f
plaifantes & fi ridicules, quoyque trés-ferieules en apparence, que ce Prince
nc pouvoit s’empefcher d’éclacer de rire, Ce qui fut de plus plailant, c'eft que
le Maire & les Efchevins remercierent SE de tout leur cœur de les avoir
tirez d'un fi mauvais pas, & luy prefenterenr le vin de la Ville, comme à M.
le Prince de Conty. Il-mourut en l'année 1657. On prétend que fa mort fut
caufée par le chagrin qu’il eut d'eftre tombé dans la difgrace de fon Maitre,
pour s'eftre meflé d’une affaire qui luy avoit dépleu. Il n'a jamais fait impri-
mer aucun de fes Ouvrages, & nous n'aurions rien de luy, fi M. Menage
n’euft pris foin de l'Edition que nous en avons, M. Pelliffon en a fait la Pre-
face, Piece des plus doquentes que nous ayons, & trés-digne de toutes celles
dont elle fait l'Eloge.
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47
PLERRE COR N ELL LE
DE L'ACADEMIE FRANCOISE
7 1 fepc Villes f font renduës celebres pour avoir pü précendre
chacune d'eftre le lieu où eftoit né Homere, quel honneur la
Ville de Rotien ne doit-elle pas attendre de la pofterité, de n’a-
voir point à partager avec aucune autre l'avantage d’avoir donné
la naiffance à l'Illuftre Corneille. Il ne faut point trouver eftran..
ge que je mette ce Poëte moderne en parallele avec le plus illuftre de tous les
Poëtes anciens, puifque plufieurs perfonnes trés -fages n'ont pas hefité de le
faire avant moy. Tout Paris a veu un Cabinet de pierres de rapport fait à Flo.
rence, & dont on avoit fait prefent au Cardinal Mazarin, où entre les divers
ornemens dont il eft enrichi on avoit mis aux quatre coins, les Medailles où
Portraits des quatre plus grands Poëres qui ayent jamais paru dans le monde,
fçavoir, Homere, Virgile, le Tafle, & Corneille. On ne peut pas croire qu'il
éntraft de la flatrerie dans ce choix, & qu'il n'aytefté fait par la voix publique
non feulement de la France, mais de l'Italie mefme, aflès avare de pareils Ele-
ges. Cetre efpece d'honneur n'eft pas ordinaire, & peu de gens en ont joüy,
comme M. Corneille, pendant leur vie.
Il s’appliqua quelque-remps à la Jurifprudence, & achepta la Charge d'Ad.
vocat General de la Table de Marbre à Rotien; mais le grand talent qu'il
avoit pour la Poëfie ne fouffric pas qu'il en fift long-temps la fonction, Il vint à
Paris pour y faire jotier les Pieces de Theatre qu'il avoit compofées. Dans ce
temps Mairet autre Poëre d'un merite diftngué, avoir fait reprefenter une Pa.
ftorale qu'on appelloit la Sylvie, laquelle avoit receu des applaudiflemens in-
croyables, quoyque la Piece fuft aflés defeétueufe, mais on en eftoit charmé
parce qu'elle venoit enfuire des Tragedies de Garnier & de Hardy, dont le langa-
ge ne tenoit guéres moins du Latin que du François, & dont les Sujets traittez
À la maniere antique, eftoient d’une langueur infupportable. Autant que la
Sylvie avoit éclatté par la comparaifon qu'on en avoit faire avec les Pieces de
Theatres precedentes , autant les premieres Pieces de Corneille firenr-elles de
bruit lorfqu'elles parurent, par le degré d'excellence qu'elles avoient au deffus
de cette Paftorale. La premiere fut Melite qui eut un fuccés extraordinaire, &
ui fut fuivie de fept autres, aprés lefquelles il donna le Cid, les Horaces, Cinna,
Polieucte, la Mort de Pompée, le Menteur, Rhodogune, Heraclius, Dom San.
che d’Arragon, & Nicomede , Pieces qui parurent d’une fi grande beauté,
u'on trouva que Corneille s’eftoit eflevé par ces dernieres Pieces autant au
deflus de luy-mefme, qu'il seftoit eflevé au deflus des autres Poëtes par fes
premiers Ouvrages.
Perfonne n'a jamais eu plus de grandeur de genie pour le Theatre, foit
pour les Caraéteres extraordinaires & bien marquez qu'il donne à tous fes
Perfonnages, foit pour les fentimens qu'il leur fait avoir, & la maniere noble
dont il les exprime.. On a far tout admiré le Caractere de la fierté Romaine
qu'il a mis dans les Heros en qui l'Hiftoire marque qu'il a che Quoyqu'il
78 PÉISEN RORME CL ONR NMENTULEULSE
ayt fait revenir ce mefme Caraétere beaucoup de fois fur le Theatre, il a tous-
jours plû par quelques charmes de nouveauté qu'il y ajouftoit. Il feroit mal-aifé
d'exprimer les applaudiffemens que fes Ouvrages reçurent. La moitié du temps
qu'on donnoit au fpèctacle s'employoir en des exclamations qui fe faïloient de
temps en Cemps aux plus beaux endroits, & lorfque par hazard il paroiffoit luy-
mefme fur le Theatre, la Piece eftant finie , les exclamations redoubloient,
& ne finifloient point qu'ilne fe fuft retiré, ne pouvant plus fouftenir le poids
de tant de gloire. Ce ne fut pas feulement dans Paris & à la Cour que fes
Ouvrages furent applaudis contur par toute la France & par toute l'Europe;
& comme il n'y a point eu de Nation qui n'ayt defiré prendre part au plaifir
qu'ils donnoient . il n’y a point eu aufh de Langue dans laquelle ils n'ayent
efké traduits. Si le François eft devenu le Langage de rous les honneftes Gens
de l'Europe, la France n'en eft pas feulement redevable à la gloire du Prince
que le Ciel luy a donné, mais au defir qu'ont eu tous les Peuples de goufter
les beautez des Pieces de ce grand Poëte dans leur Langue naturelle. Il laiffa
repofer le Theatre quelque-temps aprés avoir donné les Pieces que j'ay nom-
mées, & il s'appliqua À traduire en Vers l'Imitation de Jesus-CHRIST.
Cet Ouvrage dont les Chapitres font prefque tous differens pour la melure
des Vers, mais où le mefme genie fe remarque tousjours, eft une des plus bel-
les chofes que nous ayons en ce genre.
11 fembloir avoir renoncé aux Pieces dramatiques, & felon routes les ap-
parences, ilalloit employer le refte de fes jours à des Ouvrages de Pieté,
car nul de ceux qui ont travaillé pour le Theatre, n'a eu des mœurs plus
pures ni plus regulieres ; fi des Perfonnes conftiueés dans des poftes, où
il eft prefque impoflible de leur rien réfufer ne l'avoient engagé à sy re-
mettre. Il ft Oedipe, lequel , quoyqu'inferieur à beaucoup de fes autres
Ouvrages eut encore les iméfmes applaudifflemens , & qui peut-eftre re-
gardé, fi l’on en croit des Juges équitables , comme auffi parfait que l'Oc-
dipe de Sophocle, le Chef d'œuvre de ce grand Poëre. -Il compofa enfuite
plufieurs Pieces de Theatre que quelques-uns ont prétendu fe reffentir un
peu de fa Vieillefle; mais d'autres affeurent que fi elles n'ont pas eu autant
de fuccés que celles qui les ont precedées, cela vient principalement de ce
w'il n'y a pas meflé beaucoup d'Amour, paffion qui touche davantage les.
Spectateurs d'aujourd’huy que l'Horreur & la Pitié. Ils ajouftent que Corneille
avoit retranché autant qu'il avoit pü cette pañlion de ces derniers Ouvrages
pour s'eftre convaincu avec le temps qu'elle eftoit en quelque forte indigne
du Cothurne, & qu'elle avilifloit prefque tousjours les Pieces où elle domi-
noit: Sentiment conforme à celuy des meilleurs Poëtes de l'Antiquité qui peu
fouvent ont mis de l'amour dans leurs grandes Tragedies, Il mourut le premier
jour d'Octobre 1684. âge de 78. ans.
li
79
JEAN-BAPTISTE POQUELIN
DE MOLIERE.
OLtERE nâquit avec une telle inclination pour la Comedie
qu'il ne fut pas poflible de l’empefcher de fe faire Comedicn. A
à peine eut-il achevé fes Eftudes, où il réüffit parfaitement, qu'il
A 1 joignit avec plufieurs jeunes gens de fon âge & de {on gout,
8 & prit la réfolurion de former une Trouppe de Comediens pour
Provinces joüer la Comedie. Son Pere bon Bourgeois de Paris
& Tapiflier du Roy, fâché du party que fon Fils avoit pris, le fit folliciter par
tout ce qu'il avoit d'Amis de quitter cette penfée, promettant s'il vouloit re-
venir chez luy, de luy achepter une Charge telle qu'il la fouhaitreroit ; pourvû
se n'excedaft pas fes forces. Niles pricres, ni les remontrances de {es Amis
ouftenués de ces promefles ne purent rien fur fon Efprit. Ce bon Pere luy en-
voya enfuire le Maiftre chez qui il l'avoir mis en penfion pendant les premieres
années de fes Efludes, efperant que par l'autorité que ce Maiftre avoit cüe fur
luy pendant ces emps-là, il pourroit le ramener à fon devoir, mais bien loin
que le Maiftre luy perfuadaft de quitter la Profefion de Comedien, le jeune
Moliere luy perfuada d’embrafler la mefime Profeflion, & d’eftre le Docteur
de leur Comedie, luy ayant reprefenté que le peu de Latin qu'il fçavoit le ren.
droit capable d’en bien faire le Perfonnage, & que la vie qu'ils mencroient à
feroit bien plus agreable que celle d’un Homme qui tient des Penfionnaircs,
Sa Trouppe eftant formée il alla joüer à Roüen, & de-là à Lyon , où ayant
plû au Prince de Conty, qui jeune alors & non encore dans les fentimens de
Picté qui l'ont porté à écrire fi folidement & fi chrétiennement contre la Co.
medie, les prit pour fes Comediens & leur donna des Appointemens. De-R ils
vinrent à Paris, où ils jotierent devant le Roy & toute la Cour. Il ef vray que
la Trouppe ne réüfit pas cette premiere fois : mais Moliere fit un Compliment
au Roy, fifpirituel, fi delicat & fi bien tourné, & joïia fi bien {on roolle dans
la petite Comedie qu'il donna enfuite de la grande, qu'il emporta tous les fuf.
frages, & obrint la permiflion de joüer à Paris. Il fatisfit fort le Public für tout
par les Pieces de fa Compofition, qui eftant d’un genre tout nouveau attire.
rent une grande affluence de Spectateurs.
Juiques-là il y avoit eu de l'efprit & de Ja plaifanterie dans nos Comedies .
mais il y ajoufta une grande naïveté avec des Images fi vives des mœurs de
fon fiecle, & des Caraëteres fi bien marquer, que les Reprcfentations fm.
bloient moins eftre des Comedies que la verité mefme, chacun s'y reconnoif.
foit & plus encore fon voifin , dont on eft plus aife de voir les defauts que
les fiens propres. On y pritun plaifr fingulier, & mefne on peut dire qu’elles
furent d’une grande utilité pour bien des Gens.
Moliere avoit remarqué que les François avoient deux defauts bien confi-
derables; L'un, que préique tous les jeunes Gens avoient du dévouft pour la
Profeflion de leurs Peres , & que ceux qui neftoient que Bourgeois vouloient
vivre en Gentils-hommes & ne rien faire ; ce qui ne manque point de les ruiner
80 JEAN-BAPTISTE POQUELIN DE MOLIERE.
en peu de temps; Et l’autre, que les femmes avoient une violente inclination
à devenir, ou du moins à paroïftre Sçavantes, ce qui ne s'accorde jus avec
l'efprit du menage, fi neceflaire pour conferver le bien dans les familles. Il
s'attacha à jerter du ridicule fur ces deux vices, ce qui a eu un effet beaucoup
au-de-là de tout ce qu'on pouvoit en elperer. 11 compofa deux Pieces contre le
premier de ces defordres, dont l’une eft intitulée: Le Bourgeois Gentilhomme ,
& l’autre : Le Marquis de Pourceaugnac. Al y à apparence que les jeunes gens en
profiterent , du moins s’apperceut-on que les airs outrez de Cavalier qu'ils fe
donnoient diminuerent à veüe d'œil. Contre le defaut qui regarde les femmes
il fit auffi deux Comedies, L'une intitulée: Les Precieufés ridicules ; Ex l'autre:
Les Femmes fçavantes. Ces Comedies firent tant de honte aux Dames qui fe pic-
quoient trop de bel Efprit quetoutela Nation des Precieufes s'éreigni en moins
de quinze jours, ou du moins elles fe déguiferent fi bien là deflus qu'on n'en
couva plus, ni à la Cour, ni à la Ville, & mefne depuis ce temps-là elles ont
cfté plus en garde contre la reputation de Sçavanres & de Precieules, que con-
tre celle de Galantes & de Dereglées.
Il fic aufli deux Comedies contre les Hypocrites & les Faux devots, fçavoir,
le Feftin de Pierre, Piece imirée fur celle des Italiens du mcfme nom, & le
Tartuffe defon Invenrion. Cette Piece luy ft des affaires, parce qu'on en
fufoir des applications à des Perfonnes de grande confideration, & auffi par-
ce qu'on prérendit que la vertu & le vice en cette matiere fe prenant aile-
ment l'un pour l’autre, le ridicule tomboit prefque également fur tous les deux,
& donnoit lieu de {e mocquer des Perfonnes de Pieté & de leurs remontrances,
Cependant aprés quelques obftacles qui furent levez auflitoff, il eut permiflion
entiere de la joïier publiquement.
Il attaqua encore les mauvais Medecins pat deux Pieces fort Comiques ;
dont l'un eft le Medecin malgré luy , & l'autre le Malade imaginaire. On peut
dire qu'il fe méprit un peu dans cette derniere Piece, & qu’il ne fe contint pas
dans les bornes du pouvoir de la Comedie; car au lieu de fe contenter de blà-
mer les mauvais Medecins, il attaqua la Medecine en elle meme, la craitta
de Science frivole, & pofa pour principe qu'il eft ridicule à un Homme de
vouloir en guerir un autre. La Comedie s'eft tousjours mocquée des Rodomons
& de leurs rodomontades; mais jamais elle n'a raillé, ni les vrais braves , nila
vraye bravoure; Elle seft réjoüie des Pedans & de la Pedanterie, mais elle n'a
jamais blâmé, ni les Sçavans, ni les Sciences. Suivant cette regle il n'a pû trop
mal-traitter les Charlatans & les ignorans Medecins , mais il devoit en demeu-
rer-là & ne pas tourner en ridicule les bons Medecins, que l'Ecriture mefme
nous enjoint d'honorer. Quoyqu'il en foit depuis les anciens Poëtes Grecs &
Latins qu'il a égalez & peur eftre fürpañlez dans le Comique, aucun autre n'a
eu tant de talent ni de réputation.
I mourut le 13. Février de l'année 1673. âgé de 52. ou 53. ans. Il a ramañl en
luy feul tous les talens neceflaires à un Comedien. Il a efté f excellent Acteur
pour le Comique, quoyque trés-mediocre pour le fcrieux, qu'il n'a peu eftre
imité que crés-imparfaitement par ceux qui ont jotié fon roolle aprés fa mort.
Il a auffi entendu admirablement les habits des Aëteurs en leur donnant leur
veritable caractere, &il a eu encore le don de leur diftribuer f bien les Perfon-
nages & de les inftruire enfuite fi parfaitement qu'ils fembloient moins des
Acteurs de Comedie que les vrayes Perfonnes qu'ils reprefentoient.
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DE L'ACADEMIE FRANCOISE.
A ONSIEUR QuinauLtTr eftoit un de ces Genies heureux qui
êl réüfliflent dans tout ce qu'ils Entreprennent , & qui ayant receu
| de la Nature une idée du Beau trés vive & trés-diftincte, ÿ con-
forment avec facilité tout ce qu'ils font, fouvent mefine fans le
fecours des Maiftres & des Preceptes. Au fortir de fes Eftudes il
S'appliqua à la Poëfie pour laquelle il avoit un talent extraordinaire, & com.
pola dés l'âge de quinze ans des Comedies trés-agreables. Dans le mefme-temps
il {e mit chez un Advocat au Confeil pour apprendre les affaires, où bien-toft
il {e rendit habile.
Je ne puis m'empefcher de rapporter icy une chofe , à la verité peu impor
tante, mais qui marque bien l’eftenduë & la facilité de fon efprir. Cet Advo-
cat au Confeil le chargea de mener une de £s Parties, Gentilhomme d'efprit
& de merite, chez fon Rapporteur pour l'inftruire de fon affaire, Le Rap-
porteur ne s'eftant pas trouvé chez luy & ne devant revenir que fort tard, M.
Quinault propofa au Gentilhomme de le mener à Là Comedie en attendant , &
de le bien placer fur le Theatre. A peine y furent:ils que tout ce qu'il y avoit
de Gens de la plus haute qualité vinrent embraffer M. Quinault & le feliciter
lur la beauté de fa Piece qu'ils venoient voir reprefenter , à ce qu'ils difoient,
pour la troifiéme ou quatriéme fois. Le Gentilhomme eftonné de ce qu'il en.
tendoit, le fur encore davantage quand on joüa la Comedie, où le Parterre &
les Loges retentifloient fans cefle des applaudiffemens qu'on y donnoit. Quel-
que grande que fuft fa fürprife, elle fut encore toute autre , lorfqu'eftant chez
lon Rapporteur il entendit M. Quinaule luy expliquer fon affaire, non fule-
ment avec une netteté incroyable, mais avec des raifons qui en faifoient voir
la juftice avec tant d’évidence, qu'il ne douta plus du gain de { Caufe,
Les Comedies de M. Quinault furent pendant dix ou douze ans les delices de
Paris & de toute la France, quoyque les Connoiffeurs de Profeffion prétendiffenc
qu'il n’y en avoit aucune où les regles fuffent bien obfervées: imagination tou-
te pure & qui n'avoit point d’autre fondement que la faufle prévention où ils
eftoient, qu'un jeune homme qui n'avoir pas eltudié à fond la Poëtique d'A-
riftote ne pouvoit faire de bonnes Pieces de Theatre. Les Opera eftant venus
à la mode en France, Monfieur Quinault en fit de trés excellens | mais qui
n'eurent pas d’abord les applaudiffemens fans bornes qu'ils ont receus depuis,
On taicha mefme d'en désroufter M. de Lully, mais cet excellent Homme avoir
trop de gouit & trop de ie pour ne pas voir qu'il eftoir impoffible de faire
des Vers plus beaux, plus doux & plus propres à faire paroïftre {a Mufi.
ue. Ce qui le charmoir encore davantage, c’eft que Monfieur Quinault avoir
le talent de faire des paroles fur les Airs de Danfe dont il embelifloir {es
Opera, qui y convenoient auffi bien & fouvent mieux que fi elles avoienr efté
compofées les premieres.
Le Roy, ayant voulu donner à la Cour le divertiflement des DR , ne voulut
82 PHILIPPES QUINAULT.
point prendre d'autre Auteur que M. Quinault, qui conrinua à faire encore
de plus belles choles, animé qu'il eftoit de l'honneur de travailler pour Sa Ma-
jefté. Ses Pieces commiencerent alors à prendre le deffus, & à Le faire efti-
mer dé tour le monde: Mais quandil fur mort, & que divers Auteurs quoyque
trés habiles ‘eurent fait voir qu'ils ne pouvoient atteindre au mefme degré
de perfection , il nef pas croyable à quel point fa réputation s’augmen-
ta. On ne s'eit pas contenté de dire qu'il eftoit un Poëte excellent dans le
Lyrique du Theatre , & que perfonne , ni des Anciens, ni des Modernes ne
l'avoir égalé dans cerre efpece de Poëfie, on a efté jufqu'à dire, & à le dire
tout d'une voix, qu'il n'en viendroir peut-eftre jamais un autre qui l'égalaft.
Il'a fair encore beaucoup d'autres boules d'un autre genre qui ont efté fort ef-
timées, & qui marquent l'abondance & La délicatefle de {on Efprit. De ce
nombre eft la Defcriprion de la Maifon de Seaux de M. Colbert; petit Poëme
des plus ingenieux & des plus agreables qui fe foient faits de ce remps-cy. La
Harangue qu'il prononça en entrant dans l'Academie & deux autres qu'il fit au
Roy {ur fes Conqueftes à la celte de cette Compagnie ont fait voir qu'il n'eftoir
pas moins bon Orateur que bon Poëte , fur tout lorfqu'ayant appris la nou-
velle de la mort de Monfieur de Turenne au moment qu'il alloit haranguer
le Roy, il en parla fur le champ d'une maniere fi jufte & fi fpirituelle qu'il £e-
roit mal-aifé d'exprimer la furprife qu'en eut route la Cour. Je ne dois pas ou-
blier que dans la Charge d'Audireur des Comptes qu'il a exercée pendant quinze
ou feize ans, il en a fait toutes les fonétions avec autant d’exactitude, que les
plus habiles de fes Confreres qui n'avoient point d'autre employ ny d'autre
occupation.
Sur la fin de fà vie il eut regret d'avoir donné fon temps à faire des Opera,
&il prit la réfolution de ne plus compofer de Vers que pour chanter les
loïanges de Dieu, & les grandes Adions de fon Prince. Il commença par un
Poëme fur la deftruction de l'Herefie , dont voicy les quatre premiers Vers:
Je ray que trop chanté les Jeux € les Amours,
Sur un ton plus Jublime il faut me faire entendre :
Je vous dis adien Mufè tendre,
Je vons dis adieu pour tonsjours.
Il à laiffé deux Filles dans le monde, l'une mariée à M. le Brun Auditeur
des Comptes Neveu de l'excellent M. Le Brun Premier Peintre du Roy, &
l'autre à M. Gaillard Confciller de la Cour des Aydes. Il mourut le 26. No-
vembre 1688. Âgé de 53. ans.
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«Jean de . Fontane
de l'Academie Francoire
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LE AN DELA FONTAINE
DE LACADEMIE FRANCÇOISE
A ONsIEUR DE LA FONTAINE nâquit à Chafteau-Thierry en
\ l'année 1621. Son Pere, Maiftre des Eaux & Forefts de ce Duché
le reveftit de fa Charge dés qu'il fut capable de l'exercer, maisil
y trouva fi peu de gouft, qu'il n'en fit la fonétion, pendant plus
: | de vingt années, que par complaifance, Il eft vray que fon Pere
eut pleine faisfaction fur une autre chofe qu'il exigea de luy,, qui fut qu'il s’ap-
pliquaft à la Poëfie, car fon Fils y réüffic au-de-là de ce qu'il pouvoit fouhait.
ter. Quoyque ce bon Homme ny connuft prefque rien, il ne laifloit pas de
l'aymer paflionnement, & il eut une joye incroyable , lorfqu'il vit les premiers
Vérs que fon Fils compofa.
Ces Vers fe reflentoient comme la plufpart de ceux qu'il a faits depuis, de
la lecture de Rabelais & de Marot, qu'il aymoit & qu'il eftimoit infiniment,
Le talent merveilleux que la Nature luy donna, n'a pas efté inferieur à ce-
luy de ces deux Auteurs, & luy a fait produire des Ouvrages d'un agrément
incomparable. Il s’y rencontre une fimplicité ingenicufe , une naïveté fpirituel.
le, & une plaifanterie originale qui n'ayant jamais rien de froid , caufe une
furprife tousjours nouvelle. Ces qualitez fi délicates, fi faciles à degenerer en
mal & à faire un effet tout contraire à celuy que l’Auteur en attend, ont plü
À out le monde, aux Serieux, aux Enjoüez, aux Cavaliers, aux Dames & aux
Vicillards, de melime qu'aux Enfans.
Jamais Perfonne n'a mieux merité d’eftre regardé comme Original & com-
ime le Premier en fon Efpece. Non feulement il a inventé le genre de Poëfie,
où il s’eft appliqué, mais il l'a porté à f derniere perfection; de forte qu'il eft
le premier, & pour l'avoir inventé, & pour y avoir tellement excellé que per.
fonne ne pourra jamais avoir que la feconde Place dans ce genre d'écrire. Les
bonnes chofes qu'il faifoit luy couftoient peu, parce qu'elles couloient de
fource , & qu'il ne faifoit prefque autre chofe que d'exprimer naturelle.
ment fes propres penfées, & fe peindre luy-mefne. S'il y a beaucoup de
fimplicité & de naïveté dans fes Ouurages , il n’y en a pas eu moins dans
fa vie & dans fes manieres. Il n'a jamais dit que ce qu'il penfoit, & il n'a
jamais fuir que ce qu'il a voulu faire. Il joignit à cela une humilité natu.
relle, dont on n'a gueres vû d'exemple; car il eftoit fort humble fans eftre
devot , ni mefme regulier dans fes mœurs, fi ce n'eft à la fin de à vie
ui a efté toute Chreftienne. Il s’eftimoit peu , il fouffroit aifément la mau-
vaife humeur de fes Amis, il ne leur difoit rien que d'obligeant , & ne £e
fafchoit jamais, quoyqu'on luy dift des chofes capables d'exciter la colere
& l'indignation des plus moderez. Monfieur Fouquet alors Sur - Intendant
des Finances luy donna une Penfon & luy fit beaucoup d'accueil ainfi qu'à {es
Ouvrages, dont il y en a plufieurs où il l'a loüé trés ingenieufement, & où les
beautez de fa Mailon de Vaux-le-Vicomte font dépeintes avec une grace ad-
mirable. Le peu de foin qu'il eut de fes affaires domeftiques, l'ayant mis em
84 J'EAGN DE, L'ANE O NT ANNEE.
eltat d’avoir befoin du fecours de fes Amis, Madame de la Sabliere Dame d’un
merite fingulier & de beaucoup d’efprit le receut chez elle, où ila demeuré
prés de 20. ans. Aprés la mort de cette Dame, M. d'Hervart qui aymoit beau-
coup M. de la Fontaine le pria de venir loger chez luy, ce qu'il fi & il y eft
mort au bout de quelques années.
IL a compolé de petits Poëmes épiques, où les beautez de la plus grande Poë-
fie fe rencontrent & qui auroient pû fuffire à le rendre celebre; mais il doit
fon principal merite & fa grande repuration à fes Poëfies fimples & naturelles.
Son plus bel Ouvrage & qui vivra éternellement, c'eft fon recueil des Fables
d'Efope qu'il a craduites ou paraphrafées. Ila joint au bon fens d'Efope des or-
nemens de fon Invention fi convenables, fi judicieux & fi réjoüiflans en mef
me-temps , qu'il eft mal-aifé de faire une Lecture plus utile & plus agreable tout
eut. I n'inventoit pas les fables , mais il les choififloit bien, & les ren-
doit prefque tousjours meilleures qu'elles n'eftoienr. Ses Contes qui font la pluf
part de petites nouvelles en Vers font de la mefme force, & l'on ne pourroit
en faire trop d’eftime s'il n’y entroit point prefque par tout trop de licence con-
tre la pureté; Les Images de l'Amour y font fi vives qu'il y a peu de Lectures
plus dangereufes pour la Jeunefle, quoyque perfonne n'ayt jamais parlé plus
honneftement des chofes deshonneftes. Jaurois voulu pouvoir diffimuler cette
circonftance, mais cette faure a efté trop publique & le repentir qu'il en a
fait paroiltre pendant les deux ou trois dernieres années de À vie a efté tro
fincere pour n'en rien dire. Il eftoir de l'Academie Françoile, & lorfqu'il ré.
moigna {ouhaitter d'en eftre , il écrivit une Lettre à un Prelar de la Compa-
gnie , où il marquoit & le déplaifir de s’eftre laiffé aller à une celle licence, &
h refolution où il eftoit de ne plus compofer rien de femblable. Il mourur à
Paris le 1. Avril 1695. âgé de 74. ans avec une conftance admirable & toute
Chreftienne,
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85
TENUE AD LS "TE EULULL Y
SUR-INTENDANT DE LA MUSIQUE DU ROY.
q'ExceLzLenrt homme qui fe prefente icy, ne devoit point,
À cftant né en Ialie, trouver place dans ce Recueil, fuivant la
Loy que nous nous fommes impolée de n'y admettre que des
SN | François; mais il eft venu en France dans un fi bas âge, &il s'y
nes eft naturalifé de telle forte qu'on n'a pü le regarder comme un
Eftranger. D'ailleurs rous fes Ouvrages de Mufique, & le Genie mefme qui
les a produits ayant efté formez chez nous, il ne faut pas s’eftonner fi nous
avons crû eftre en droit de nous en faire honneur.
A fon arrivée en France il s’attacha auprés de Mademoifelle de Montpen.
fier, mais le Roy qui a le gouft fi ne pour toutes les belles chofes , n'eut
pas pluftoft oùy des airs de fa Compofition qu'il voulut l'avoir à fon {ervice.
Il luy ordonna de prendre foin de fes Violons, car il joüoit de cet Inftrument
d'une maniere dont perfonne n’a jamais approché , & mefme Sa Majefté en
crea une nouvelle bande en fa faveur, qu'on nomma les Petits-violons, qui inf-
cuits par luy, égalerent bien-toft & furpañlerent mefme la Bande des Vingt.
quatre, la plus celebre de toute l'Europe. Il eft vray qu'ils avoient l'avantage de
joüer des Pieces de la compofition de M. de Lully, Pieces d’une efpece toute
differente de celles que jufques-là on avoit entenduës. Avant luy on ne conti.
deroit que le chant du Deflus dans les Pieces de Violon ; la Bafle & les Parties
du milieu n'eftoient qu’un fimple accompagnement & un gros Contrepoint ,
que ceux qui joüoient ces Parties compoloient le plus fouvent comme ils l'en.
rendoient, rien n'eftant plus aifé qu'une femblable Compofition , mais M,
Lully a fait chanter toutes les Parties prefque aufli agreablement que le Deflus;
il y a introduit des fugues admirables, & fur tout des mouvemens tout nou.
veaux, & jufqueslà prefque inconnus à tous les Maiftres ; il a fait entrer
agreablement dans fes Concerts jufqu'aux Tambours & aux Timbales, Inftru..
mens qui n'ayant qu'un feul ton fembloient ne pouvoir rien contribuer à la
beauté d’une harmonie , mais il a {çû leur donner des mouvemens fi convena.
bles aux Chants où ils entroient, qui la plufpart eftoient des Chants de guerre
& de triomphe , qu'ils ne touchoient pas moins le cœur, que les Inftrumens
les plus harmonieux. Il a fçû parfaitement les Regles de {on Art, mais au
lieu que ceux qui l'ont precedé n'ont acquis de la réputation que pour les
avoir bien obfervées dans leurs Ouvrages , il s'eft particulierement diftin.
gué en ne les fuivant pas, & en fe mettant au deffus des Regles & des Pre.
ceptes. Un faux accord, une diffonance eftoit un écueil où échoüoient les
plus habiles, & ça efté de ces faux accords & de ces diflonances que M. de
Lully a compofé les plus beaux endroits de fes Compofitions par l'Art qu'il a
eu de les préparer, de les placer & de les fauver.
On ne luy a pas feulement l'obligation d’avoir compofé des pieces de Mu-
fique qui ont fait pendant un crés-long-temps les delices de toute la France, &
qui ont pañlé chez tous les Eftrangers ; mais d’avoir donné une none face à
86 TUE ANSE PAPA ES LME ML IUT AE
la Mufique & de l'avoir renduë commune & familiere à tout le monde, Quand
il eft venu en France il y avoit prés de la moirié'des Muficiens qui ne fçavoient
pas chanter à Livre ouvert, la plufpart de ceux mefmes qui chantoient chez
le Roy apprenoient leur partie par cœur avant que de la chanter. Aujour-
d'huy il n'y a prefque plus de Muficiens ; foit de ceux qui chantent, loit de
ceux qui touchent des Inftrumens, qui n'execurent fur le champ tout ce qu'on
leur prefente, avec autant de juftefle & de propreté que s'ils l'avoient eftudié
pendant plufièurs journées. On admiroir un Maiftre qui fçavoit accompagner
fur la Baffe-continué , aujourd'huy une Jeune fille qui joüe du Clavecin ou du
Theorbe auroit de la peine à s’encendre loüer de fi peu de chofe.
On n'a gucres veu que ceux qui ont excellé dans les chants profanes ayent
eu le mefme avantage à compoler des chants d'Eglife, cependant il a réüffi
parfaitement dans ces deux genres de Mufique, & quand ila fait chanter des
Tencbres de fa Façon, on ne l'a pas moins admiré que dans l'execution de
fes plus beaux Opera, parce qu’il a eu l'art d'entrer également bien dans l'ef
prit de ces mufiques differentes. C'eft ce qui porta le Roy à le faire Sur-In-
tendant de fa Mufique, Charge qu'il meritoit fouverainement, & à laquelle il
joignit.peu de temps aprés celle de Secretaire du Roy. Il mourut à Paris le
22. Maïs 1687. dans la cinquante-quatriéme année de fon âge; Il eft enterré
dans l'Eglife des Petits- Peres Auguftins Déchauflez ; où il a fait baftir une
Chappelle, ‘&: où fa Veuve luy a fait élever un trés-beau Maufolée. Il à laiffé
fix enfans, trois garçons & trois filles. ;
Rien n'eft comparable à la beauté de tous les Oper: qu'il a faits. Comme
dans ces Ouvrages. il'a joint à la force du. génie de fa-\Nation, la’ politefle &
les agrémens de la Noftre, l'Italie n’a prefque rien qu'elle puifle leur oppofer.
C’eft une varieté inconcevable de modulations & de mouvemens. Ce font tous
Aürs qui fans fe reffembler ont cependant un certain caraétere de douceur &
de nobleffe; qui marque leur commune Origine. Il eft vray qu'il a eu le bon-
heur de trouver un Poëte dont les Vers ont efté dignes de fa Mufique, & tels
qu'il pouvoir les defirer pour bien mettre en leur jour toutes les beautez &
routes les’ delicareffes de fon Art; mais ce bonheur luy eftoit deu afin quil
ne reftaft rien à defirer à es Ouvrages.
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87
FRA CIONTS MAENAS A RIT
ARCHITECTE
1] Rançoïs MansarT nâquit à Paris en l’année 1508. Son
PAS Pere qui eftoit Archirecte & qu'il perdic fort jeune, le faiffà en-
| cre les mains de fon Beaufrere qui eftoit de la mefime profeflion &
qui eut foin de luy apprendre les premiers Elemens de l'Archi-
1 tecture. Ce jeune Eleve avoit apporté en naïffant toutes les di£
pofitions neceflaires pour réüflir dans ce bel Art, un gouft exquis & un elprit
{olide & profond, qui cherchoit tousjours quelque chofe de plus beau que ce
qu'il voyoit faire aux autres. La pratique qu'il je de bonne heure à l’Eftu-
de & aux Reflexions, luy acquit en peu de temps beaucoup d'’habileté & beau-
coup de reputation. Ses penfées eftoient nobles & grandes pour le deffcin ge.
neral d’un Edifice, & fon choix tousjours heureux & delicat pour les Profils de
tous les membres d'Archireëture qu'il y employoit.
Ses Ouvrages qui ont embelli Paris & fes Environs , & mefmnes plufieurs Pro.
vinces font en figrand nombre, que je ne rapporteray que les principaux. Les
premiers ont efté le Portail de l'Eglife des Fetillans de la ruë S. Honoré, le Cha-
fteau de.Berny, & le Chafteau de Baleroy en Normandie , enfüite celuy de Ble-
rancour, une partie de celuy de Choify fur Seine & de celuy de Petit-bourg. Le
nouveau Chafteau de Blois eff tout entier de fa façon, & il a fair une partie des
dedans de Richelieu & de Coulommiers. Il a fait tous les dehors du Chafteau
& des Jardins de Gefvres en Brie, & la plus grande partie de celuy de Frefñne,
où il y a une Chappelle qui eft en mefme-temps, & le modele de l'Eglife du
Val-de_Grace à Paris, &un Chefd'œuvre d'Architecture. Le Chafteau de Mai-
{ons dont il a fait faire tous les Baftimens & tous les Jardinages, eft d’une beau-
té fi finguliere , qu’il n’eft point d’Eftrangers curieux qui ne l'aillent voir com-
me unedes plus belles choles que nous ayons en France. L'Hoftel de la Vril.
liere & l'Hoftel de Jars qu'il fft conftruire environ dans le mefme-temps, ne
mericent pas moins d'eftre confiderez pour la beauté & l’élegance de leur Ar-
chitecture. L'Eglife des Filles de Sainte Marie dans la ruë S. Antoine eft de luy,
de mefme qu'une partie de l'Hoftel de Conty, l'Hoftel de Boüillon, & le Por-
tail des Minimes de la Place Royale, jufqu'à la premiere Corniche feulemenr.
Il a bafti plufieurs chofes à l'Hoftel de Carnavalet de trés-bon gout, fur tout
le Corps-de Logis fur la ruë, où il à confervé l'ancienne Porte & des Bas-reliefs,
dont elle eft ornée, parce qu'il les trouva trés-beaux, & qu'il n'eut point cette
maligne envie de plufieurs Architeétes qui ne manquent point de faire abbatre
les morceaux d'Archite@ure, dont la comparaifon avec les leurs pourroit leur
eftre defavantageufe. L'Eglife du Val-de Grace a efté baftie fur fon deflein, &
conduite par luy jufqu’au deffus de la grande Corniche du dedans. Lorfqu'on
en eftoit-là, on fit entendre à la Reine Mere Fondatrice du Couvent,
que cette Eglife fur le pied qu'elle eftoit commencée ne pouvoit s'achever
qu'avec des lommes immenfes , & qui excederoient beaucoup celles que Sa
Majelté y avoit deftinées. Elle s'en plaignit à M. Manfart, & n'ayant pas receu
88 FRANCOIS U MANS ARITUMA RICEIMUE CUVE:
de fes refponfes toute la fatisfaétion qu'elle en attendoit, Elle chargea d’autres
Architeétes de ce qui reftoit. à faire. C’eft afleurement une des plus belles
Egliles qu'il y ayt au monde, mais il y a lieu de croire qu'elle auroit efté
encore plus belle fi. M. Manfart y euft mis la derniere main. Elle n’auroit peut-
eftre pas efté chargée de tant d’ornemens de Sculpture, mais elle n'en auroit
pas efté moins ornée. Peur-eftre aufli que le Dome quelque beau & majef_
tueux qu’il foit, auroit eu quelque chofe de plus élegant & de plus degagé, sil
euft efté fair entierement dans : gouft de Manfart. L'on peut en juger ainfi
par la beauté du Dome des Invalides fait par M. Manfart d'aujourd'huy pre-
mier Architecte de Sa Majefté, & digne Neveu de celuy dont je parle, parce
qu'il a le mefme gouft que fon Oncle.
Cer excellent Homme qui contentoit tout le monde par fes beaux Ouvra-
ges ne pouvoit {e contenter luy-mefme; il luy venoit tousjours en travaillant
de plus Éoiss Idées que celles où il s’eftoit arrefté d'abord, & fouvent il a fait
refaire jufqu'à deux & trois fois les mefimes morceaux pour n'avoir pü en de_
meurer à quelque chofe de beau, lorfque quelque chofe de plus beau fe prefen-
toit à fon imagination. C’a.efté cette abondance de belles penfées qui a empef
ché que la Façade principale du Louvre n'ayr efté baftie fous fa conduite & fur
fes deffcins ; & parce que la Pofterité fera eftonnée que dans letemps où il eftoic
dans fa plus grande reputation, on ayt fait venir en France pour cet Ouvrage
le Cavalier Bernin , qui affeurement n’avoir aucun avantage fur luy du cofté
de l'Archireture, je me croy obligé de dire comment la chofe fe pafa. M.
Golbert, avant que d'envoyer à Rome pour avoir des deffeins des meilleurs
Architectes d'alie , manda Monfieur Manfart & le pria d'apporter ceux
qu'il avoit faits pour le Louvre. Il luy dir qu'il feroic Ge aife de luy voir
baftir la Façade de ce Palais, ne doutant point que s'agiflant de fervir le Roy
dans un Ouvrage fi importanr, il ne fft quelque chofe d'admirable. M. Man-
farc ouvrit fon Porte-feüille, & fit voir plufieurs Defleins tous trés-beaux &
trés-magnifiques, mais dont il n'y en avoit pas un feul qui fuft fini & arrefté,
Il y avoit par tout deux ou trois penfées differentes à choifir ; l'une marquée
avec du crayon , l'autre avec de l'encre, & l'autre avec de la fanguine. M.
Colbert rémoigna eftre extremement fatisfait de la beauté & de l'abondance
de toutes ces differentes Idées, mais il ajoufta qu'il falloit fe determiner, pren-
dre les plus belles & les mettre au net, enfuite les prefenter au Roy pour en
choifir une, aprés quoy il n’y auroit plus qu'à l'executer promptement fans y
rien changer. M. Manfart répondit qu'il ne pouvoit fe lier ainfi les mains, &
qu'il vouloit {e conferver tousjours le pouvoir de mieux faire, & fe rendre par-
h plus digne de l'honneur que l’on luy faifoit. M. Colbert luy répondit que
s'il n'eftoit queftion que d’un Baftiment pour luy, il n’auroit aucun chagrin de
le voir abbatre huit & dix fois de fuire, pourveu qu'il parvint à avoir un Edi-
fice de fa Façon, mais que s’agiffant d'un Baftiment pour le Roy, & d'un Ba-
ftiment tel que le Louvre, il ne pouvoit ni ne devoit y faire travailler aux con-
ditions que M. Manfart demandoit. Ils perfifterent l'un & l'autre dans leur
réfolution, & la chofe en demeura-là. Il mourut au mois de Septembre 1666.
âgé de 69. ans.C’eftluy qui a inventé cette forte de Couverture qu'on nomme
Manfarde , ou en brifant les toits on augmente l’efpace qu’ils renferment &
on trouve moyen d'y pratiquer des Logemens trés-commodes & trés-agreables.
BEN AS N' RON ARE NES 2
AS
89
NTIEOL AS POUSELN
PEINTRE
Uaxp on eft né pour exceller dans quelque Art ou dans quel
que Science, les femences que la Nature en a jetrées dans l'ame
Al germent de fi bonne heure qu'on en voit des marques vifibles
i| dés la premiere enfance. Nicolas Pouflin qui venoit au monde
pour eftre un des meilleurs Peintres de fon fiecle, fit connoiftre
fon talent dés que fa main fur affés forte pour exprimer par des lineamens les
Images qu'il avoit dans l'efprit. Il nâquit en 1594. à Andely en Normandie Û
où il { trouva un Peintre nommé Varin, qui jugeant où pouvoient aller de
tels commencemens , confeilla à fes Parens qui eftoient fafchez de le voir s'a-
mufer à defligner, au lieu de s'appliquer aux Eftudes ordinaires, de le laifler
füivre fon inclination , & il l'aida beaucoup de fes Confcils & de fes Précep-
ces. Dés qu'il eut atteint l'âge de 18. ans il vint à Paris ; Où aprés avoir
eftudié fous differens Maiftres , il ft quelques Voyages en Province &
particulierement à Blois, où il peignit deux Tableaux dans l'Eglife des Ca-
ucins qu'on va voir avec admiration , quoyqu'ils {e reffentent un peu de Ja
Éiblerre de fon âge. Il fit fix Tableaux à Détrampe pour la Ceremonie de la
Canonifation deS. Ignace & de S. François Xavier, & uoyque ces fix Tableaux
cuffent efté faits en fix jours ou peu davantage, ils Au trés eftimez & luy
firent beaucoup d'honneur. Le Cavalier Marin excellent Poëte Italien s'eftant
trouvé à Paris dans ce temps-là, ils firent amitié enfemble , & le plaifir que
prit le Pouflin à reprefenter les plus belles penfées de fon amy, tirées la pluf
part de fon Poëme de l'Adonis , ne fervit pas peu à reveiller & à augmenter
en luy le Genie Poëtique de l'invention , di neceflaire aux Peintres,
Il allaà Rome & y arriva au Printemps de l’année 1624. Ses Ouvrages n'y
furent pas eftimez d'abord, quoyque trés-beaux , parce que fa maniere de
peindre n'eftoit pas du gouft qui regnoit alors, il arriva Fee que les Copies
u'on en fit {e vendirent davantage que fes Originaux, & il ne toucha que
re cfcus du Tableau de la Pefte, que le Duc de Richelieu a depuis a-
chepté mille efcus. 11 portoit tousjours des Tablettes fur lefquelles il deffinoit
en paffant dans les ruës les Attitudes qui luy fembloient belles & dignes d’eftre
remarquées , & les beaux morceaux de Payfages, lorfqu'il eftoit à la Campa.
gne, Il apprit les Mathematiques du Pere Mathé Zoccolini , & l'Anatomie du
Vafale. I s'appliqua particulierement à faire des Tableaux de Chevalet d'une
moyenne grandeur, où les figures fuffent affez grandes pour en pouvoir bien
remarquer toutes les proportions , & y placer tout le détail des Expreflions les
plus fines & les plus délicates, Le nombre des beaux Tableaux qu'il a faics eft
prefque innombrable.
Entre les plus celebres on compte les fept Sacremens qu'il a peints deux fois,
la premiere pour le Cavalier del Pozzo fon intime Amy, & la feconde pour
M. de Chantelou Maiftre d'Hoftel du Roy; plufieurs évenemens de l'Hiftoire
de Moyfe, comme fon Expoñition fur les eaux du Nil, la Manne qui tombe
90 NT COL AS PI OUI PTE
dans le Defert, & le frappement de la Roche; Rebecca, les Aveugles de Je-
richo, celuy du Deluge, celuy de Pyrrhus & plufieurs autres qui font un des
principaux ornemens du Cabinet du Roy.
M. Defnoyers qui l'eftimoit & l'aimoit beaucoup l'obligea par lés Lettres
preflantes qu'il luy écrivit, & par celles qu'ilporta Le Roy à luy écrire, de venir
en France pour honorer la Sur-Inténdance des Baîtimens que Sa Majefté venoit
de luy donner. Les premiers Oùvrages qu'on lüy fit faire dés qu'il fur arrivé fur
le Tableau d'Aurél de la Chappelle de $. Germain en Laye, qui eft une Cene,
où la beauté de l'Ordonnance & particuliérement l'entente des lumieres ne re-
connoiflentrien de plus beauen ce genre-l. Il ft, à peu prés dans le mefme-
temps le Tableau du grand Autel du Noviciat des Jeluires qui eft de la mefme
force. Il fut chargé de faire des Deffeins pour la grande Gallerie du Louvre.
Ilcftaifé de simaginer qu'avec le merite qu'il avoit, & qu'ayant efté mis à la
refte de rous les Ouvrages de Peinture & en quelque façon d'Architecture,
parce qu'il y en entroit beaucoup dans le Dcflein du Plafond de cette Galle-
rie, il ne manqua pas d'Ennemis qui le contredirent, imais il fouftint fon Def
fein par de trés-bonnes raifons, faifant voir que s'il n'eftoit pas auffi orné ni
auffi chargé d'Ouvrages que l'auroient voulu {és Adverfaires, il le faifoit à cau-
{e de la longueur extraordinaire de ce Vaiffeau, afin que a vetie ne fuft pas
fatiguée d'urt trop grand nombre de differens objets, afin qué l'Ouvrage fe puit
achever & me fult pas d’une defpenfe immenfe & en quelque façon fans bor-
nes. On luy reprocha que dans plufieurs de fes Tableaux il y avoit quelque
chofe de dur, de ec, & d'immobile, defaut qu'on prérendoit venir de ce
qu'il s'eftoit trop appliqué à eftudier & À copier les Bas-reliefs Antiques.
Quelques-uns le blâmerent auffi d’avoir donné à l'air de tefte du CHrisr du
Tableau de S. Germain eh Laye & de plufieurs autres Tableaux, quelque
chofe qui tenoit plus d’un Jupiter tonnant que du Sauveur du monde, & en-
fin qu'ayant voulu trop s'éloigner dés manieres douces & tendres qui eftoient
fort à la mode, comme celles de l'Albane & du Guide, auquel il préferoit
beaucoup le Dominiquain , comme plus fort dans le Deflein & dans les Ex-
preflions, ilavoit donné un peutrop dans la maniere auftere & précife. D’autres
prérendent que ces deffauts ne font autre chofe que des beautez un peu trop
grandes pour les yeux qui ny font pas accouftumez. Quoyqu'il en foit per-
fonne n'a efté plus loin pour bien marquer le vray caractere de fes Perfon-
nages, & fur tout pour la beauté, la nobleffe & la naïveté des Expreflions
qui eft fans contredit la plus belle & la plus touchante partie de la Peinture.
11 mourut à Rome le 19. Novembre 1665. âgé de 7x. ans & 5. mois.
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PREMIER PEINTRE DU ROY.
N a de la peine à remonter aflés haut dans la vie de l'excel-
lent Homme dont je vais parler, pour trouver un temps où
À] il ne fuft pas desja un Peintre trés-habile. On voit un Portrait
de fon Ayeul, Sculpteur à Paris, qu'il fit à l’âge de dix ou dou:
ze ans, où l'on remarque autant d'Art & de force que dans les
Ouvrages des meilleurs Peintres. On peut voir aufli fur une
des cheminées du Palais Royal un Hercule affommant les chevaux de Diome-
de, qu'il fic à l’âge de quinze ans, & qui fait honte à la plufpart des Ta-
bleaux des meilleurs Maiftres.
Il eftudia fous Simon Voïüet premier Peintre du Roy, trés-habile dans fa
Profeflion, qu'il égala & furpafla en peu de temps, ayant tousjours eu la for.
ce de ne rien prendre de ce qu'il pouvoit y avoir de moins bon dans la ma-
niere de fon Maiftre. Outre le don de peindre qu’il avoit dans un trés-haut
degré, il avoit l'efprit nec & penetrant, capable de reüffir en tout ce qu'il
auroit voulu entreprendre. M. le Chancelier Seguier touché des bonnes qua-
litez de ce jeune Peintre le fit voyager en Italie, où il enleva prefque tous les
fecrets de {on Art enfermez dans les beaux Ouvrages qui s’y trouvent. Il y ft
une Eftude particuliere, fur les Bas-reliefs antiques, de rous les Habillemens,
de toutes les Armes, & de tous les Uftenciles dont fe fervoient les Anciens
felon les differens Pays, & par une continuelle Leéture de l'Hiftoire & de la
Fable, il acquit une connoiffance fi exacte des differens caracteres de tous les
Heros, & de tous les Hommes; de leurs Ufages, & de leurs Couftumes, que
perfonne n'a jamais reprefenté toute forte de fujets avec plus de naïveté & plus
de bienfeance, & n'a mieux obfervé ce que les Maiftres de l'Art appellent Ze
Coffume. Pour s'en convaincre il ne faut que voir les cinq grands Tableaux
qu’il a faits de l'Hiftoire d'Alexandre, & particulierement celuy de la Famille
de Darius, où les airs de tefte ne donnent pas moins à connoiftre les diffe-
rens Pays des perfonnes qui y font reprefentées, que leurs Habillemens fidel_
lement defignez fur l'Antique. Ces cinq Tableaux font peut-eftre en leur gen-
re les plus beaux quil y ayt au monde, & l'on peut efperer que quelque foit
la prévention où l'on eft pour tout cequi vient d'Italie, & le peu d’eftime que
les François font des Ouvrages de leur fiecle, & fur tout de leurs Compatrio-
ces, on leur rendra la juftice qui leur eft dûé, lorfque le temps y aura ajoû-
té la beauté, & fi cela fe peut dire, le vernis qu'il donne tousjours aux excel
lens Tableaux.
Son plus grand Ouvrage eft le Plafond de la Gallerie de Verfailles, où
l'Hifoire du Roy eft reprelentée d'une maniere allegorique & trés-ingenieufe,
Il a peint la Voute du grand Efcalier de ce mefme Chafteau d'une Frefque
admirable , on y voit les Mules occupées à celebrer les Actions & les
Vertus du mefme Prince. Le Plafond de cer Efcalier a efté gravé de mefme
que les cinq Tableaux de l'Hiftoire d'Alexandre ; les Eftampes en fonc recher-
di CHARLES TE BRUN
chées & admirées de tout le monde. Le Recueil des Eftampes gravées d'aprés
Les Ouvrages eft le plus ample & le plus nombreux qui ayt jamais efté fai
d'aprés les Tableaux d'aucun autre Peintre.
Comme il avoit un genie univerfel, & que le Roy qui l'eftimoit beaucoup,
& qui l'avoir choifi pour fon premier Peintre, luy avoit auffi donné üne Di-
rection generale fur routes les Manufactures des Gobelins.. On peut dire que
tout ce qui s'eft fair dans les Manufactures de certe Maïfon, Tapifleries ,
Cabinets , Ouvrages d'Orfevrerie, de Marqueterie, tiennent de luy ce qu'ils
ont de beau & d’élegant, le tout ayant efté travaillé fur fes deffeins, fous fes
yeux & fous fa conduite, de mefme que la plufpart des Ouvrages de Peinture
& de Sculpture qui ont efté faits de fon remps à Verfailles & aux autres Maifons
Royales. C'eft fur fes Deffeins peints en grand par fes meilleurs Efleves , que
les Tapifferies de l'Hiftoire du Roy ont efté faires de mefme que celles des Ele-
mens & des quatre Saïifons de l'année. Cerre eftenduë de genie eft une chofe
qu'on a de la peine À concevoir, & qu'on ne peut trop admirer. Je ne parle
point des Tableaux de Chevalet & de plufieurs autres qu'il a faits pour les
Eclifes de S. Sulpice, des Carmelites & pluficurs autres encore, parce que le
nombre en elt trop grand, & qu'ils fonc expofez à la vüé de tout le monde. Il
gouvernoit la Manufacture des Gobelins & tous ceux qui y travailloient, com-
me auroit fait un Pere de famille, prefque fans ceffe occupé à leur donner de
Ouvrage & à le corriger, ou à folliciter leurs affaires auprés des Magiftrats,
dont il eftoit honoré & tousjours bien receu.
Il a laiffé deux Traitrez admirables, l'un de la Phyfionomie, & l'autre des
differens Caracteres des Paffions. Il ne s'eft pas contenté d'expliquer par le
difcours les differens effets que chaque Paflion exprime fur le vifage, il les à
deflignées en grand de fa main mefme en plufieurs façons differentes. Le pre-
mier crayon ne marque que le premier trait characteriftique de chaque Paffion
fans jours & fans ombres; le fecond le marque davantage par un amas de pe-
tires circonftances qu'il y ajoute ; & le troifiéme ayant tous les jours & routes
les ombres qui luy font neceflaires, ne laifle rien à defirer pour l'Expreffion
parfaire de la Pañlon. Il y a joint des figures de la ti des animaux qui
ont quelque chofe de ce qui fe trouve dans la Phyfionomie de l'Homme, ce
qui {ert à connoiïftre leur inclination naturelle par rapport à celle de ces mefmes
animaux.
Il avoit entrepris un grand travail, qui eftoit de peindre toutes les Actions
rincipales de la. Vie de JEsus-CHrisr en Tableaux de Chevaler de fix
à fept pieds de long fur quatre pieds & demy de haut. Il ÿ en a quatre où il
a mis la derniere main & qui font d’une beauté admirable; Ce font le Porte.
ment de Croix, l'Elevation en Croix, l'Entrée en Jerufalem & la Narivité. Il
travailloit, lorfqu'il fur furpris de la maladie dont il eft mort, au Tableau de
la Cene ; qui devoit eftre, fi l’on en juge par les Eftudes qu'il avoit faites fur
la maniere dont les Juifs celebrent la Pafque, encore plus beau & plus curieux
que tous les autres. Il mourut aux Gobelins le 12. Février 1690. & fut enterré à
S. Nicolas du Chardonnet, où fa Veuve luy.a fait élever un Tombeautrés-magni-
fique, celuy de fa Mere qui eft de fon Defftin,, & un Tableau d'Aurel reprefen-
tant S. Charles Borromée dans la ferveur de la Priere, peint par luy-mefme,
font avec fon Maufolée une des plus belles Chapelles qu’il y ayt à Paris.
93
E USA CH EULE SUEUR
PEINTRE
AN peur dire de l'Excellent Peintre dont je vais parler, qu'il ne
uy à manqué qu'une chofe , qui eft de vivre plus long-temps,
car s’il euft continué à fe perfectionner dans la Peinture à pro-
portion de ce qu'il a fait jufqu'à l’âge de 38. ans où il eft mort,
lauroit furpaflé ou du moins égalé tout ce qu’il y a jamais eu
de grands Peintres. Cette deftinée luy eft commune avec Ra
phaël qui mourut environ dans le mefme âge.
Il fut de l’'Academie Royale de Peinture & de Sculpture dés les premiers
jours de fon eftabliflement. Il eftudia fous Votiet comme tous les jeunes Pein-
tres de fon temps, & au lieu que les Difciples fe font tous cftimer à propor-
tion de ce qu'ils imitent bien leur Maiftre , celuy-cy, de mefme que Monfieur
le Brun , & quelqu’autres encore qui avoient un Genie fuperieur pour la Pein-
ture, s'eft fait confiderer pour avoir quitté de bonne heure la maniere de {on
Mailtre ,.parcequ'encore que Voüet fuft tres-habile Homme, le Sueur avoit un
gouft beaucoup plus exquis & plus delicat. Le premier Ouvrage de confequen.
ce qu'il entreprit, fut la Vie de S. Bruno qu'il peignit dans le Cloiftre des
Chartreux de Paris dans vingt-deux Tableaux d’une beauté admirable , & dont
quelques-uns par une malice incroyable, & de laquelle on n'a jamais pû dé.
couvrir les Auteurs, ont efté gaftez confiderablement dans les endroits où il
y avoit de plus nobles & de plus vives Expreflions. Il fit tout cet Ouvrage en
trois années. On a de la peine à comprendre, quand on confidere avec quel
foin & avec quelle eftude tous les Tableaux font peints, comment il a pû en
venir à bout en fi peu de temps, cependant quelques beaux qu'ils foient , il
faut convenir que ceux qu'il a faits depuis en divers endroits le font la pluf
part encore davantage du cofté de la correction & de la force de la couleur.
Un des plus beaux eft celuy qu'il fit jes eftre mis à Noftre-Dame en l'année
1650. fuivant la Couftume que les Orfévres obfervent depuis long-temps d'y en
prefenter un tous les ans au premier jour du mois de May. S. Paul y eft repre.
{enté prefchant dans la Ville d'Ephefe & convertiffant les Gentils qui appor..
rent leurs Livres de Sciences profanes pour eftre bruflez. Il à fait un Tableau
d'un CHRIST mourant pour les Capucins de la ruë S. Honoré; un Tableau
de la Magdelene, & un autre du Martyre de S. Laurent pour l'Eglife de s.
Germain de l'Auxerrois & quelques Tableaux de l'Hiftoire de S. Martin pour
les Religieux de Marmoutier, Il fit fur la fin de fa vie deux Tableaux de l'Hi.
foire de S. Gervais & de S. Prothais pour eftre copiez comme ils l'ont efté
dans les Tapifleries qu'on voit à S. Gervais; ces Tableaux font d’une beauté
extraordinaire.
Ce que le Sueur avoit de plus remarquable, c’eft qu'il n'y avoit rien d’af.
fecté dans fa maniere. C’eftoit la belle Nature prife d'aprés l'idée du Beau qu'il
reprefentoit en autant de façons differentes, que les differens füujets le deman.
doient, n'ayant aucunes attitudes, aucunes manieres de B'eUpESS , de difpofer,
a
jÿ EUSTACHE LE SUEUR PEINTRE.
de drapper ou de colorier qui luy fuffent plus ordinaires que les autres, mar-
que certaine de la force & de la facilité d’un Genie qui ne s’aflujettiffant à rien
de ce qu'il a veu, ni mefme de ce qu'il a fait, fe figure les objets felon que
le demande la vray-femblance de fon Hiftoire, peignant ce qu'il voit dans fon
idée quand il travaille d'invention, éomme il peint ce qu'il voit au dehors de
luy, quand il travaille d'aprés Nature. Son bon gout luy avoir fait prendre
dans l'Eftude des Figures & des Bas-reliefs antiques, ce qu'ils ont de grand,
de noble & de majeltueux, fans en imiter ce qu'ils peuvent avoir de fec, de
dur & d'immobile ,t&-luy faifoit tirer des Ouvrages modernes ce qu'ils ont de
gracieux, de naturel & d'ailé, fans comber dans le foible &-le melquin qu'on
leur reproche.
Quelques Gens ont trouvé qu'il luy manquoit d’avoir efté à Rome ; mais
on ne remarque point dans fes Ouvrages ce qui 4 p les faire parler de la
forte , fes Tableaux ayant tout le bon gouft & route la nobleffe que l'on peut
prendre en Italie. Ila efté vray long-remps qu'il falloit aller à Rome & y
cftudier un temps confiderable pour réüffr dans la Peinture & dans la
Sculpture, mais cette maxime commence à n'eftre vraye depuis qu'on
a tranfporté en France une partie des plus beaux Tableaux & des plus bel-
les Statuës qui faifoient aller en Italie, parce que fi on n'a pas les Figures
en original, on les a du moins fort bien moulées, ce qui fuffir pour en pren-
dre le gouft & la maniere. Il n'y a plus guéres que ceux qui le connoïflent
peu en ces fortes de chofes & qui veulent pourtant paroiftre Connoifleurs qui
prétendent que cela foit ainfi, parce qu'il eft bien plus aifé de fçavoir , fi un
Ouvrier a elté à Rome, ou s'il n'ya pas efté, que de fçavoir fi fon Ouvrage
elt excellent où mediocre. On ne difconvient pas qu'il ne foir tres-utile à un
Peintre de voyager en Jralie pour fe former le gout fur les beaux Ouvrages
qu'on y trouve de tous coftez, mais l'exemple de celuy dont je parle fait bien
voir que cette condition n'eft pas abfolument neceflaire pour rendre un hom-
me habile dans ce bel Art. 11 mourut au mois de May de l'année 1655. âgé de
38. ans, & ft enterré en l'Eglife de S. Eftienne du Mont.
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95
PAG RENE" ESC CAE OT
GRAVEUR
Acques Caro eftoit Lorrain & nâquit à Nancy en
l'année 1594. Ses Parens, qui eftoient Nobles, le deftinoient
à toute autre chofe qu'à la gravûre, mais fon inclination fe
trouva tellement portée à Race tout ce qu'il voyoit, que
pour en avoir la ilberté toute entiere, & n’en eftre point dé.
tourné par ceux qui avoient autorité fur luy, il fe deroba de
la maifon de fon Pere dés fon plus bas âge, & s’en alla à Rome pour {e per.
fectionner dans l'Art qu’il avoit embraffé. Là, il fu difciple du nommé Jules
le Parifien Peintre habile, qui le voyant trop enclin à defliner des Grotefques,
où il fe plaifoit beaucoup, l'obligea à copier les bons Ouvrages des plus ex-
cellens Maiftres pour fe former le gouft aux bonnes chofes. En 1612. il alla à
Florence n'ayant encore que 18. ans, où la premiere Eftampe qu'il grava fut
un Ecæe Homo, avec des Vers au deflous qu'on croit eftre de fa façon,
Il grava plufieurs Deffeins de fon Maiftre Jules le Parifien, mais qui n'appro-
chent pas de ceux qu'il faifoit d'Invention, & qu'il donna en l'année 1616.
Les mefmes Figures qui y font gravées avec toutes leurs ombres, y font auffi
gravées vis-à-vis avec le fimple trait pour mieux en faire voir la juftefle du
Deffein , & aufli afin d'aider les Eftudians en demeflant les traits qui font le
contour de la Figure d'avec ceux qui ne fervent que pour l'ombrer & pour
luy donner du relief & de la rondeur. Cofme Second Grand Duc de Tofcane
pour lequel il travailloit & qui l'aimoit beaucoup eftant mort, il fut invité
par le Pape à venir à Rome, & par l'Empereur à aller à Vienne; mais il ai-
ma mieux venir en France, où il fit une infinité de trés-beaux Ouvrages.
Il grava à Paris deux veües de cette grande Ville: L'une où la Ville eft re-
gardée de l'endroit à peu prés où vient d’eftre bafti le Pont Royal, & d'où
fe voit le Louvre, le Pont-neuf, & route la Ville avec la Riviere, Là far un
grand nombre de toute forte de batteaux, on voit une infinité de Figures
qui femblent eftre toutes en mouvement, Et l'autre où Ja Ville eft regardée
du Pont-neuf & reprefente le mefme Louvre, la Tour de Nefle, la Porte de
la Conference & le Payfage au-de-là avec tout ce qui fe pafle fur la Riviere.
Ce font deux Chef d'œuvres, foit pour la Perfpective qui y eft admirablement
bien cblervée, foit pour la verité des objets, foit pour la varieré & la naïveté
des Figures.
Il grava auffi eftant en France trois Sieges fort memorables, celuy de S. Mar-
tin de Ré, celuy de Breda & celuy de la Rochelle. Sur le devant les Figures fonc
d'une grandeur affez confiderable, & dans l’efloignement elles font d’une pe-
trefle prefque imperceptible & cependant auffi diflinguées & auffi reconnoiffa-
bles que fi elles n’eftoient qu'à quinze ou vingt pas. Les Miferes de la Guerre;
reprefentées en dix ou douze Planches, font un de fes plus beaux Ouvrages. Là
tout ce qui fe peut imaginer touchant le mal que font fouffrir les Soldats, ou
qu'ils fouffrent eux-mefmes pendant la Guerre eft exprimé avec une naïveté
96 S'ANC OU ES LIGA LION
admirable. On ef furpris que l'imagination d’un feul Homme ait pû fe figu-
rer tant de chofes fi differentes & toures fous des Images fi naturelles, Il a faic
des Eftampes de tous les Saints & de tous les Myfteres contenus dans le Ca-
lendrier. Il en a fait aufli de la- plufpart des Monnoyes de l'Europe. Il a re-
prefenté une infinité de Grorefques tres-agreables. Je n'entreprendray point de
rapporter 1Cy Tous {es Ouvrages, il vaut mieux que le Lecteur fe donne le
phaifr d'en voir luy-melme le Recueil qui, quoyque trés-précieux , n'eft pas
difficile à recouvrer à caufe du point d'honneur que les Curieux fe font d'a-
voir fon œuvre tout entier, ce point d'honneur eft fi vif& l'on peut dire
fi bizare que celle de fes Eftampes nommée l'Efpiegle ( qui eft la moindre de
toutes & dont il cafla la Planche aprés qu'on en eur tiré quelques-unes, par-
ce qu'il n’en eftoit pas content ) s'achépre vingt fois plus cher que les autres
pour fe pouvoir vanter que l'on a tout: Ù
Calot à efté admirable en bien des Parties, mais il l’a efté particulierement
à faire les Figures en petit, & à fçavoir faire trouver dans deux ou trois traits
de Burin, l'A@ion, la Demarche, l'intention & mefme jufqu'à l'Humeur & au
Caratere particulier de chaque Figure. Il avoit encore une addreffe finguliere
à ramafler en peu de place une infinité de chofes, & fi cela fe peut dire, le
don de créer de l'efpace, car en un pouce d'eftendué il faifoit voir diftincte-
ment cinq ou fix lieües de Pays & une multitude inconcevable de Perfonna-
ges. Il n'y a point eu avant luy de Graveur d'un femblable talent ,; & Ataue
ferve de l'excellent M. le Clerc qui le fuit à ne pas demeurer derriere, il n’en
eft point venu depuis qui en ayt approché. Gafton Duc d'Orleans laimoir
beaucoup & prenoït un fingulier plaifir à le faire travailler en fa prefence. Ii
mourut à Nancy le 23. Mars 1635. âgé de 41. ans. Sa femme nommée Margue-
rite Paffinger luy fit élever un Tombeau magnifique.
AZ
AN
VATANAUZ
Ve 4is à
97
DO PT NN ONE US I L
DESSINATEUR ET GRAVEUR
OBErT NanrTeurr nâquit à Rheims en l'année 1650. Son
pere Marchand de cette Ville prit, quoyque tres-pauvre ,un grand.
foin de fon éducation, & luy fit faire toutes fes eftudes. Il eut une
REA f forte inclination à defliner dés fon enfance, & il s’y appliqua
î {1 heureufement, que {ur la fin de fes deux années de Philofophie,
il deflina & grava luy-mefme la Thefe qu'il fouftinr. Il fit toures ces choles
avec un tel fuccés, qu'on ne peut s'imaginer l'honneur qu'il en reçuft de roure
la Ville; mais comme ces talens, quoy que tres-beaux, n’eftoient pas d’une
grande utilité dans fon Pays natal, & que s'eftanc marié fort jeune, ils ne luy
fournifloient pas de quoy fouftenir les defpenfes du ménage, il refolut d'aller
chercher une meilleure fortune. Il laiffa donc fà femme & vint à Paris, où ne
{çachant comment {e faire connoiftre, il s'avifa de cette invention.
Ayant vû plufieurs jeunes Abbez à la porte d’une Auberge proche de la Sor-
bonne, il demanda à la Maiftreffe de cette Auberge fi un Ecclefiaftique de la ville
de Rheims ne logeoit point chez elle, que malheureufement il en avoit oublié
le nom, mais qu'elle pourroit bien le reconnoiftre par le portrait qu'il en avoir.
En difant cela il luy montra un Portrait bien definé, & qui avoit tout l'air
d’eftre fort refflemblant. Les Abbez qui l'avoient écouté, & qui jetterent les
yeux fur le Portrait en furent fi charmez, qu'ils ne pouvoient {e lafler de l'ad-
mirer & de le loüer à l’envi l'un de l’autre. Si vous voulez Meffieurs, leur dit-
il, je vous feray vos Portraits pour peu de chofe auffi bien fairs & auffi finis que
celuy-R. Le prix qu'il demanda eftoit fi modique qu'ils £ firent tous peindre
l'un aprés l’autre; & ces Abbez ayant encore amené leurs amis, ils vinrenten
fi grand nombre qu'il n’y pouvoit fufire, Cela luy fit augmenter le prix qu'il
en prenoït; en forte qu'ayant amaflé en peu de temps une fomme d'argent
confiderable dans cette Auberge, il s’en retourna à Rheims trouver {à femme
à qui il conta fon avanture, & luy montra l'argent qu'il avoit gagné. Ils ven.
dirent aufli-roft ce qu'ils avoient à Rheims, & vinrent s'eftablir à Paris, où en
peu de temps fon merite fut connu de tout le monde. Il _s'adonna particuliere-
ment à faire des Portraits en paitel, & à les graver enfuire pour fervir à des
Thefes; en quoy il réüflit au delà de tous ceux qui s’en efloient meflez juf.
qu'alors. Il ne manquoit jamais d'attraper la reffemblance, & il fe vantoir de
s'eftre fait pour cela des regles tres aflurées.
Il fic le Portrait du Roy en paftel, pour lequel Sa Majefté luy ft donner cent
louis d'or; enfuite il le grava dans toute fa grandeur, c'eft à dire aufli grand
.que nature; ce qui n'avoit point encore efté tenté avec fuccés par aucun Gra.
veur. Sa Majefté en fut f ftisfaite qu'elle crea pour luy une Charge de
Deflinateur & Graveur de fon Cabiner, avec des appointemens de mille Ii-
vres, & luyen fit expedier des Lettres patentestreshonorables. Jufques-là il avoit
efté prefque impoflible aux plus habiles Graveurs de bien reprefenter, avec le
{eul blanc du papier & le {eul noir de l'encre, toutes les autres a de de-
98 ROBERT NANTEUIL DESSINATEUR ET GRAVEUR.
mande un Portrait lors qu'ileft en grand, car lors qu'ileften petit, l'imagination
de celuy qui le regarde les fuppléeaifément; cependant on croit VOIr dans celuy
dont je parle la couleur naturelle du teint, le vermeil des joués, & le rouge des
levres, au lieu que dans les Portraitside certe mefine grandeur que la plufpartdes
autres ont fair, le teint paroïft plombé , les jouës livides, & leslévres violettes ; en
forte qu'on croit plûtoit voir des hommes noyez, que des hommes vivans. Ce
Portrair-eft peur-eftre le plus bel'Ouvrage de cerre efpece qui ait jamais efté fair.
Ilgrava enfüire de la melme maniere le Portrait de la Reine mere, celuy du Car-
dinal Mazarin qui le retint auffi pour fon Deflinateur & Graveur, celuy de Mon-
fieur Duc d'Orleans, de M. de Turenne, & de quelques autres encore qui luy
ont acquis une reputation qui ne finira jamais. Voicy de quelle forte Carlo Dati
parle des Ouvrages de Nanteüil dans la Vie de Zeuxis. Ces paroles d'Apollonius,
dit-il, #appellent à contempler avec effonnement l'artifice des Effampes de nos Gra-
veurs modernes, où toutes chofès font f? naïvement reprefèntées ; la qualité des efroffès,
Ja couleur de lacarnation., la barbe, les cheveux , @) cette poudre legere qui Je met
dofus ; @> ce qui cf? de plus important l'âge, l'air @ la vive reffémblance de la
perfonne, bien qu'on ny employe autre chofé que le aoir de l'encre & Le blanc du
papier, qui ne font pas féulement le clair © Lobfcur, mais l'office de contes les
couleuts. Tout cela fé voit æ) s'admire., plus qu'en quelque autre Ouvrage, dans
Les excellens Portraits de l'illufire Nanteür!.
Le Grand Duc voulut avoir fon Portrait en paftel fait par luy-mefme pour le
mettre dans à Gallerie, où il prenoit plaifir d’affembler les Portraïts des Peintres
& des Graveurs illuftres, particulierement lors qu'ils eftoient de leur main pro-
pre. Il feroit trop long de rapporter icy tous {es Ouvrages, & comme il eff aifé
d'en trouver le recueil entier chez les Curieux qui ne fonrspoint contens qu'ils ne
les ayent tous ramaflez,.je:me contenteray de dire qu'il éftcompofé de deux
cens quarante Eftampes & davantage, où prefque routesiles Re les plus
en de l'Eftat font reprefentées dé la maniere la plus no le & la plus natu-
celle. Ce Recueil de Portraits furpañfe de beaucoup tous les autres, & par le
nombre & par la beauté des Eftampes.
Dés que le gain de fon travail l'eut misun peuà fon aile; la premiere chofeà
laquelle il penfa fur de faire venir fon Pere , pour le rendre participant du bon-
heur dont il jouïffoir. Le bon homme vint, & tout mal veftu qu'il eftoir fut receu
en defcendant du Coche par fon ‘fils, bien mis, & habillé comme un homme fort
À fon aife, avec toute la rendreffe & toures les marques de joyeimaginables ; ce
ui alla jufqu'à tirer des larmes de ceux qui en furent témoins. Depuis ce moment,
n plus grand plaifir fur de donner à fon Pere toute la fatisfaction qu'il pouvoit
defirer; ce quil continua jufqu'au jour que Dieu lenleva d’entre fes bras.
Cette pieté ne fut pas fulement recompenfée dés ce monde par la fatisfadtion
{olide d'avoir comblé de joye celuy dont il cenoir la vie, & par l'eftime qu'ilen
acquit d'un bon & genereux naturel, mais par les graces fingulieres que Dieu
Juy ft fur la fin de les jours, en luy donnant les fentimens les plus Chreftiens
qu'on puifle avoir. Il eftoit éloquent naturellement , & vif dans {es expreflions,
mais lors que Dieu l'eut touché, rien n'eftoit plus pathetique que ce qu'il difoit
fur l'amour de Dieu , & fur les autres matieres de devotion. Il faifoit aufli des
Vers fort agreables, & les recitoit admirablement bien. Il mourut à Paris le
18. Decembre 1678. âgé de quarante-huit ans.
99
CAD DB CB'AL'LTIN
ORFEVRE.
1 Laupe Bari Orfévre, né à Paris d’un pére qui eftoit
aufh Orfévre, a porté la beauté de fon Art à un degré de per-
| fection où perfonne avant luy n'eftoit peut-eftre jamais arrivé,
du moins nous refte:til peu de chofes & des Anciens & des Mo.
dernes qu'on puiffe comparer à fes Ouvrages. Il avoit un difcer-
nement exquis pour prendre ce qu'il ya de plus beau dans l'Antique , & un
genie admirable pour y ajoufter de fon invention mille graces & mille beau-
tez qu'on n'avoit point encore veuës. Il commença.par l'eftude du Defein en
copiant chez fon pere les beaux Tableaux du Poufln, & en s'exerçant dans
des Academies que plufieurs particuliers cenoient alors chez eux: car en ce
temps-là l’Academie Royale de Peinture & de Sculpture, & la Manufacture
Royale des Gobelins n'eftoient pas encore eftablies. Il travailloit en mefime temps
à divers Ouvrages d'Orfevrerie où il fe rendit fi habile, qu'à l’âge de dix-neuf
ans il fit quatre baflins d'argent de foixante marcs chacun, où les quatre âges
du monde eftoient reprefentez. Comme ces füujets fourniflent d’eux-mefines de
tres-belles idées, & qu'il fceut les mettre dans leur plus beau jour, on regar-
da ces quatre baflins comme quatre chef-d'œuvres, & ils furent trouvez f
beaux que quelque temps aprés on les ft dorer. Le Cardinal de Richelieu les
ayant achetez, Ballin fit quatre vafes à l'antique du mefine defein que les
baflins pour les accompagner, & rendre l’aflortiment complet. Sarrafin excel.
lent Sculpteur de ce temps-là, eftonné de la capacité d'un homme aufli jeune
que Ballin l’eftoit alors, luy ft cifeler plufieurs bas-reliefs d'argent, & entre
autres les fonges de Pharaon qui font d'une beauté finguliere.
Il fit d'or émaillé la premiere épée & le premier hauffe.cou que le Roya
portez, & le Chef de S, Remy que Sa Majefté donna à l'Eglife de Rheims à
la ceremonie de fon Sacre. On voit dans plufieurs Eglifes de Paris, de meline
qu'à S. Denys & à Pontoife, des Ouvrages de fa main, tous d’une beauté &
d'une elegance qui n'auront peut-cftre jamais d'égale. Il a fait un miroir d’or
de quarante marcs pour la Reine Anne d'Auftriche, que le Roy garde enco-
re. Il feroit à fouhaiter que tant d’autres Ouvrages qu'il a faits pour le Roy,
fous les ordres de Monfieur Colbert Surintendant des Baftimens, fuflent en_
core en nature, Il y avoit des tables d’une {culpture & d'une cifelure fi admi.
rables , que la matiere toute d'argent & toute pefante qu'elle eftoit , faifoit à
peine ka dixiéme partie de leur valeur. C’eftoient des torcheres ou de grands
gucridons de huit à neuf pieds de hauteur, pour porter des fambeaux oudes gi
randoles, de grands vafes pour mettre des Orangers, & de grands brancards
pour les porter où on auroit voulu, des cuvettes, des chandeliers, des miroirs
tous Ouvrages dont la magnificence, l'élegance & le bon gouft eftoient peut
eftre une des chofes du Royaume qui donnoient une plus jufte idée de la gran.
deur du Prince qui les avoit fait faire. Ils ont eftc fondus pour fournir aux dépen.
fes de la guerre. Nous ayons perdu par À un des grands ornemens de noftre
100 CLAUDE BALLIN ORFEVRE.
fiecle, & un monument érernel de la gloire de la Nation, qu'elle auroit pi
oppoler & à l'Antiquité la plus favante dans les beaux Arts, & à tous les fic-
cles qui l'ont fuivie ; mais le Roy a bien voulu facrifier au bien public ces
marques de fa magnificence, & difpoer {es Sujets par un exemple {1 fingulier
à faire de bon cœur la mefme chofe de leurs plus beaux meubles d’argenterie.
Heureufement le fieur de Launay excellent Orfévre & excellent Deflinateur,
qui marche fur les traces du fieur Ballin dont il a époufé la niéce , a deffiné la
plufpart de ces beaux Ouvrages avant qu'on les fondift: & comme on efpere
qui les fera graver, ce fera quelque confolation aux Curieux fur une perte
1 grande pour les beaux Arts. Il refte aufli quelques petits Ouvrages entre les
mains des particuliers, par lefquels on pourra juger de la beauté de ceux qu'on
n'a plus. Sa Majefté luy donna, aprés la mort du fieur Varin, la direction du
Balancier des Medailles & des Jetons, qu'il a exercée jufqu’à fa mort, Je dois
remarquer que celuy dont je fais l'Eloge n’a prefque jamais forti de Paris;
ce qui montre combien eft grande l'erreur de ceux quicroyent qu'il n'y a que
ceux qui ont pañlé plufieurs années en Jralie qui puifiént exceller dans les
beaux Arts. 1] mourut le 22. Janvier 1678. âgé de 63: ans.
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DES HOMMES
PRIE UE IS MMRUUENS,
E Cardinal de Richelien ;
Le (ardinal de Berulle,
Sponde Evefque de Pamiers ;
De Marca Archevejque de Paris,
Jean Pierre Camus Evefque de Belley,
Godean Eveque de Vence,
Senanlt General de l'Oratorre ,
Thomaffin Proffre de l'Oratoire.
Jacques S'rmond Jefete,
Petan Fefuite ,
CAC orin Preftre de l'Oratoire,
Monfieur le Prince ,
ÂMonfieur de Turenne,
Le Comte de Pagan,
Seguier (hancelier de France ,
Du Vair Garde des Sceaux ;
Prefident Jeannin,
Phel Jpeaux de Pontchartrain Secretaire d'E, flat ;
Colbert Miniffre d'Effat ;
De Lamoignon premier Prefident ,
De Thow,
Bignon Avocat General,
De Perrefe ,
Papire Maf[or ,
Scevole de S'ainte- Marthe ;
Pellif{on de l'Academie Françoife,
Dupuy Garde de la Bibliotheque du Roy;
D'Andilly ,
T A Pb'LE.
Roffignol Maïfhre des Comptes, 57
Des-(artes 59
Le Maiffre Avocat ; 6x
Gallendi , 6
Du Cange. 6$
Perrault de l'Academie des Sciences, 67
i| CMalherbe de l_Academie Françoift 69
f Balzac de l Académie Françoife, 7x
Voiture de l Academie Françoife , 73
! Sarafin de | Academie Françoife , TS.
| Corneille de V_Academie:Françoife, Gir
| Mboliere , 79
| Quinanlt de l'Academie Françoife , 8x
La Fontaine de l'Academie Françoif , 83
Lu, 85
CH anfart , 87
L Poul]in ; 289,
\l. Le Brun, 91
| Le Sueur, : 93
Calot , 95
Nanteuil, 97
Ball, ]
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